Coalition l’Afrique pour les droits des femmes – FIDH
« L’Afrique pour les droits des femmes »est une campagne lancée par des organisations régionales et internationales de défense des droits de l’homme et des droits des femmes présentes dans toute l’Afrique. Le but de cette campagne est de pousser les Etats africains à ratifier les instruments africains et internationaux de protection des droits des femmes et à les respecter en droit et en pratique.
FIDH : La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme créée en 1922, est une organisation non gouvernementale fédérative dont la vocation est d’agir concrètement pour le respect de tous les droits énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 – les droits civils et politiques comme les droits économiques, sociaux et culturels. La FIDH rassemble en 2018, 184 ligues membres dans 112 pays.
Année de publication : 2010
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Introduction
Les Etats réunis à Beijing lors de la quatrième Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes en 1995, déclaraient « les droits des femmes sont des droits humains » et se donnaient pour but de “réaliser l’égalité des droits et la dignité intrinsèque des hommes et des femmes”. Aujourd’hui, cet objectif est loin d’être atteint et l’absence de volonté politique des Etats reste le principal obstacle à toute avancée positive en faveur des droits des femmes.
Ainsi, dans la majorité des Etats africains, les femmes sont encore victimes de nombreuses discriminations, de violences perpétrées à leur égard dès le plus jeune âge, et d’atteintes à leurs libertés fondamentales. Bien que des progrès législatifs aient été obtenus dans certains pays, les pratiques discriminatoires persistent massivement d’un bout à l’autre du continent.
Malgré la ratification par la plupart des Etats africains des instruments internationaux et régionaux de protection des droits des femmes, tels que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), son Protocole facultatif, ou encore le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo), leurs dispositions ne sont, dans leur majorité, pas respectées, soit par déficit législatif, soit par manque de mesures efficaces permettant la mise en œuvre des lois visant à protéger les droits des femmes.
Un « cahier d’exigence » pour porter la cause des femmes
Fruit des enquêtes menées par les organisations nationales dans leurs pays respectifs, le Cahier d’exigences témoigne de la situation des droits des femmes dans plus de trente pays africains, et formule des revendications clés pour éliminer les discriminations et les violences à leur égard. Ces “exigences” s’adressent aux autorités gouvernementales de chaque pays, car renforcer le respect des droits des femmes est avant tout une question de volonté politique.
Cas du Sénégal
Instruments de protection des droits des femmes ratifiés par le Sénégal :
– Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) : ratifiée en 1985
– Protocole à la CEDAW : ratifié en 2000
– Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, Protocole de Maputo : ratifié en 2005
Malgré la ratification par le Sénégal des principaux instruments internationaux et régionaux de protection des droits humains des femmes, force est de constater qu’un nombre important des dispositions de ces instruments n’est respecté ni en droit interne, ni dans la pratique. La Coalition de la campagne est particulièrement préoccupée par : la persistance de dispositions législatives discriminatoires, en particulier dans le Code de la famille; les violences à l’égard des femmes, y compris les pratiques traditionnelles néfastes, telles que les mariages précoces et forcés et les mutilations génitales féminines (MGF) ; leur accès limité à la propriété foncière, à l’éducation, à la prise de décision et à la santé.
Quelques avancées…
La Coalition de la campagne reconnaît quelques développements positifs pour le respect des droits des femmes au cours des dernières années, tels que :
– La nomination de femmes à des postes à haute responsabilité, notamment au niveau du secteur de la justice. Cependant les femmes demeurent largement sous-représentées dans les affaires publiques et politiques.
– L’adoption, en janvier 1999, de la loi modifiant le Code pénal et réprimant plus sévèrement les violences faites aux femmes.
Cette loi définit et sanctionne de nouveaux crimes : l’inceste, le viol, le harcèlement sexuel, l’excision et les violences conjugales.
Cependant la Coalition de la campagne dénonce l’incompatibilité des peines prévues, à savoir des travaux forcés, avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Sénégal en 1978.
– L’élaboration en 2005 de la Stratégie Nationale pour l’Egalité et l’Equité de Genre, s’étendant jusqu’en 2015, articulée autour de la valorisation de la position sociale de la femme et le renforcement de ses potentialités, ainsi que de la promotion économique des femmes en milieux rural et urbain, et la mise en place d’ateliers d’échange et de sensibilisation.
Mais les discriminations et les violences persistent…
Dans la Loi :
La législation sénégalaise demeure profondément discriminatoire, notamment dans
le domaine de la famille. De nombreuses dispositions au sein du Code de la famille de 1972, demeurent discriminatoires:
- L’autorité maritale et parentale :
Selon l’article 152, le mari a le statut de chef de famille et le pouvoir sur le ménage et les enfants. Selon l’article 277, “Durant le mariage [l’autorité parentale] est exercée par le père en qualité de chef de famille”. Il est également prévu que le choix de la résidence du ménage appartienne au mari, la femme étant tenue d’y habiter avec lui et lui de l’y recevoir (art. 153).
Selon l’article 3, “L’enfant légitime porte le nom de son père. En cas de désaveu, il prend le nom de sa mère”.
Selon l’article 4, “L’enfant naturel porte le nom de sa mère. Reconnu par son père, il prend le nom de celui-ci”.
- Le mariage :
Dans le cadre du mariage, la femme est sujette à de nombreuses mesures discriminatoires, à commencer par l’âge minimum légal de mariage, qui selon l’article 111, “ne peut être contracté qu’entre un homme âgé de plus de 18 ans et une femme âgée de plus de 16 ans”. Une femme ne peut se remarier qu’à l’expiration d’un délai de viduité de 300 jours à compter de la dissolution du précédent mariage (art. 112).
L’autorisation du paiement d’une dot par le mari (art. 132), favorise le sentiment de propriété à l’égard de l’épouse. Aussi, bien que l’article 110 prévoit qu’il y a prohibition de mariage entre beau-frère et belle-sœur, il autorise le lévirat et le sororat lorsque l’union qui provoquait l’alliance se trouve dissoute par le décès. Enfin, l’article 133 autorise la pratique de la polygamie.
Selon l’article 375, les charges du ménage pèsent à titre principal sur le mari. En matière de régimes matrimoniaux, si le régime dotal s’applique, selon l’article 385, les biens donnés à la femme lors de son mariage par d’autres personnes que son conjoint et soumis au régime dotal (immeubles, valeurs mobilières déposées à la banque, animaux) sont remis au mari. Il les administre, pendant le mariage, “en bon père de famille”.
Dans la pratique :
- Violences :
Bien que l’article 320 du code pénal de 1999 punisse le viol, il n’est considéré que comme simple délit et non comme un crime. Par ailleurs, en dépit de la loi interdisant la pratique de l’excision sous toutes ses formes (loi N°99 05 de 1999), l’excision demeure très pratiquée (28 % des femmes disent en être victimes sur la période 2002-2007), faute de mesure de sensibilisation. Il en est de même pour les violences conjugales, reconnues et punies depuis 1999, mais socialement toujours acceptées, et dont la prohibition reste encore inconnue d’un grand nombre de femmes.
Les mariages forcés, interdits selon l’article 108 du Code de la famille, ainsi que les mariages précoces sont toujours pratiqués au Sénégal. En outre, les mariages religieux sont toujours très répandus en milieu rural, par méconnaissance et manque d’accès aux mariages civils. Cette persistance des mariages en dehors du cadre légal creuse les discriminations entre hommes et femmes notamment en cas de divorce, délaissant les femmes sans droit de garde de leurs enfants ou de pension du mari.
- Obstacles à l’accès à la propriété foncière :
Bien que le Code de la famille de 1972 attribue un accès égal à la terre aux hommes et aux femmes, l’application de la coutume fait obstacle à l’égalité dans la pratique. La tradition empêche les femmes d’hériter de terres, tout comme elle permet aux maris de s’opposer à leur acquisition de terres.
- Obstacles à l’accès à l’éducation :
Bien que la loi instaure une obligation scolaire des enfants de 6 à 16 ans dispensée gratuitement dans les établissements publics (loi 2004-37 de 2004), les données statistiques mettent en avant une insuffisance dans son application. En plus d’une notable sous-scolarisation avec un taux de fréquentation de l’école primaire de 58 %, 57 % des adultes restent analphabètes, dont une majorité de femmes, défaut de scolarisation expliqué en partie par des motifs économiques et la persistance de mariages précoces. En effet, les jeunes filles sont souvent obligées de travailler pour subvenir aux besoins de la famille.
- Obstacles à l’accès à la santé :
L’accès aux soins notamment prénataux et postnataux reste largement insuffisant notamment en raison des coûts élevés. L’important taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans illustre cette déficience, atteignant près de 12 % en 2007.
La Coalition de la campagne demande aux autorités du Sénégal de :
- Réformer toutes les dispositions discriminatoires du droit interne, en conformité avec la CEDAW et le Protocole de Maputo, et notamment les dispositions du Code de la famille concernant le pouvoir marital, l’autorité parentale, le choix de résidence, la propriété, le divorce, l’âge minimum de mariage, le lévirat, le sororat et la polygamie.
- Renforcer les lois et politiques pour lutter contre les violences à l’égard des femmes et soutenir les victimes, notamment en adoptant une loi spécifique criminalisant toutes formes de violence ; en renforçant l’accueil et le soutien aux femmes victimes de violences (services adaptés, création de structures d’accueil); en favorisant leur accès à la justice, par la mise en place de services d’écoute téléphoniques gratuits, de formation du personnel judiciaires, services de police et médicaux spécialisés et de services d’aide juridique ; et en mettant en place des programmes de sensibilisation de la population.
- Renforcer les mesures visant à améliorer l’accès des femmes à l’éducation et à la formation en instaurant un mécanisme strict de suivi de l’éducation primaire des filles afin d’assurer leur maintien à l’école, notamment dans les zones rurales.
- Renforcer les mesures visant à améliorer l’accès des femmes à la santé, en portant une attention particulière à la situation des femmes en zones rurales.
- Mettre en place des programmes de sensibilisation aux droits des femmes auprès de la population, afin d’éliminer les stéréotypes et traditions discriminatoires.