Article publié sur le site www.Madmoizelle.com
10 avril 2018
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« Je voulais avorter pour ne pas déshonorer mes parents »
L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est interdite au Sénégal. Cet article revient sur une enquête auprès des Sénégalaises pour savoir comment cela impactait leur vie.
Avorter au Sénégal, une nécessité économique ?
Amira a 25 ans, a passé deux fois son bac sans succès, et ambitionne désormais d’aller travailler à Dakar pour pouvoir se payer une formation en hôtellerie. Mais en attendant, elle est ici, dans ce petit village de Casamance – une région au sud du Sénégal – et elle a un point de vue bien acéré sur la société dans laquelle elle évolue.
Imagine la famille est pauvre, toi tu es tombée enceinte, et le garçon ne peut pas donner quoi que ce soit… Parfois, tu n’as pas le choix !
« Moi, non, j’ai jamais avorté. Mais je sais pourquoi les gens le font », affirme-t-elle. Parce qu’ici, en Afrique, surtout ici en Casamance, beaucoup de jeunes garçons ne travaillent pas, ils n’ont pas les moyens. Et les filles non plus.
Il y a beaucoup de chômage, une personne peut étudier jusqu’à son bac et n’avoir rien à faire. Donc tu ne peux pas te permettre d’avoir un enfant.
Imagine la famille est pauvre, toi tu es tombée enceinte, et le garçon ne peut pas donner quoi que ce soit… Parfois, tu n’as pas le choix ! » Et ça encore, c’est lorsque le géniteur accepte de reconnaître sa responsabilité dans la situation. « Il y a beaucoup de gars qui refusent d’admettre que c’est eux. Alors tu n’as pas le choix non plus, tu ne peux pas garder un enfant sans père ?
Le recours à l’avortement clandestin
Amira n’émet aucun jugement, juste des faits. « Mes copines, certaines ont avorté. C’est une méthode traditionnelle, il y a une herbe, tu la piles, et tu la mets avec de l’eau. L’effet n’est pas automatique et immédiat, parfois il faut le prendre pendant des semaines pour que ça finisse par marcher : à chaque fois que tu as soif, tu bois ça. »
Pas question d’aller consulter de toutes façons : « si tu pars à l’hôpital, les gens vont refuser, on va te créer des problèmes » selon elle. La décoction à boire n’est pas le seul moyen d’accéder à l’avortement. La sage-femme du village m’a confié avoir déjà vu arriver une fille très fatiguée, mal en point… Les plantes réduites en poudre, elle les avait mises directement en elle.
Promouvoir la contraception, une urgence dans ces états où l’avortement est illégal
Amira, elle, s’assure de ne pas avoir à faire un tel choix. « Moi, je sais que si j’ai pris un risque, je peux aller à la pharmacie prendre la pilule du lendemain. Mais il y a beaucoup de filles qui ne connaissent pas ça, ou bien qui n’ont pas les moyens car c’est 3663 FCFA. » C’est l’équivalent de cinq à six euros, et ici avec ça tu peux te nourrir pendant plusieurs jours, ainsi que ta famille dans une certaine mesure.
Mais ça, c’est pour les accidents, car contrairement aux quatre autres jeunes filles à qui j’ai parlé quelques jours auparavant et qui n’avaient aucune connaissance en termes de contraception, elle « refuse de coucher sans préservatif » désormais.
L’avortement, tabou social… ou pas ?
Amira me demande si j’ai rencontré des filles qui avaient avorté dans mes recherches. Je lui réponds que non, pour l’heure. « Tu es sûre ? » « Même celle que tu as vue à 11h hier ? » Ma réponse est la même, ce à quoi elle rétorque « elle t’a menti ».
Passer la frontière gambienne pour avorter… illégalement
Après investigation, je comprends qu’elle a bien eu recours à l’avortement. Seulement, elle ne l’a pas fait ici. Elle a passé la frontière gambienne. Depuis ce village à quelques kilomètres de la Gambie, il faut environ 5000 francs CFA soit près de 8 euros.
Pourtant, la Gambie n’est pas spécialement libérale non plus en matière d’avortements. Là-bas, il est possible d’y accéder en cas de danger pour la vie de la femme, ou pour préserver sa santé physique ou mentale.
Les raisons qui poussent ces femmes à s’adonner à ces actes sont variables. Parfois, elles sont issues de couches sociales défavorisées et le géniteur n’assume pas son rôle : avorter ou abandonner l’enfant c’est éviter des problèmes plus tard
Celles qui traversent la frontière ne font pas ça dans des conditions légales : il faut se rendre à l’hôpital où l’on peut procéder à une IVG, moyennant un paiement élevé. « C’est 150 000 Francs CFA, c’est très cher car c’est illégal », explique Combe.
Elle tient cette information d’une autre amie à elle ayant interrompu sa grossesse dans les mêmes conditions. Cette solution demeure accessible uniquement pour un petit nombre de personnes, vivant dans des régions limitrophes et en capacité de réunir la somme.
Avorter au Sénégal, quitte à risquer sa vie
Anya est issue des classes moyennes et vient d’un milieu urbain. Lorsqu’elle avait 19 ans, non mariée, elle est tombée enceinte. Elle a décidé d’avorter par peur que ses parents l’apprennent, pour ne pas « les déshonorer ». C’est le pharmacien de son quartier qui lui a conseillé un homme qui avait apparemment « l’habitude » de pratiquer un avortement à domicile.
« Il s’est muni d’un appareil métallique pour écarter l’appareil génital, il a introduit une tige qu’il appelait bâtonnet, de la taille d’un coton-tige. Il a dit que le bâtonnet allait tomber tout seul, et qu’il y aurait des pertes de couleur marron. »
La procédure lui a coûté 75 000 francs CFA, soit 115 euros. Pendant deux jours, elle raconte avoir souffert et « senti le bâtonnet à l’intérieur d’elle-même », jusqu’à ce qu’il « tombe ». Prise de peur elle s’est de nouveau rendue chez l’homme, qui a répété l’expérience. Au bout de deux jours le bâtonnet est de nouveau tombé, accompagné de sang cette fois-ci.
Trop inquiète, son petit ami lui a proposé d’avertir leurs parents qui l’ont immédiatement emmenée chez un gynécologue, indignés qu’elle n’ait rien dit alors qu’elle aurait pu en mourir. « Il a dit que le bébé était toujours vivant et bien portant », suite à quoi elle a décidé de renoncer à l’avortement. Mais au 4ème mois, elle a commencé à avoir « des pertes abondantes »
« Le gynéco a annoncé que la poche de liquide amniotique était trouée, et que le liquide s’échappait petit à petit. Il a dit que le bébé n’y survivrait pas. »
Alors même que la fausse couche était annoncée, le médecin l’a avertie que « son serment lui interdisait de tuer un enfant et donc qu’il fallait que l’enfant sorte de lui-même ». Elle a passé plusieurs semaines dans cette situation, à attendre que « l’accouchement » se déclenche, un fœtus non viable logé en elle.
Lorsque cela s’est produit, au 5ème mois, elle a accouché « comme une grossesse normale, mais le bébé même s’il était vivant était malformé et prématuré ».
En racontant cela, elle explique ne pas avoir gardé de séquelles physiques. Cependant, 5 ans après, elle affirme souffrir toujours psychologiquement d’avoir dû conserver en elle pendant plusieurs semaines ce fœtus dont elle savait qu’il ne survivrait pas.
Pour l’infanticide, c’est considéré comme un crime, donc elles prennent entre 10 et 15 ans, mais s’il y a des circonstances atténuantes ça peut être seulement 5 ans fermes
Faute de ne pas avoir pu avorter, beaucoup commettent un infanticide après la naissance Parler directement à des femmes ayant avorté s’est révélé extrêmement compliqué. Elles existent, car tout le monde ou presque a « une amie » à qui c’est arrivé comme le démontre le reste de l’enquête. Mais elles se cachent.
La tabou social, l’interdit religieux, la loi : tous les pousse à se terrer. Exactement comme font celles pour qui il est insupportable, impossible d’avoir un enfant, mais qui mènent leurs grossesses à terme faute de pouvoir avorter.
Elles sont nombreuses à abandonner leur nouveau-né par honte, par impossibilité de le garder, dans des décharges. L’un des membres de l’Association des récupérateurs et recycleurs de Mbeubeuss, une grande décharge à l’entrée de Dakar, témoigne :
« On ne peut pas rester 15 jours sans devoir appeler les sapeurs-pompiers pour qu’ils viennent chercher un corps de bébé. On fait appel au président de l’association, ou bien on appelle immédiatement les chapelles ou la police. »
Des femmes incarcérées pour quelques mois, ou pour des années
Ousmane Thiam, Président de l’association des jeunes avocats Sénégalais, connaît bien les dossiers de ces femmes. C’est vers son organisation que celles qui sont accusées d’avortement ou d’infanticides sont renvoyées le plus souvent.
« Les raisons qui poussent ces femmes à s’adonner à ces actes sont variables. Parfois, elles sont issues de couches sociales défavorisées et le géniteur n’assume pas son rôle : avorter ou abandonner l’enfant c’est éviter des problèmes plus tard.
Ou bien elles appartiennent à des familles assez religieuses où le fait de tomber enceinte est considéré comme un sacrilège, ou encore ce sont des grossesses issues d’incestes. Au cours de l’année passée, dans la région de Dakar, il a recensé 59 cas dont 30 ont été jugés et 29 sont en attente de jugement.
« On a eu des femmes condamnées pour des peines de 3 mois suite à un avortement par exemple. Et les complices, que ce soit des médecins ou pas, ont des peines aussi fortes, 3 à 6 mois. Pour l’infanticide, c’est considéré comme un crime, donc elles prennent entre 10 et 15 ans, mais s’il y a des circonstances atténuantes ça peut être seulement 5 ans fermes.
Il y a aussi eu des cas de relaxes, quand la cours considère que ce n’était pas un avortement mais une fausse couche pour laquelle la femme ne s’est pas rendue à l’hôpital, ou bien pas un infanticide mais un enfant mort-né qui n’a pas été déclaré comme tel. »
Ousmane Thiam explique que les femmes traînées en justice sont la plupart du temps dénoncées : « Ça peut être des voisins qui savaient qu’elle était enceinte mais n’ont jamais vu le bébé, ou bien des médecins s’il y a des complications. La femme est transférée dans un service sanitaire où l’on se rend compte que c’est un accouchement mais on ne voit pas le bébé. Dans ce cas, le personnel peut appeler la police. »
Aujourd’hui, elles sont 33 à croupir ainsi dans la maison d’arrêt pour femmes de Liberté 6 à Dakar ou dans celle de Rufisque. En attendant que peut-être, un jour, la loi évolue.
*Les prénoms ont été modifiés.
3 Commentaires. En écrire un nouveau
Bonjour
Je suis une artiste photographe sénégalaise et je travail sur la thématique de avortement clandestin au Senegal.
Je vous contacte pour savoir si je peut bénéficier de vos recherches ou parler a la journaliste qui a fait l’article.
Je veux avorté
Oui ces possible