Division de la recherche et de la documentation de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides
Septembre 2016
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Les lois réprimant le mariage précoce
Le mariage d’enfant n’est sanctionné que par le juge civil par l’annulation du mariage, mais devant le juge pénal, aucune sanction n’est prévue, sauf le cas où le mari consomme le mariage sur une mineure de moins de 13 ans, aux termes de l’article 300 du Code Pénal sénégalais.
S’il en résulte pour l’enfant des blessures graves, une infirmité, même temporaire, ou si les rapports ont été accompagnés de violences, le coupable sera puni d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans.
Prévalences
Selon un rapport du ministère sénégalais de la femme, de la famille et de l’enfance : « défini comme un mariage coutumier, religieux ou légal de tout être âgé de moins de 18 ans, le mariage d’enfant a lieu avant qu’une fille ou un garçon ne soit physiquement et psychologiquement prêt à assumer les responsabilités du mariage et de la maternité ».
Cependant, les dispositions du Code de la famille en vigueur fixant l’âge minimum légal à 16 ans pour une fille et autorisant le mariage d’une personne mineure à condition que soit justifié le consentement au mariage par la personne exerçant la puissance paternelle à son égard ne correspondent pas à cette limite d’âge.
D’après le rapport de l’UNICEF State of the World’s Children 2016, 32% des femmes sont mariées avant l’âge de 18 ans et 9% sont mariées avant l’âge de 15 ans au Sénégal.
Le gouvernement sénégalais plaide contre le mariage des enfants, mais la pratique est souvent enracinée dans la tradition. Les données n’indiquent pas qu’une certaine tradition religieuse serait plus à même qu’une autre de pratiquer les mariages précoces. Aucune affiliation religieuse particulière n’y est associée. Cependant, à ce jour, les chefs religieux ne se sont pas montrés de fervents opposants à cette pratique.
D’après le rapport de l’UNICEF State of the World’s Children 2016, 32% des femmes sont mariées avant l’âge de 18 ans et 9% sont mariées avant l’âge de 15 ans au Sénégal
L’autre contrainte majeure relevée par le ministère de la femme, de la famille et de l’enfance du Sénégal est relative au déficit de données sur le phénomène des mariages précoces et des mariages forcés au Sénégal.
Citant un rapport publié en 2012 par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, l’agence de presse Inter press service rapporte que le mariage des filles avant 18 ans constitue une pratique répandue au Sénégal, avec 16% des femmes mariées avant l’âge de 15 ans 38.
Selon le rapport susmentionné, 40% des femmes sénégalaises ont été mariées avant l’âge de 18 ans ; 78% l’ont été avant l’âge de 25 ans. Au Sénégal, l’âge médian du mariage pour les femmes âgées de 25 à 49 ans est de 19,3 ans. Il est de 19,6 ans pour les femmes ayant entre 20 et 49 ans 39.
D’après Fatou Kiné Camara, Secrétaire générale adjointe de l’Association des juristes Sénégalaises (AJS) : « les mariages précoces touchent les filles âgées entre 7 et 14 ans au Sénégal ». Ainsi, 9 % d’entre elles sont mariées en milieu urbain et le reste en milieu rural.
Les conséquences des mariages précoces
Selon des sources issues du ministère de la femme, de la famille et l’enfance du Sénégal, les femmes qui sont mariées jeunes sont plus exposées aux violences, aux abus et aux rapports sexuels forcés.
Les jeunes filles mariées sont également plus vulnérables aux infections sexuellement transmissibles (IST), y compris le VIH, et leur accès aux services de santé sexuelle et reproductive est relativement faible. Les filles tombant enceintes jeunes ont des risques accrus de mortalité et de morbidité maternelle.
Les grossesses dans les années suivant la puberté augmentent le risque de fausses- couches, de dystocies, d’accouchements difficiles, d’hémorragies post-partum, d’hypertension artérielle gravidique et de pathologies chroniques graves, comme la fistule obstétricale, et leurs nourrissons sont davantage exposés aux risques de mortalité.
Le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance du Sénégal confirme que les filles mariées précocement abandonnent fréquemment leurs études en cas de grossesse.
Variations selon l’origine géographique
Les femmes vivant en milieu urbain se marient plus tardivement que les femmes originaires des régions rurales (respectivement 21,5 ans et 17,7 ans, parmi les femmes âgées de 25 à 49 ans).
Les différences régionales de l’âge médian à la première union sont importantes : à Dakar (22,4 ans), à Ziguinchor (22 ans), Kédougou (16,4 ans), Kolda (16,5 ans) et Matam (16,7 ans).
Influence des facteurs socio-économiques sur l’âge au premier mariage
L’âge médian du mariage au Sénégal est de 17,9 ans chez les jeunes filles n’ayant pas eu accès à l’éducation, tandis qu’il s’élève à 21.5 ans chez les femmes ayant atteint le niveau primaire.
Par ailleurs, l’âge médian au mariage augmente selon le niveau économique : à 23,2 ans, il est plus tardif chez les femmes issues des milieux les plus aisés, tandis que l’âge médian à la première union pour les femmes issues des foyers les plus modestes est de 16,5 ans.
Associations et services de soutien
Plusieurs groupes de soutien issus de la société civile travaillent sur la question des mariages précoces et forcés au Sénégal, notamment :
– Le Groupe de recherche sur les femmes et les lois au Sénégal (GREFELS) se décrit comme une organisation féministe apolitique fondée en 1994 et engagée dans la promotion des droits des femmes. Elle mène des campagnes pour l’accès à la santé sexuelle et reproductive, la lutte contre le mariage forcé, les violences domestiques et le trafic d’êtres humains.
– L’ambition à l’origine de l’Association des juristes Sénégalaises (AJS), créée en 1974, était d’instaurer un cadre de réflexion et d’échanges sur la situation des droits des femmes et des enfants au Sénégal. L’association organise des activités de plaidoyer, des formations et offre un service d’assistance téléphonique afin de sensibiliser les membres des groupes vulnérables à leurs droits.
– Tostan est une organisation non-gouvernementale, créée en 1991 au Sénégal, œuvrant pour le changement social par le biais du renforcement des capacités communautaires. Ses programmes d’intervention comprennent notamment la sensibilisation des communautés aux mariages précoces, aux mariages forcés et à l’excision auprès de 176 communautés situées dans 10 régions au Sénégal.
– Le Centre national de protection des enfants « Ginddi » est une structure d’accueil située à Dakar pour les enfants en situation de vulnérabilité sociale, d’abus ou d’isolement accueillant temporairement les femmes et les filles victimes de mariages précoces ou forcés.
Les actions menées par la société civile
Le Sénégal a eu essentiellement recours à des programmes de plaidoyer et à la mobilisation communautaire. Le succès des programmes de sensibilisation au Sénégal est dû à la mobilisation des communautés au sein de programmes mettant l’accent sur les conséquences négatives du mariage précoce.
En 2013, dans le cadre du programme de mobilisation communautaire de l’ONG Tostan, les représentants de 427 communautés du Sénégal méridional se sont publiquement engagés à abandonner les pratiques du mariage précoce et forcé et de l’excision. Parmi les bonnes pratiques figuraient : la participation des hommes et l’engagement des chefs culturels, communautaires et religieux, les programmes intégrés, le leadership des ONG et des réseaux pour mettre les interventions en place.
En 2014, l’ONG caritative World Vision, présente au Sénégal depuis 1975, a lancé un projet de trois ans et demi, le « Programme de protection et participation des enfants du Sénégal » (SCPP), qui encourage les initiatives communautaires s’occupant notamment des mariages précoces par le biais de l’art, de marches et la création de partenariats.
En 2015, World Vision a ainsi formé un partenariat avec le Réseau des parlementaires sénégalais pour la protection des enfants contre les violences et abus (PEVA) pour renforcer les politiques de protection de l’enfance.
Attitude des autorités
Efforts dans le domaine de la prévention du mariage précoce
Suivant les recommandations du Conseil des droits de l’Homme de relever l’âge légal du mariage pour la femme à 18 ans, et d’inclure cette nouvelle disposition dans le Code pénal qui réprime le mariage précoce, le projet de loi Code de l’enfant, a corrigé l’article 111 du Code de la famille, jugé discriminatoire à l’égard de la femme.
Le projet Code de l’enfant vise notamment à intégrer les besoins spécifiques des filles aux politiques publiques et aux programmes visant les enfants. L’article 50 dudit Code énonce : « Le mariage d’enfant et la promesse de jeunes filles et garçons en mariage sont interdits. L’âge minimum requis pour le mariage est de 18 ans, aussi bien pour les filles que les garçons ».
Niokhobaye Diouf, Directeur des Droits, de la protection de l’enfance et des groupes vulnérables soutient que le document répondra au souci « d’harmoniser la loi interne par rapport aux conventions et traités internationaux auxquels le Sénégal a souscrit. Il y a beaucoup de domaines où il faudrait harmoniser la protection de l’enfance par rapport à ces conventions. Par exemple, par rapport à l’âge légal du mariage, la jeune fille est autorisée à se marier à 16 ans alors que pour le garçon, c’est 18 ans.
Le Code vient apporter des correctifs et relever le niveau de protection de l’enfant à travers un dispositif juridique beaucoup plus adéquat », a-t-il expliqué.
L’article 77 du projet de loi portant Code de l’enfant abrogerait ainsi toutes les dispositions contraires contenues dans la législation interne. Le projet de loi, présenté le 19 janvier 2016 à l’Assemblée nationale et au Conseil économique, social et environnemental devra encore surmonter l’opposition des groupes conservateurs, opposés notamment à l’article 50 fixant l’âge minimum au mariage à 18 ans, pour être adopté par les législateurs.
Le gouvernement du Sénégal s’est, par ailleurs, engagé à réviser le Code pénal et le Code de procédure pénale.
Accès à la justice
Selon la représentante de l’Association des juristes Sénégalaises, la personne victime de mariage forcé peut effectivement demander aide et protection des autorités policières et/ou judiciaires et toute personne ayant connaissance de ce mariage forcé peut le dénoncer auprès de l’autorité compétente.
Ces actes de violence ne font généralement pas l’objet de poursuites judiciaires. Une personne victime de mariage précoce ne se rend que rarement devant le juge. Elles ont tendance à s’y résigner
Hormis les autorités policières et juridiques, il existe des structures qui militent pour les droits humains, particulièrement le droit des femmes et des enfants, et ces structures peuvent être saisies en cas de mariage forcé pour un accompagnement juridique.
La plupart des mariages forcés demeurent pourtant incontestés.
D’après Lamine Sané, enseignant dans la région de Sédhiou : « ces actes de violence ne font généralement pas l’objet de poursuites judiciaires. Une personne victime de mariage précoce ne se rend que rarement devant le juge. Elles ont tendance à s’y résigner ».