« Il faut que la femme puisse prendre en compte son statut d’être humain avant tout… »
Extraits de l’entretien
La situation des jeunes filles et des femmes au Sénégal
« C’est une situation très mitigée »
« La situation des femmes et des jeunes filles au Sénégal est très mitigée. Il y a eu des avancées sur plusieurs plans. Sur le plan social avec des lois sur les mutilations génitales, sur la scolarisation des filles, et puis sur le plan politique, nous avons aujourd’hui la parité dans les institutions électives par exemple.
Tout cela n’empêche pas que la situation demeure très mitigée, dans la mesure où on continue d’être regardées comme de « simples femmes ». On voit des femmes qui n’ont pas le droit d’accéder à l’université à cause du poids social du mariage et des femmes qui ne vont qu’exceptionnellement jusqu’à la thèse. Des filles sont souvent dans les rues à vendre de l’eau, elles sont dans des endroits où elles ne devraient pas être. Tout cela, on le voit encore, donc la situation est encore mitigée. »
La perception des femmes de leur condition
« Il y a la violence faite aux filles et aux femmes par les femmes »
« La plupart des femmes ne sont pas conscientes de la situation. Je m’en suis rendue compte et je m’en rends compte tous les jours. Sur un réseau social, je rentre dans des groupes de femmes, je regarde parfois les discussions, et j’en viens à me dire « mais est-ce qu’on va s’en sortir finalement ? ».
On parle souvent de violences faites aux filles et aux femmes, mais je dis souvent qu’il y a aussi la violence qui est faite aux filles et aux femmes par les femmes
Parce que les sujets tournent essentiellement autour des maris, autour des hommes, autour de la polygamie ou encore de la coépouse. On ne voit jamais de projet, jamais de discussion sur la manière dont on peut s’en sortir. C’est rarissime que l’on voit cela sur ces réseaux. Pourtant ce sont des groupes de femmes très fréquentés où il y a 15000 membres voire plus.
On parle souvent de violences faites aux filles et aux femmes, mais je dis souvent qu’il y a aussi la violence qui est faite aux filles et aux femmes par les femmes. Les femmes elles-mêmes ne sont pas conscientes de leurs problèmes.
Cela commence par la petite ménagère qui travaille à la maison et qu’on regarde comme la petite esclave, la femme qui vient de se marier et qui est obligée de s’occuper de la belle-famille au risque d’être critiquée si elle ne le fait pas, ou encore le jour de l’accouchement ou après l’accouchement la femme qui est obligée au moment du baptême de son enfant de s’occuper des cadeaux de sa belle-famille malgré sa fatigue.Je pense donc qu’avant de parler de violences faites aux femmes et aux filles par les hommes, il faudrait d’abord penser à la violence faite aux femmes et aux filles par la femme elle-même. »
Les luttes féminines et le poids social
« Quand on prône certaines questions, on a tendance à être taxée de féministe, de dénaturée… »
« Quand on prône certaines questions et qu’on met sur la table certaines problématiques, on a tendance à être taxée de féministe. Le mot « féministe » est un terme assez mal vu dans ce pays car on va se dire « mais c’est une dénaturée ! ». Je pense qu’aujourd’hui le problème est ailleurs. En tant que féministe ou en tant que femme tout court, on ne peut pas avoir les mêmes problèmes qu’une femme occidentale, on ne peut pas chercher à atteindre le même niveau.
C’est dommage qu’on soit tout le temps obligées de nous battre, qu’on n’ait pas les mêmes chances que les hommes
On est dans des sociétés et dans des pays différents avec des réalités différentes qui font qu’on ne peut pas avoir les mêmes objets de lutte. Aujourd’hui pour la femme sénégalaise il ne s’agit pas de faire comme les FEMEN (un groupe féministe d’origine ukrainienne fondé à Kiev en 2008) ou de revendiquer le lesbianisme comme objectif premier. Son objectif premier c’est d’abord de se libérer de certains poids sociaux, à savoir le fait d’avoir la possibilité d’aller à l’école et d’y rester jusqu’au bout sans être indexée de « femme pas mariée célibataire ». Il y a également le fait de pouvoir avoir 40 ans ou 50 ans et assumer sa féminité sans pour autant être mariée. »
Les discriminations à l’université
« On nous rappelle tous les jours que nous ne sommes que des femmes »
« Normalement, c’est un milieu où on ne devait pas avoir des discriminations du fait du niveau d’études, de l’intellect. Mais, contrairement à cela, on nous rappelle tous les jours qu’on est une femme et qu’on est là exceptionnellement.
C’est tout simplement parce qu’on sort de l’ordinaire, et des collègues nous le rappellent tous les jours. Ils vont te dire « tu es une femme mais pourtant tu es là ! » ou encore « une femme qui finit sa thèse ? Qui est docteur ? Avec tout ce que vous avez à la maison, les enfants à éduquer, une famille à prendre en charge, un mari dont on doit s’occuper » ? On nous le rappelle tout le temps malgré le fait que l’on soit à l’université.
J’ai lu quelques programmes, ce qui revient souvent c’est un ministère de la micro-finance ou un ministère de la femme, mais pourquoi pas un ministère des hommes ?
C’est très dommage parce que normalement dans ce milieu on ne devrait pas être vues comme des femmes mais d’abord comme des êtres humains. Cela ne veut pas dire que l’on n’est pas des femmes, on est des femmes et on le revendique, mais ce qu’on voit derrière la femme sénégalaise c’est cette image-là qui ne nous convient pas dans la mesure où cela renvoie à la femme qui doit s’occuper du mari, qui doit être « djongué », qui doit aller au marché, qui doit parler et être habillée d’une certaine manière.
On ne voit pas la femme qui doit se battre à l’école, qui doit se battre à l’université, qui doit se battre dans son monde professionnel pour s’en sortir. C’est dommage qu’on soit tout le temps obligées de nous battre, qu’on n’ait pas les mêmes chances que les hommes, qu’on ne soit pas regardées de la même manière qu’eux. »
La prise en compte des femmes dans les programmes des candidats
« C’est le regard qu’on porte sur les femmes qui doit d’abord changer… »
« J’ai lu quelques programmes, ce qui revient souvent c’est un ministère de la micro-finance ou un ministère de la femme, mais pourquoi pas un ministère des hommes ? Pourquoi singulariser les choses ? Nous n’avons le droit qu’à cette micro-finance, à ces petites et moyennes entreprises et pas à la grande entreprise.
Pourquoi un ministère de la femme ? Pourquoi on va faire quelque chose pour les femmes et pas pour les autres ? Ce qu’on peut faire c’est d’abord changer le regard sur les femmes. Ce regard n’est pas pris en charge dans les programmes, en tout cas dans les programmes que j’ai eu à lire.
Des études récentes ont montré que partout dans le monde, de l’école primaire jusqu’au lycée, les filles s’en sortent mieux que les garçons
C’est très dommage, car ça risque de continuer comme ça dans un cercle vicieux. La femme va être bien présente dans cette période pré-électorale ou post-électorale, mais bien présente comment ? En portant des tissus ou des grands boubous de même couleur pour montrer qu’elles sont derrière tel ou tel leader, en criant, en chantant, en dansant, mais pas pour décider. Les décisions se prennent ailleurs et par d’autres, et quand je dis ailleurs c’est dans un cadre assez lointain de là où on danse, et par d’autres, c’est par des hommes. »
Recommandations aux décideurs
« Il faut prendre en charge la question des femmes autrement… »
« Je leur recommanderais d’abord de mettre en place des politiques publiques en faveur des filles, car ce sont les filles qui vont devenir des femmes. Il faut des mesures leur permettant d’aller le plus longtemps possible à l’école. Des études récentes ont montré que partout dans le monde, de l’école primaire jusqu’au lycée, les filles s’en sortent mieux que les garçons. Mais à partir de l’université bizarrement, on voit de moins en moins de filles au fur et à mesure que l’on avance dans les années.
Quand vous parlez aux filles que vous aviez eues comme étudiantes ou comme camarades de promotion, elles vous expliquent qu’elles ont été mariées à 22 ans ou qu’elles ont eu des enfants et qu’elles n’ont donc pas pu terminer leurs études. Face à un tel problème, je pense qu’on devrait essayer de lier les deux. Pourquoi ne pas aller à l’université, faire un doctorat, soutenir une thèse ou devenir professeure tout en étant mariée ?
Il faudrait pour cela réfléchir à la façon de faire avancer les femmes dans le monde écolier, puis ensuite dans le monde universitaire et estudiantin, et enfin dans le monde professionnel. Pour cela, il faudrait déjà que le regard puisse changer sur la femme en tant que telle et que la femme elle-même puisse prendre en compte son statut d’être humain avant son statut de femme. »
Photo : WATHI
Ndéye Astou Ndiaye est enseignante chercheure au département de Sciences politiques à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Madame Ndiaye a fait sa première année de Droit à l’université Lyon II Lumière, avant d’aller à Sciences-Po Lyon puis Sciences-Po Bordeaux en passant par Clermont-Ferrand pour un Master II en Droit et hautes administrations. Pour la formation doctorale, elle a choisi de faire une thèse en sciences politiques.
3 Commentaires. En écrire un nouveau
Très pertinente intervention à l égard de la situation discriminatoire des femmes.
Nous remercions Dre Ndeye Astou Ndiaye de sa pertinence et de son courage sur ce théme
Bonjour, je félicite Mme Ndiaye Elle a raison