Article publié dans la revue « Population » de Cairn.info
2016
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Les mutilations génitales, appelées aussi mutilations sexuelles féminines, désignent « toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme et/ou toute autre lésion des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non thérapeutiques » (Organisation mondiale de la santé, 1997). Elles ont des conséquences délétères sur la santé sexuelle et reproductive.
En 1958, alors que l’ONU se saisit pour la première fois de ce sujet, ces pratiques vont être décrites comme « des opérations rituelles fondées sur la coutume », terminologie reprise par l’OMS un an plus tard (OMS, 1959). Ce n’est qu’à partir du milieu des années soixante-dix, sous l’influence des mouvements féministes, que le prisme par lequel ces pratiques vont être appréhendées va changer, rejetant complètement le parallélisme avec la circoncision masculine et mettant en exergue les conséquences néfastes sur la santé des femmes et des fillettes.
Ces pratiques sont désormais appréhendées comme une forme de violation des droits humains et une atteinte grave à la santé, et sont qualifiées de « mutilations ». Depuis 2013, l’Unicef a adopté la terminologie de Female Genital Mutilation/Cutting (FGM/C dans sa version anglophone) et de « mutilations génitales féminines/excision » (MGF/E) dans sa version francophone.
Les MGF touchent à la fois à des enjeux de discriminations, de droits humains et du droit à la santé, et à des enjeux de santé publique en termes de prévention des risques pour les petites filles et de santé sexuelle, reproductive et maternelle pour les femmes ayant subi une MGF. C’est à ces titres que les institutions internationales se sont fortement impliquées depuis les années 1990.
De la circoncision féminine aux mutilations génitales féminines
Origines et évolutions des pratiques
L’origine des mutilations génitales féminines, tant au niveau historique que géographique, n’est pas précisément connue. L’hypothèse partagée par plusieurs spécialistes selon laquelle la pratique serait née au Proche-Orient et dans la péninsule arabique, puis se serait propagée sur le continent africain par la circulation des marchands arabes, est très incertaine. Ce qui semble admis à ce jour est l’ancienneté de la pratique, qui pourrait remonter à l’Égypte antique, et dont l’origine serait située dans l’actuel Soudan et l’Égypte.
Selon Mackie , les mutilations génitales féminines se seraient diffusées à partir de la côté ouest de la mer Rouge (dans l’Égypte actuelle) vers les régions limitrophes africaines du sud et de l’ouest. En dépit de cette origine relativement incertaine, il semble avéré que la pratique des mutilations sexuelles féminines est bien antérieure à la naissance et à l’expansion de l’islam en Afrique même si des justifications religieuses ont pu être ensuite avancées pour légitimer la pratique.
Rite de passage ou pratique inscrite dans un système inégalitaire de rapports entre sexes ?
Les mutilations sexuelles féminines ont été surtout analysées comme des rites de passage, selon le modèle interprétatif tripartite (séparation de l’individu et de son groupe, mise en marge puis réintégration). Dans ce type d’approche que l’on retrouve appliquée à différentes régions africaines, l’excision est considérée comme le pendant de la circoncision masculine et est d’ailleurs souvent dénommée « circoncision féminine » afin de mettre en avant le caractère analogue des deux pratiques considérées comme des marqueurs de genre, de classe d’âges et parfois d’appartenance ethnique.
À partir des années 1970, alors que les luttes féministes contre l’excision sont particulièrement virulentes, ces approches vont être profondément remises en question, contestant l’équivalence de la circoncision et de l’excision, leur cadre théorique commun, et réinscrivant la question des mutilations sexuelles féminines dans la question plus générale des rapports sociaux entre les hommes et les femmes.
Tout d’abord, en termes d’atteinte à l’intégrité corporelle, les mutilations sexuelles féminines ne sont pas équivalentes à celles pratiquées sur les hommes. En outre, alors que les rituels de circoncision masculine sont présentés comme des rituels collectifs, fortement valorisés socialement, ceux liés à l’excision, sont le plus souvent présentés comme un rite « abrégé » familial et centré sur l’individu.
Mais c’est surtout à partir des différentes justifications de la pratique – ambivalence sexuelle ou androgynie originelle à supprimer, impératif de « purification », condition nécessaire au mariage puis à la procréation, obligation de maitrise des pulsions sexuelles pour préserver la virginité de la jeune femme puis la fidélité de l’épouse – que l’excision peut être rattachée à la question de la représentation de la féminité et plus largement à celle des rapports sociaux entre les sexes.
L’excision est considérée comme le pendant de la circoncision masculine et est d’ailleurs souvent dénommée « circoncision féminine » afin de mettre en avant le caractère analogue des deux pratiques considérées comme des marqueurs de genre, de classe d’âges et parfois d’appartenance ethnique
Au-delà de la variété des discours entourant les mutilations sexuelles féminines, il est possible d’en dégager une logique commune qui n’inscrit pas seulement la pratique dans l’impératif de la reproduction biologique (via le mariage et la procréation) mais aussi dans celui de la reproduction sociale, le marquage sexuel traduisant le marquage des rôles sociaux de chaque sexe.
Dans de nombreuses sociétés, le clitoris représente la « partie masculine » dont est pourvu le sexe féminin à la naissance, représentation que l’on retrouve d’ailleurs dans les mythes de l’androgynie ou de la bisexualité originelle. L’ablation du clitoris est donc jugée nécessaire pour inscrire le corps des femmes dans leur entière féminité (notamment dans leur capacité exclusive à la reproduction) mais également pour les replacer dans une situation de subordination à l’ordre masculin et rendre possible l’exercice de l’autorité masculine, symbolisée par le clitoris, équivalent de la verge.
L’excision vise en effet à déviriliser la femme pour réduire son pouvoir au contraire de la circoncision qui sur-virilise l’homme pour accroître son pouvoir
En reprenant l’analyse de Pierre Bourdieu sur les rites d’institution, terme qu’il préfère à celui de rites de passages, l’excision apparaît bien comme une pratique rituelle permettant de légitimer la différence entre les sexes, différence systématiquement inscrite dans des rapports sociaux inégalitaires : l’excision vise en effet à déviriliser la femme pour réduire son pouvoir au contraire de la circoncision qui sur-virilise l’homme pour accroître son pouvoir.
Cette perspective, qui dénonce une violence faite aux femmes et réinscrit la pratique des MGF dans la construction des rapports inégalitaires entre les hommes et les femmes, n’est pas parvenue à complètement déculturaliser la pratique. Par la suite, elle a été progressivement analysée, non seulement sous l’angle de l’imposition des normes sociales patriarcales, mais aussi en termes d’intégrité du corps et de liberté sexuelle.
Classifier les différentes formes de mutilations
Le but de cette typologie internationale est de proposer un outil pour l’étude des conséquences de ces mutilations, d’assurer une mesure plus fine de l’évolution de la prévalence et des pratiques, de faciliter le diagnostic par les professionnels de santé lors des examens médicaux, de fournir un cadre de référence dans le traitement juridique de la question.
La classification actuelle de l’OMS
Depuis 2008, l’OMS préconise donc de catégoriser les mutilations génitales féminines en 4 types principaux définis en fonction du type d’acte pratiqué au moment de la mutilation :
– Le type I souvent qualifié de clitoridectomie (ablation partielle ou totale du prépuce et du gland du clitoris) ;
– Le type II souvent qualifié d’excision (ablation des petites lèvres et du gland) ;
– le type III souvent qualifié d’infibulation (rétrécissement de l’orifice vaginal avec accolement par suture des grandes lèvres, avec ou sans ablation du clitoris);
– le type IV qui regroupe les autres formes moins fréquentes (incisions, cautérisations, scarifications).
Les mutilations les plus fréquemment pratiquées sont celles de type I et II. En Afrique de l’Ouest, il s’agit de mutilations plutôt de type II tandis que les mutilations de type III, plus rares, sont essentiellement localisées à l’est du continent africain.
Prévalences régionales des mutilations génitales féminines au Sénégal
* Prévalence nationale.
Sources : EDS-Mics Sénégal, 2010-2011.
Les prévalences peuvent être fortement contrastées selon les groupes ethniques dans les pays d’origine : au Sénégal, la prévalence nationale des MGF est de 26 %, mais elle est pratiquement inexistante chez les femmes d’ethnie Wolof (1 %) et Serer (2 %), alors qu’elle concerne une majorité des femmes Poular (55 %), Diola (52 %), Soninké (65 %) et Mandingue (82 %) (EDS-Mics Sénégal, 2010-2011).
Les conséquences des MGF sur la santé et la sexualité des femmes
Si le premier enjeu de la lutte contre les mutilations sexuelles féminines est de montrer le caractère massif et répandu de ces pratiques en produisant des mesures de prévalence régulières, le second est d’apporter les preuves médicales de leur caractère néfaste. L’enjeu est bien de fournir des éléments de connaissances objectives permettant de nourrir les débats qui ont historiquement opposé les discours relativistes et les discours abolitionnistes.
Les premiers, inspirés des approches culturalistes, ont conduit à minimiser la violence faite aux femmes ayant subi une mutilation sexuelle en la décrivant uniquement comme une pratique « culturelle », tandis que les seconds ont eu tendance à généraliser les cas cliniques les plus dramatiques à des fins de plaidoyer.
L’OMS distingue trois types de complications sanitaires liées aux MGF :
Les risques immédiats qui sont encourus au moment même de l’acte, les risques de long terme qui peuvent survenir à n’importe quel moment de la vie et les risques spécifiques aux mutilations de type III, c’est-à-dire aux MGF conduisant à une suture des grandes lèvres.
Les risques immédiats sont ceux directement consécutifs au traumatisme induit par la mutilation. Il s’agit des douleurs sévères (au moment de la coupure et lors de la cicatrisation), des saignements (pouvant aller jusqu’à des hémorragies sévères), de l’état de choc (lié à la violence de l’acte et au traumatisme), des infections (liées aux conditions sanitaires dans lesquelles la mutilation s’effectue et aux risques liés à la cicatrisation) et enfin de la potentielle transmission du VIH (liée là encore aux conditions dans lesquelles l’acte est pratiqué). Ces risques immédiats peuvent conduire au décès dans un certain nombre de cas.
Les risques de long terme sont nombreux, et s’ils ne sont pas systématiques, ils restent extrêmement fréquents. Les filles et les femmes peuvent souffrir de douleurs chroniques et de chéloïde. Les infections génitales, pelviennes et urinaires, ainsi que les pathologies urinaires peuvent survenir dès l’enfance.
Les infections de l’appareil reproducteur, les herpès génitaux, les infections sexuellement transmissibles et les risques de transmission du VIH s’ajoutent quand les femmes commencent leur vie sexuelle. Globalement, les risques de dysfonctions sexuelles sont élevés, allant du manque de désir sexuel à des douleurs systématiques lors des rapports. Enfin, les complications obstétricales (césariennes, hémorragies post-partum, déchirures, voire des fistules obstétricales) sont nombreuses. Les risques de séquelles psychologiques tout au long de la vie sont aussi répertoriés.
Enfin, les risques spécifiques aux pratiques d’infibulation regroupent les problèmes urinaires et menstruels majeurs, les dé-infibulations forcées lors des rapports sexuels et des accouchements, les douleurs et dysfonctions sexuelles systématiques.
Enjeux de la lutte contre les mutilations génitales pour les droits de femmes
La lutte contre les MGF s’est construite autour des théories des conventions et du changement social. Après 30 ans de mobilisation, il est encore difficile de savoir si ce postulat est finalement pertinent. Le changement social s’exerce sur une temporalité lente et il faudra du temps pour mesurer les évolutions.
La mondialisation du phénomène est à l’œuvre, liée à la circulation des personnes et des idées mais aussi à la révélation de ces pratiques dans certaines régions où elles restaient largement sous-évaluées. La lutte contre les MGF ne prendra pas une seule forme, elle doit être adaptée à la diversité des situations, tant dans les pays d’origine que dans les pays d’immigration. Il est nécessaire d’être attentif au fait que l’ampleur de la lutte peut avoir son revers quand elle conduit à l’imposition de normes sociales hégémoniques.
À ce titre, les deux positions de disqualification des pratiques culturelles considérées comme « barbares » et de l’engagement pour les droits des femmes considéré comme « impérialistes », sont finalement contre-productives ; l’une effaçant l’opposition à l’excision qui existe au sein des populations concernées et l’autre effaçant la prise de conscience de l’asymétrie de pouvoir entre le Nord et le Sud au sein de la mobilisation internationale.
Le manque de connaissance sur la sexualité des femmes relativise souvent la portée des discours qui affirment que l’excision a un effet délétère sur la qualité de la vie sexuelle
Alors que l’éradication de ces pratiques est une priorité sans cesse rappelée par les organisations internationales et que la globalisation des flux migratoires a transformé cette pratique en question de santé publique mondialisée, l’élaboration d’un discours international commun reste une gageure. Si la défense des droits des enfants et la protection des mères font consensus, le droit à une sexualité épanouie reste plus soumis à discussion.
Le manque de connaissance sur la sexualité des femmes relativise souvent la portée des discours qui affirment que l’excision a un effet délétère sur la qualité de la vie sexuelle. Il en ressort qu’une analyse critique de la construction de l’argumentaire international de la lutte historique contre les MGF est nécessaire. C’est sans doute une étape incontournable pour adopter une nouvelle perspective sur ces violences de genre en s’appuyant sur les perceptions et ressentis des femmes concernées, et notamment leur capacité de résilience, et non plus seulement sur les discours médicaux ou anthropologiques qui leur dénient encore trop systématiquement la possibilité d’un point de vue sur leur situation.
Il s’agit donc de continuer, à la lumière des recherches menées ces dernières années, à déconstruire la figure stéréotypée de « la femme excisée » conçue comme catégorie homogène et objectivée, pour appréhender la diversité des situations et des conséquences néfastes que cet acte peut avoir sur les trajectoires de vie de ces femmes, et avancer vers leur éradication.
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Contribution artistique à votre article : plasticienne engagée, j’ai réalisé des oeuvres sur le sujet des femmes et des violences. Notamment une série intitulée « Infibulation », que j’ai pu présenter à 400 lycéens français pour la Journée des Femmes 2018. Le dialogue fut incroyable avec des élèves qui découvraient cette pratique barbare.
Quand l’art permet de parler directement des violences et d’ouvrir le débat.
A découvrir : https://1011-art.blogspot.fr/p/blog-page.html
Mais aussi une oeuvre plus pudique intitulée « Noli me tangere » sur l’inviolabilité du corps de la femme : https://1011-art.blogspot.fr/p/noli-me-tangere.html
Contribution à votre article : plasticienne engagée, j’ai réalisé une oeuvre sur le sujet des mutilations sexuelles intitulée « Infibulation », que j’ai pu présenter à 400 lycéens français pour la Journée des Femmes 2018. Le dialogue fut incroyable avec des élèves qui découvraient cette pratique barbare.
Quand l’art permet de parler directement des MGF et d’ouvrir le débat.
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