« Quand la femme peut s’affirmer, elle peut accomplir de grandes choses… »
Extraits de l’entretien
La situation actuelle des femmes et des filles au Sénégal
« Il faut reconnaître que la situation des femmes et des jeunes filles a beaucoup évolué. Je peux même dire qu’elle a évolué positivement, même s’il y a des obstacles. Il y a 25 ans ou un peu plus, les femmes ne pouvaient pas accéder à certains corps de métiers tels que la police, la douane, la diplomatie, ou encore la gendarmerie. Les ainées qui nous ont devancés au sein de l’AJS se sont battues et ont fait en sorte qu’il y ait des lois qui permettent aux femmes d’accéder à tous les corps de métiers.
Il y a eu une évolution aussi par rapport à la situation économique de la femme, parce que nous avons maintenant l’équité fiscale. Avant, la femme était doublement imposée par rapport à l’homme, et ce même quand elle bénéficiait d’un traitement salarial identique à ce dernier. L’AJS a beaucoup travaillé sur cela avec d’autres organisations pour déboucher sur un acquis majeur qu’on appelle « l’équité fiscale » qui permet à la femme d’être imposée comme l’homme.
En ce qui concerne l’accès des femmes aux instances de décision, nous avons une loi qui constitue pour nous et pour beaucoup de pays une grande avancée, c’est la loi sur la parité. Elle permet aux femmes d’accéder à certaines instances électives et semi-électives.
Nous avons aussi une loi sur la nationalité, car cela aussi c’était une discrimination par rapport aux hommes. Avant, la femme n’avait pas la possibilité de transmettre la nationalité sénégalaise à ses enfants ou à son mari. Nous avons jugé que c’était une discrimination parce qu’on ne peut pas se permettre d’empêcher une Sénégalaise qui a un enfant de pouvoir transmettre sa nationalité à son enfant ou à son mari sous prétexte que ce dernier est étranger. Aujourd’hui, la loi permet à la femme, si certaines conditions sont réunies, de pouvoir transmettre sa nationalité à son mari et à ses enfants.
En ce qui concerne l’accès des femmes aux instances de décision, nous avons une loi qui constitue pour nous et pour beaucoup de pays une grande avancée, c’est la loi sur la parité
Pour autant, je peux dire qu’il reste encore beaucoup de choses à faire. Aussi bien dans les foyers que dans la société, la jeune fille est toujours discriminée. Dans les zones rurales elle est donnée en mariage très tôt et ses études sont donc interrompues. Elle subit aussi régulièrement des violences, que ça soit des violences physiques ou des violences sexuelles, qui empêchent son évolution. Malgré des efforts de l’État, la santé reproductive et sexuelle des jeunes filles n’est toujours pas bien prise en compte. Tout cela permet de montrer que même s’il y a eu une réelle évolution, il reste néanmoins beaucoup de choses à faire. »
Les obstacles au bien-être des femmes
« Il y a des croyances culturelles qui demeurent et qui sont profondément discriminatoires à l’égard des femmes… »
« Au risque de vous surprendre, je dirais que l’obstacle majeur ce sont nos pesanteurs socio-culturelles. J’ai dit auparavant que nous avons beaucoup d’acquis sur le plan textuel, mais le problème est que nous avons des difficultés à mettre en œuvre correctement ces acquis-là. La raison se trouve dans des pesanteurs socio-culturelles, dans des croyances culturelles qui demeurent et qui sont profondément discriminatoires à l’égard des femmes.
L’autre obstacle c’est la religion, qui se trouve souvent mal interprétée. La religion musulmane, par exemple, n’est pas discriminatoire à l’égard de la femme et de la fille, mais malheureusement une mauvaise interprétation conduit à ce que l’on discrimine la femme en son nom.
Par ailleurs, si nous avons des avancées textuelles et des lois, ces dernières ne sont souvent pas appliquées dans toute leur rigueur. Par exemple, la loi sur la parité est un acquis majeur pour nous, mais on peut constater qu’elle n’est pas appliquée avec rigueur. C’est particulièrement le cas au niveau des instances de direction, des instances électives ou semi-électives, où on a souvent des problèmes.
La religion musulmane, par exemple, n’est pas discriminatoire à l’égard de la femme et de la fille, mais malheureusement une mauvaise interprétation conduit à ce que l’on discrimine la femme en son nom
Même si l’État essaie de faire des efforts, par exemple à l’Assemblée où on essaie plus ou moins de respecter la parité au niveau du bureau et des commissions, il reste des choses à faire. Pourtant, le décret d’application de cette loi est très clair : les bureaux des commissions font partie des instances qui doivent être paritaires.
Enfin, c’est le manque de formation des femmes et des filles qui pose aussi problème. C’est vrai que certains nous reprochent de demander la parité alors que les femmes ne sont pas forcément assez formées. A cela, nous répondons en disant que quand les hommes étaient majoritaires à plus de 80 %, personne ne parlait de leur formation. Pourquoi est-ce aujourd’hui, alors qu’on a une loi qui permet aux femmes d’accéder à ces instances-là de façon égalitaire, qu’on nous parle de formation ? Nous savons que c’est un vrai problème, mais ça ne doit pas être un obstacle à la mise en place de la loi sur la parité. »
Recommandations aux politiques
« Tant que les femmes et les filles continueront de subir des violences, il leur sera très difficile d’être autonomes »
« La première recommandation que je donnerais concerne l’accès des femmes aux instances de décision, c’’est-à-dire les droits politiques des femmes. Qu’est-ce que les candidats feraient pour consolider ou aller plus que cet acquis majeur qu’est la loi sur la parité ? Il faut reconnaître que cette loi est une avancée majeure, mais c’est aussi une loi qui est très limitative car elle limite l’accès des femmes aux seules instances électives et semi-électives. Presqu’aucune femme ne se trouve dans des instances nominatives. Combien de femmes avons-nous dans ce gouvernement ou à des postes de direction ?
Une autre recommandation porterait sur les violences qui sont faites aux femmes et aux filles. Nous avons des statistiques sur les violences que subissent les femmes et les filles qui sont effrayantes et que nous transmettons régulièrement aux autorités telles que les ministères sectoriels avec qui nous travaillons.
La première recommandation que je donnerais concerne l’accès des femmes aux instances de décision, c’est-à-dire les droits politiques des femmes
Au sein de l’AJS, notre conviction est que tant que les femmes et les filles continueront de subir ces violences il leur sera très difficile d’être autonomes économiquement. Face à tout l’argent que le gouvernement injecte pour l’autonomisation des femmes, je dis qu’il est temps de prendre en charge cette question des violences sur les femmes et les filles. Tant que la petite fille est donnée en mariage trop tôt, qu’elle subit des viols ou de l’inceste, elle ne sera jamais autonome.
De la même manière, tant que la femme continue de subir des violences domestiques, familiales, dans toutes les sphères publiques et privées, il sera difficile pour elle d’avoir une autonomie juridique et économique. Donc nous interpellerons les candidats par rapport aux violences : qu’est-ce qu’ils vont faire par rapport à cette loi que nous avons depuis 1999, qui sanctionne les violences ? Comment faire pour revoir cette loi afin qu’elle permette de pénaliser de nouvelles formes de violence qui apparaissent actuellement ?
Tant que la femme continue de subir des violences domestiques, familiales, dans toutes les sphères publiques et privées, il sera difficile pour elle d’avoir une autonomie juridique et économique
Nous allons les interpeller sur la prise en charge des survivantes de violences. Qu’est-ce qu’ils vont faire pour ces femmes et ces petites filles qui sont victimes de violences ? Comment faire pour avoir de grands centres d’accueil et de prise en charge tels qu’on en voit en Afrique du sud, en Angola, ou au Ghana ? Comment faire pour avoir ces centres-là dans lesquels la femme ou la petite fille victime de violences, peut être prise en charge de manière intégrée ? »
Appel aux femmes
« Je leur dirais d’être patientes, d’être attentives à leur promotion et à leur autonomie juridique »
« Je leur dirais d’être patientes, d’être attentives à leur promotion et à leur autonomie juridique. On parle beaucoup de l’autonomisation économique, mais à mon avis il faut avant tout que les femmes connaissent leurs droits et qu’elles les intériorisent. L’appel que je leur lance les invite donc à être plus attentives à cela, plus solidaires entre elles, d’accepter de se former, de mettre en avant leur leadership, et surtout de refuser la violence.
Je pense qu’il leur faut aussi s’affirmer d’avantage parce qu’on sait que la femme peut faire de grandes choses quand elle a la volonté de s’affirmer. Enfin, pour terminer cet appel que je lance aux femmes, je leur dirais de refuser de jouer un second rôle dans cette année électorale. Au contraire, il leur faut jouer un rôle de citoyennes. »
Photo : WATHI
Madame Fatoumata Gueye Ndiaye est l’actuelle présidente de l’Association des Juristes sénégalaises (AJS) qui est une association qui a été créée sous forme d’amicale depuis 1974. L’AJS est une association qui a pour mission principale la protection des droits humains, des droits des femmes et des enfants en particulier.