Human Rights Watch est une organisation non gouvernementale qui se donne pour mission de défendre les droits de l’Homme et le respect de la déclaration universelle des droits de l’Homme.
18 Octobre 2018
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Exploitation sexuelle, harcèlement et abus dans des écoles secondaires au Sénégal
Bien que des poursuites aient été engagées pour viol en milieu scolaire, les éléments de preuve recueillis par Human Rights Watch suggèrent que les poursuites ou les réparations pour exploitation ou harcèlement sexuel ont été rares. Le système de signalement est généralement faible, car les victimes d’abus hésitent à signaler les cas au sein même des écoles.
Human Rights Watch a également constaté que souvent les responsables de l’éducation n’agissent pas ou ne signalent pas à leurs propres supérieurs les cas d’exploitation sexuelle ou de harcèlement qui ont été portés à leur connaissance.
Au Sénégal, parler de harcèlement sexuel est considéré comme un sujet tabou pour les filles ainsi que pour les femmes. Dans de nombreux cas, les filles concernées ne signalent pas les abus sexuels
Au Sénégal, parler de harcèlement sexuel est considéré comme un sujet tabou pour les filles ainsi que pour les femmes. Dans de nombreux cas, les filles concernées ne signalent pas les abus sexuels. En conséquence, les jeunes survivantes de viols et d’autres formes de violence sexuelle, ainsi que celles qui sont victimes d’exploitation, voient rarement leurs cas portés devant les tribunaux ni ne voient leurs agresseurs punis. Les filles ont également rarement accès aux services de santé appropriés ou à la police.
*Pression communautaire pour éviter les poursuites judiciaires
Dans la plupart des petites villes et villages où Human Rights Watch a mené des recherches, les familles ont souvent résolu des cas de viol, d’exploitation sexuelle et de violence sans impliquer ni le système judiciaire ni l’école, c’est-à-dire chez elles ou dans leur communauté. Souvent, lorsque les parents découvrent qu’une fille ou une jeune femme est enceinte en dehors du mariage, ils préfèrent régler les conditions avec le père du bébé ou organiser un mariage entre eux.
C’est ce que l’on appelle communément « maslaha » et « jokere endam », qui signifient « dans l’intérêt commun » en wolof et « préserver la parenté » ou le « bon voisinage » en langue pulaar, respectivement.
Certaines communautés accordent un statut spécial à des enseignants et responsables scolaires qui sont très souvent envoyés d’autres régions du Sénégal, en raison de leur niveau d’instruction et du rôle qu’ils jouent dans la communauté. Cela rend plus difficile la dénonciation des actes d’exploitation ou d’abus commis par les enseignants et contribue à une culture du silence autour des actes illicites commis dans les écoles.
Obstacles au signalement
De nombreuses élèves ne comprennent pas totalement ce que sont les infractions sexuelles, ni la pleine portée des moyens de signaler ces infractions chaque fois qu’elles surviennent. Cela reste un problème fondamental pour identifier l’étendue complète des violences sexistes dans le contexte scolaire.
Par exemple, une consultation avec plus de 500 élèves de Dakar, dirigée par le Centre de guidance infantile et familiale, a révélé que si les élèves comprennent que le viol est un crime et sont enclins à le signaler, ils ne reconnaissent pas les attouchements sexuels, le harcèlement ou les tentatives de viol comme abus sexuel.
Human Rights Watch a constaté que de nombreux élèves ont normalisé la réalité des « relations » dans le contexte scolaire et que, même si beaucoup ont identifié que ce n’était pas correct, ils ne l’ont pas perçu comme de l’exploitation sexuelle. Les écoles doivent veiller à ce que les élèves comprennent mieux ce qui constitue l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, afin de pouvoir les identifier et les signaler.
Bien que les certificats médicaux puissent être obtenus gratuitement dans les centres d’accueil sans rendez-vous, les survivantes doivent payer environ 10 000 francs CFA (19 dollars US) pour en obtenir un si elles n’ont pas de recommandation
Cependant, il existe également un certain nombre d’autres obstacles. Pour signaler un viol dans un poste de police, les survivantes doivent présenter un certificat médical. Le signalement d’un viol devient ainsi un obstacle financier pour certaines jeunes survivantes. Bien que les certificats médicaux puissent être obtenus gratuitement dans les centres d’accueil sans rendez-vous, les survivantes doivent payer environ 10 000 francs CFA (19 dollars US) pour en obtenir un si elles n’ont pas de recommandation.
Afin de s’assurer que les élèves signalent effectivement tout incident, le gouvernement doit également s’attaquer aux stéréotypes qui incitent les filles à se sentir responsables de l’exploitation et des abus sexuels commis contre elles. En plus de recommander des formations et des ateliers pour les enseignants et les élèves, le gouvernement devrait également intégrer les questions de genre dans son programme scolaire, longtemps attendu, sur l’éducation en matière de santé sexuelle et reproductive.
Manque d’éducation et de services en matière de santé sexuelle et reproductive
Au Sénégal, de nombreux jeunes n’ont pas suffisamment accès à l’information et aux services sur la sexualité et la reproduction. La connaissance de la santé sexuelle et reproductive reste faible chez les jeunes Sénégalais car la plupart des écoles secondaires publiques ne proposent pas un contenu adéquat et complet sur la sexualité ou la reproduction, qui devrait inclure la prévention des violences sexuelles et des relations sexuelles saines.
Human Rights Watch a constaté que les enseignants ne donnent pas toujours des informations scientifiquement fondées sur les méthodes de contraception. En particulier, les élèves n’apprennent pas la sexualité ou l’importance du consentement total dans les relations. L’une des raisons en est l’absence d’un programme d’études adéquat, solide et complet sur l’éducation à la sexualité et à la santé en matière de reproduction (SRHE), considéré comme une partie obligatoire du programme national.
Selon le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, une réponse importante aux abus sexuels et aux grossesses non désirées consiste à mettre en place un programme obligatoire et adapté à chaque âge pour une éducation complète à la sexualité et à la santé reproductive. Pour être efficace, le programme devrait notamment porter sur la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation, les comportements sexuels responsables, la prévention des grossesses précoces et des maladies sexuellement transmissibles, les relations consensuelles et saines, ainsi que l’égalité des genres. L’inégalité d’accès à des services complets de santé sexuelle et reproductive équivaut à une discrimination.
Recommandations
Adopter des mesures plus fortes pour mettre un terme à la violence et aux abus sexuels et sexistes liés à l’école :
- Veiller à ce que les représentants du ministère de l’Education nationale et des syndicats d’enseignants donnent des directives aux écoles et aux enseignants interdisant explicitement les relations sexuelles entre enseignants et élèves, décrivant les comportements inacceptables et illicites, et encourageant la responsabilité professionnelle des enseignants à s’attaquer et à lutter contre la violence sexuelle et sexiste.
- Veiller à ce que la législation relative à l’exploitation sexuelle, au harcèlement et aux abus à l’école, en particulier les dispositions du Code pénal, soit rigoureusement appliquée et que les auteurs de ces crimes soient traduits en justice et punis par des sanctions proportionnées à leurs crimes.
Agir d’urgence pour lever les obstacles qui entravent l’éducation des filles
- S’assurer que l’enseignement secondaire soit entièrement gratuit en supprimant les frais de scolarité et les coûts indirects facturés par les écoles.
- Veiller à ce que la planification nationale du secteur de l’éducation comprenne des mesures explicites pour éliminer les obstacles à l’éducation des filles, notamment des réponses au niveau de l’école à la violence sexuelle et sexiste, ainsi que des questions de protection des enfants comme le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines. S’assurer que tous les programmes comprennent une analyse de l’exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus à l’école.
Avec un soutien financier et technique international :
- Allouer des fonds suffisants pour intensifier les projets existants axés sur l’amélioration de la qualité de l’éducation et le maintien des filles dans l’enseignement secondaire, qui devraient inclure des programmes d’éducation sexuelle et reproductive adéquate et exhaustive.
- Veiller à ce que la stratégie nationale de protection de l’enfance soit suffisamment financée pour garantir que les comités de protection de l’enfance soient actifs et dotés de ressources suffisantes à tous les niveaux, en particulier en augmentant la couverture dans les zones rurales.
- Veiller à ce que les administrations et les maires locaux accordent un financement adéquat aux programmes ciblant les filles et les femmes dans leurs juridictions, en particulier pour construire des infrastructures scolaires adéquates, soutenir les campagnes de sensibilisation locales, notamment les campagnes et projets menés par les jeunes.
- Fournir aux départements régionaux de l’éducation des ressources pour organiser des campagnes locales de sensibilisation, afin de mettre un terme à la culture du silence autour de l’exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus à l’école.
Assurer l’accès des jeunes à des services de santé sexuelle et reproductive adaptés aux jeunes
- Impliquer les élèves et les jeunes dans les campagnes de sensibilisation locales pour mettre fin à la culture du silence autour de l’exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus liés à l’école, ainsi que des abus des conducteurs, des militaires et autres adultes qui exploitent des enfants à l’école ou lors d’activités scolaires.
- Dans le cadre des campagnes locales, les écoles devraient veiller à ce que les élèves disposent des connaissances et des outils nécessaires pour remettre en question la violence et la discrimination sexiste et comprendre ce qui constitue l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, afin qu’ils puissent les identifier et les signaler.
- Fournir un soutien aux écoles pour organiser des campagnes de sensibilisation et des formations régulières sur la protection de l’enfance, les droits de l’enfant et les moyens de lutter contre les stéréotypes et la discrimination sexistes.
- S’assurer que les centres de conseil pour adolescents (CCA) disposent des ressources et du personnel nécessaires pour pouvoir fournir un service de qualité aux jeunes qui ont besoin d’informations et de conseils sur la sexualité et la reproduction. Pour accroître la couverture pour un plus grand nombre d’adolescents, veiller à ce que les centres de conseil disposent de programmes d’information réguliers ou de guichets uniques dans les zones rurales et isolées.
- Veiller à ce que les centres de santé ne stigmatisent pas les adolescents sexuellement actifs et disposent d’un personnel médical qualifié pour fournir des services de santé exhaustifs et confidentiels aux adolescents.
- Développer l’accès à des services juridiques et à un soutien psychosocial gratuits dans les zones rurales, en travaillant avec, et en soutenant financièrement, les organisations nationales de la société civile qui fournissent ces services professionnels.
Modifier et / ou adopter des lois pour renforcer la protection des enfants touchés par les abus
Modifier le Code pénal pour :
- Inclure une disposition précisant l’âge minimum du consentement à l’activité sexuelle, égal pour tous les enfants, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains et aux meilleures pratiques.
- Inclure une infraction pénale spécifique pour un adulte ayant des relations sexuelles avec des enfants en dessous de l’âge minimum du consentement.
- Présenter et adopter rapidement le projet de Code de l’enfant, notamment des articles visant à élever l’âge minimum du mariage à 18 ans pour les garçons et les filles.
• Modifier l’article 111 du Code de la famille et l’article 300 du Code pénal afin d’élever à 18 ans l’âge minimum du mariage pour les garçons et les filles, et prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les mariages d’enfants.