Aida, Aide Echange et Développement est une organisation non gouvernementale pour le développement qui travaille pour améliorer la qualité de vie des populations les plus défavorisées des pays en voies de développement et faire des Droits de l’Homme une réalité universelle.
Janvier 2016
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Comme énoncé dans la résolution sur la participation des femmes à la vie politique de l’Assemblée générale des Nations Unies en 2011, quelle que soit la région du monde considérée, « les femmes restent largement absentes de la sphère politique, souvent en raison de lois, de pratiques, de comportements et de stéréotypes sexistes discriminatoires, et parce qu’elles ont un faible niveau d’éducation, qu’elles n’ont pas accès aux soins de santé et qu’elles sont beaucoup plus touchées que les hommes par la pauvreté »
Néanmoins, la participation égalitaire des femmes à la vie politique joue un rôle central dans le processus général d’avancement des femmes et d’un développement durable fondé sur l’élimination des inégalités, comme déjà souligné dans les recommandations de la plateforme d’action de Beijing: la participation égalitaire des femmes dans la prise de décision n’est pas seulement une exigence de justice ou démocratie, mais doit être considérée aussi comme condition nécessaire pour que les intérêts des femmes soient pris en compte.
Sans la participation active des femmes et l’incorporation des perspectives des femmes dans tous les niveaux de prise de décision, les objectifs d’égalité, développement et paix ne pourront pas être poursuivis ».
La participation égalitaire des femmes dans la prise de décision n’est pas seulement une exigence de justice ou démocratie, mais doit être considérée aussi comme condition nécessaire pour que les intérêts des femmes soient pris en compte
Cela est encore plus vrai si l’on regarde au niveau local. Des nombreuses études qualitatives mettent en évidence les enjeux de développement liés à une meilleure représentativité des femmes dans les gouvernements locaux.
De façon plus générale, le lien entre l’accroissement de la présence des femmes parmi les élus et la défense des intérêts des femmes est mis en évidence. C’est pourquoi, il est avancé qu’une meilleure représentativité des femmes est synonyme de meilleure gouvernance.
La loi sur la parité
L’Assemblée Nationale a voté le 28 mai 2010 la loi 2010-11 instituant la parité absolue homme-femme dans les instances électives et semi-électives, représentant un tournant majeur dans un pays où les droits des femmes souffrent encore de lourdes contraintes.
La loi a été suivie en juin 2011 du décret 2011-819 portant l’application de la loi, spécifiant les champs de compétences de la parité, à savoir les conseils régionaux, municipaux et ruraux, leurs bureaux et leurs commissions, le parlement, son bureau et ses commissions, le bureau du congrès du parlement, le bureau du Conseil économique et social et ses commissions.
Tenue après l’adoption de la loi sur la parité sénégalaise, l’élection de 2012 a amené 43% de femmes à l’Assemblée nationale du pays, alors qu’avant ce scrutin elles sont à 22%. Cette loi a amené le Sénégal en tête des classements sur la représentation politique des femmes.
Si les facteurs institutionnels sont favorables à l’avancé des droits des femmes, comme on verra par la suite les facteurs socio-économiques, culturelles continuent à entraver l’application réelle de ces principes.
Tant que les femmes continueront à être discriminées dans l’accès à l’éducation, dans la division des rôles selon le genre et dans l’accès aux ressources et aux activités productives, les droits politiques qui leur sont octroyés ne pourront que rester formels
En fait, il faut tenir en compte que l’égalité de genre dans la participation et représentation politique dépend de l’égalité de genre dans d’autres domaines et tant que les femmes continueront à être discriminées dans l’accès à l’éducation, dans la division des rôles selon le genre et dans l’accès aux ressources et aux activités productives, les droits politiques qui leur sont octroyés ne pourront que rester formels.
Il existe une volonté politique de promouvoir l’intégration du genre dans les politiques publiques sénégalaises et les facteurs institutionnels qui devraient garantir la protection et promotion de l’égalité homme-femme sont en place, tels que la déjà discutée la Loi sur la Parité, mais aussi un Ministère dédié, la création de cellules genre dans les ministères sectoriels ainsi que l’intégration du genre dans leurs activités, l’existence d’une stratégie nationale pour légalité et l’équité de genre (SNEEG).
Les femmes et les hommes jouent des rôles différents dans les activités productives rurales : les femmes se consacrent en priorité à la culture et commercialisation des produits maraîchers, de lait, à la riziculture pluviale, la transformation de produits agricoles et l’élevage de petits ruminants ; des activités servant d’abord à la consommation familiale et à faible rentabilité.
Les hommes sont plutôt actifs dans des activités plus rentables et destinées à la commercialisation, notamment dans les cultures de rentes, l’élevage de gros et petits ruminants. L’accès des femmes aux moyens de production reste également faible.
La constitution accorde à « l’homme et à la femme le droit d’accéder à la possession et à la propriété de la terre ». Le droit coutumier limitant l’accès des femmes à la terre est bannit par la constitution mais continue d’entraver l’héritage des femmes dans plusieurs régions.
Dans la pratique, un faible nombre de femmes sont propriétaires et elles ont peu accès aux ressources productives (ressources pour élevage, pêche, pesticides, engrais, semences, équipements etc.).
C’est dans ce cadre qu’on a décidé d’enquêter sur comment une loi progressiste comme celle sur la Parité se traduit en pratique dans un contexte imprégnée de fortes inégalités de genre comme celui de la Région de Kolda, en analysant l’activité des femmes élues au niveau local et leur niveau de connaissance, compréhension et participation active aux activités des communes.
Profil des femmes élues
Les femmes élues interviewées étaient majoritairement d’ethnie peule (79%), avec une présence plus réduite de femmes mandingues (13%), sarakolé, diahanké. Elles sont presque toutes mariées et mères de plusieurs enfants (en moyenne 5,6), leur activité principale étant celle agricole, avec une partie d’elles engagée dans des petits commerces informels. Un nombre plus restreint exerce une profession formelle (infirmière, trésorière du poste de santé, sage-femme, enseignante).
Parmi les femmes élues, une grande majorité (71%) a une expérience de leadership hors de la politique, notamment en tant que présidente de groupement de promotion féminine au niveau du village. Le reste des femmes interviewées sont membres simples de groupement, seulement une minorité n’appartenant à aucun groupement.
Niveau d’éducation
En ce qui concerne la scolarisation, le niveau général des femmes élues est très bas. La plupart d’entre elles n’est pas scolarisée (67%) ; une autre partie a entamé l’école primaire sans la terminer (21%) ; une minorité a entamé l’école secondaire sans la terminer (8%). Une seule femme parmi les interviewées a obtenu le bac.
Une des données plus remarquable concerne le décalage entre le niveau d’alphabétisation des femmes élues et celui des hommes élus. Sur la base de listes des élu-es des six collectivités locales fournies par les maires ou leurs collaborateurs, il a été possible de comparer les niveaux d’alphabétisation des hommes élus et des femmes élues.
Les données sont similaires dans toutes les communes, avec d’un côté une majorité de femmes qui ne sont pas alphabétisées, et de l’autre une grande majorité d’hommes qui le sont (soit en français, en arabe ou en langues locales).
Trajectoire politique
La plupart des femmes élues interviewées (75%) se trouvent dans leur première expérience dans la représentation politique, alors que pour les restantes (25%) il s’agit du deuxième mandat en tant qu’élues dans les conseils municipaux.
D’après ce qu’elles ont reporté, cela reflète la situation générale de représentation des femmes en politique avant l’entrée en vigueur de la loi sur la parité : les femmes qui siégeaient dans les conseils municipaux étaient seulement 3 ou 4 par commune.
En ce qui concerne la participation au sein des partis, par contre, les femmes étaient déjà présentes en tant que militantes ou plutôt « mobilisatrices » lors des campagnes électorales. Elles affirment en fait que avant, elles faisaient le travail pour les partis (surtout préparer à manger lors des rassemblements de propagande…) mais leur participation s’arrêtait à ce niveau.
Concernant les partis politiques d’appartenance, les principaux partis sont tous représentés par les femmes élues. A noter qu’une grande partie des femmes interviewées ne connaissait pas le nom officiel du parti dont elle est membre, en utilisant pour le désigner au nom du représentant local ou national du parti (i.e. « le parti de Macky Sall »).
Cette conception relationnelle et personnaliste du politique ressort à la fois dans les parcours politiques des femmes et dans leur modalité d’approche au politique. Interrogées autour des circonstances de leur engagement en politique, certaines ont affirmé d’avoir été poussées par le désir de s’engager dans un domaine où les femmes sont traditionnellement absentes, au détriment de la prise en compte de leurs intérêts dans la prise de décision : selon l’expression d’une femme, «tout ce qui est décidé derrière toi/à ton insu, est contre toi ».
En fait, à part certains cas plutôt rares, la majeure partie des propos concernant les motivations qui ont poussé les femmes à (accepter de) rentrer en politique, relèvent des attentes de pouvoir ainsi satisfaire les besoins fondamentaux de leur famille ou communauté.
A noter enfin que même pour les femmes qui sont recrutées par des hommes externes à leur milieu familial, la permission du mari est nécessaire avant qu’elle puisse prendre un engagement quelconque : la participation des femmes à la vie publique continue à passer par l’intermédiation de son père ou de son mari.
Distribution des postes de décision au sein des collectivités locales
Si la loi sur la parité a permis aux femmes de rentrer dans les conseils municipaux, il n’est pas autant pour les postes de pouvoir au sein des collectivités locales, encore prérogative presque exclusive des hommes.
Malgré la loi sur la parité, les inégalités de genre persistent : la distribution selon le genre des positions dans la hiérarchie politique reste inégale (ségrégation verticale), ainsi que l’accès des femmes dans un éventail de commissions et portefeuilles (ségrégation horizontale).
Ceci signifie qu’à l’accès des femmes à la représentation politique formelle n’a pas suivi un changement dans la représentation symbolique, même si des études montrent que l’accès des femmes à la représentation entraine généralement des changements politiques culturels dans le sens de l’acceptation des femmes en tant que leaders politiques.
« Sur le texte il y a la parité, mais dans la réalité rien n’a changé, c’est comme avant en fait. Ici le maire c’est un homme, les deux vice-présidents sont des hommes. A nous les femmes on nous a confié des commissions mais on ne travaille pas en fait dans les commissions. Etre la présidente est figuratif. On ne connait pas exactement ce qui se passe à l’intérieur. C’est sur le papier, mais après on ne fait rien dans les commissions… on ne nous explique rien. On a voté le budget par exemple, et depuis lors on ne sait pas quelles dépenses ont été effectuées, quelles sont les réalisations qu’on a fait. Depuis lors on n’a pas convoqué une réunion pour rendre compte ».
Ce témoignage aborde la question de la formalité de la participation des femmes, lamentée à plusieurs reprises par les interviewées, et nous amène au sujet suivant, celui de la qualité de la participation des femmes élues, qu’on explore dans le prochain paragraphe.
Participation des femmes élues à la prise de décision
Pour essayer de mesurer le niveau de participation des femmes élues aux activités des municipalités et donc à la prise de décisions, deux indicateurs principales ont été choisis : la soumission de propositions au conseil municipal et la prise de parole au cours des débats en assemblée.
C’est les hommes qui décident, nous sommes là seulement pour donner le consensus.
Concernant la soumission de propositions, 21% des femmes ont déclaré avoir soumis au moins une proposition, le restant 79% n’ayant jamais soumis une proposition au conseil. Concernant la participation au débat, 8% des femmes ont déclaré prendre la parole à chaque réunion du conseil municipal, 50% rarement et 42% jamais.
L’impression générale des femmes est celle d’être marginalisées par rapport à leur collègues hommes, de n’avoir pas les mêmes opportunités d’exprimer leur opinion ni d’être écoutées. En fait, 80% ont affirmé qu’il n’existe pas d’égalité réelle dans la participation à la prise de décision : « c’est les hommes qui décident, nous sommes là seulement pour donner le consensus. »
Certaines affirment en fait qu’elles ne sont consultées que dans la phase finale du processus décisionnel, parfois d’une façon purement formelle, n’étant pas impliquées dans le processus de définition de l’agenda ou des priorités. Donc les femmes sont appelées à exprimer consensus ou opposition, mais dans un cadre où les règles du jeu sont déjà établies sans qu’elles en soient au courant.
A partir des propos des femmes interviewées, par la suite sont illustrés les principaux facteurs responsables, d’après elles, des inégalités relevées dans la participation aux processus décisionnels.
Niveau limité d’éducation des femmes
Beaucoup des femmes ont indiqué leur “manque de connaissance” comme la cause plus importante de leur incapacité à participer activement aux processus décisionnels.
le manque de scolarisation des femmes entraine une sorte d’autocensure, liée aussi aux représentations culturelles selon lesquelles ceux qui ont plus de savoir et d’expérience jouissent d’un statut plus élevé et ont le rôle de guider les autres
Ce manque de connaissances est décliné en plusieurs formes, telles que le manque d’éducation et de scolarisation qui les rendrait incapables d’un côté de maitriser de façon indépendante les outils du métier (lire des documents, mais aussi signer les verbaux et autres documents), et qui de l’autre côté les situerait dans une position subordonnée par rapport à ceux qui par contre, forts de leurs études et connaissances, ont le plein droit à être écoutés et au respectés.
« Même si j’ai des idées, je n’ai pas étudié. Donc ceux qui ont un niveau plus élevé que moi, s’accaparent la parole et mes propos ne sont pas du tout considérés ». « Comme on n’a pas étudié notre parole n’est pas considérée ».
Comme le montrent ces témoignages, le manque de scolarisation des femmes entraine une sorte d’autocensure, liée aussi aux représentations culturelles selon lesquelles ceux qui ont plus de savoir et d’expérience jouissent d’un statut plus élevé et ont le rôle de guider les autres.
Manque de connaissances des sujets traités
« Ce sont les hommes seulement qui parlent. Si les femmes parlent, les hommes ne les écoutent pas. On n’a pas été formées ! Maintenant, on est assises là-bas comme des meubles. Qu’est-ce que tu peux faire si tu n’as pas reçu une formation ? Tu ne sais même pas de quoi il s’agit. Nous sommes là pour la forme ».
Comme il ressortit de ce témoignage, le manque de connaissances est entendu aussi comme un manque de formation spécifique sur les sujets techniques qui sont abordés dans le travail des conseiller(e)s, ce qui empêcherait les femmes de juger avec conscience et s’exprimer avec autorité sur les sujets qui font l’objet de leur travail d’élues.
Notamment, les femmes interviewées ont montré un niveau limité de compréhension des affaires concernant la gestion du budget et des finances, l’aménagement territorial, d’autres questions liées au développement local et de certaines thématiques comme celle du genre (la présidente de la commission “genre” d’une commune ne savait même pas de quoi il s’agissait).
Les maires des communes ciblées, interpellés dans une réunion d’échange d’expériences, ont confirmé que la plupart des femmes élues apparaissent désorientées lors des discussions de sujets techniques et ont reporté que certaines d’entre elles, lors des votations, regardent ce que le maire ou les autres membres de leur parti font et les imitent, étant évidemment incapables de prendre une décision autonome sur un sujet qu’elles ne maitrisent pas.
Manque de considération et reconnaissance de la part des autres sujets impliqués dans le processus
Certaines des femmes interviewées ont raconté que même quand elles prennent la parole, souvent elles ne sont pas écoutées. L’un des facteurs de leur manque d’incidence est qu’elles ne sont pas reconnues comme actrices de plein droit dans la sphère politique et publique en sens large.
Elles sont perçues comme des spectatrices forcées par la loi à rentrer dans les chambres du pouvoir, sans qu’aucun mécanisme ne soit mis en place pour les mettre en mesure de jouer un rôle actif.
Manque de confiance en soi
En outre des perceptions que les hommes ont d’elles, les femmes ont intériorisé les stéréotypes qui concernent les rôles de genre. Selon ces représentations encore largement acceptées, comme on a vu dans le chapitre introductif, les femmes seraient censées s’occuper de la sphère domestique et des activités reproductives, et même dans la sphère privée le contrôle des ressources et le pouvoir décisionnel reviennent aux hommes.
Elles-mêmes ont intériorisé ces idées des rôles de genre, comme le montrent leur propos : « Les femmes ne peuvent pas faire ce que les hommes font. Par exemple, les hommes sont capables de conduire des motos, alors que les femmes ne peuvent pas ».
Ces constructions culturelles et idéologiques légitiment les relations de pouvoir inégales et des pratiques discriminatoires, en les présentant comme quelque chose de naturel. L’opinion commune est que la politique soit un métier pour les hommes, et les inégalités dans la participation aux processus décisionnels relèvent aussi de ce préjugé qui affecte les femmes en les faisant sentir “incapables” ou “inappropriées”.
Elles sont perçues comme des spectatrices forcées par la loi à rentrer dans les chambres du pouvoir, sans qu’aucun mécanisme ne soit mis en place pour les mettre en mesure de jouer un rôle actif
Les femmes élues sont aussi freinées par les facteurs socioculturels qui les mettent souvent dans une position de dépendance économique outre que symbolique par rapport aux hommes de leur famille. N’ayant pas l’autonomie et le pouvoir de négociation dans la sphère privée, il devient encore plus difficile pour elles de pouvoir s’exprimer et négocier dans la sphère publique :
« Les femmes ont peur des conséquences – il faut donner les moyens pour être indépendantes du point de vue financier. Parce qu’elles ont peur de dire ce qu’elles pensent, ou bien elles pensent “ce monsieur-là peut-être va me donner quelque chose”… Si elles pouvaient avoir un peu d’indépendance ce serait bien. Elles seraient aussi plus courageuses ».
« Même pour venir aux réunions elles ont des problèmes, de transport, de moyens… parce qu’elles ne sont pas payées en tant que conseillères. Elles ne peuvent pas laisser seuls les enfants aussi… Elles ont besoin d’activités qui leur amènent un revenu, un peu d’argent, qui signifie aussi un peu de prestige ».
Les résultats du présent diagnostic collectées montrent que si les femmes sont maintenant présentes dans les lieux où les décisions sont prises, leur participation ne se traduit pas dans la majorité des cas en pouvoir décisionnel réel. Différents facteurs sociales, économiques et culturelles les empêchent de valoriser leur présence, relevant de discriminations que les femmes subissent tout au long de leur vie.