Article publié sur Ritimo, le réseau d’information et de documentation pour la solidarité et le développement durable
27 février 2018
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Le 1er juillet 2012, le Sénégal a fait un pas important sur le chemin de l’égalité en faisant passer la présence des femmes à l’Assemblée de 33 à 64 députées. Cette formidable avancée est l’aboutissement d’un long combat. Individuellement ou collectivement, en privé ou en public, les femmes de plusieurs générations, issues de partis politiques, de syndicats ou d’organisations de la société civile, ont chacune pris part à la lutte pour le respect de leurs droits ; chaque génération accrochant son maillon à la chaîne.
Toutefois, les groupes hostiles à la parité sont encore présents et les détracteurs ne manquent pas, par conviction ou par opportunisme. Ils sont dans tous les milieux : politique, universitaires et religieux. Grâce à la loi sur la parité votée le 14 mai 2010 par l’Assemblée nationale, adoptée par le Sénat le 19 mai et promulguée le 28 mai 2010, le Sénégal s’est retrouvé depuis 2012 avec 64 femmes sur 150 députés à l’Assemblée, soit 42,7%.
Le processus politique qui a conduit à cette loi sur la parité, avec pour objectif l’égale participation des femmes et des hommes aux instances électives et semi-électives, vise, à terme, une modification des rapports entre les deux sexes, en vue d’atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce tournant décisif dans l’histoire du Sénégal est le fruit des luttes de plusieurs générations, arrivées à maturité.
Grâce à la loi sur la parité votée le 14 mai 2010 par l’Assemblée nationale, adoptée par le Sénat le 19 mai et promulguée le 28 mai 2010, le Sénégal s’est retrouvé depuis 2012 avec 64 femmes sur 150 députés à l’Assemblée, soit 42,7%
Pour comprendre comment le Sénégal a réussi à mettre en œuvre la parité intégrale, il faut retourner à son histoire et comprendre la place des femmes dans le système social, avant l’arrivée d’idéologies portées par les religions étrangères et la colonisation française.
En effet, la colonisation a voulu transposer un modèle qui consacre l’exclusion des femmes de l’espace politique avec la loi salique au XIVe siècle, qui n’avait rien à voir avec les réalités locales. Mais le substrat culturel qui demeure en lame de fond dans la société a permis aux Sénégalaises de faire face à la volonté du pouvoir colonial de les enfermer dans l’espace privé, au même titre que les Françaises.
La lutte pour la conquête des droits et des libertés
Les femmes ont de tout temps été au cœur de la politique dans l’espace social sénégalais et le fil de la résistance nationale a été tenu d’un bout à l’autre par des femmes. C’est la reine du Waalo qui a ouvert la confrontation avec le Français Faidherbe et qui a été la première force de résistance que le colonisateur eut à affronter en 1855, avec à sa tête une femme, la reine Ndaté Yalla Mbodj. C’est Aline Sitoë Diatta, prêtresse de Casamance, qui l’a clôturée au Sud, pour avoir été la dernière résistante nationale déportée en 1943 à Tombouctou, au Mali, par le pouvoir colonial.
Après avoir conquis le Sénégal, le colonisateur prit un ensemble de mesures politiques consacrant le recul de la femme. En stipulant qu’elle devait se soumettre à l’ordre colonial et à son mari, il lui enlevait tout droit de représentation mais aussi l’accès à la propriété. Et s’appuyant sur le code napoléon, toute propriété fut quasi-automatiquement attribuée au chef de famille qui est « naturellement » le mari.
La politique coloniale ouvertement sexiste a limité l’accès des femmes à l’éducation et à la formation. En 1906, il y avait 29 écoles dispensant un enseignement aux garçons et qui comptaient 3 252 élèves, contre quatre écoles pour les filles (40 élèves). Au niveau de la formation professionnelle, l’École Normale William Ponty, pépinière des futurs cadres et chefs d’État africains, fut ouverte en 1910, et c’est seulement en 1939 que fut fondée une section féminine, soit 29 ans plus tard.
Les Sénégalaises ont su transcender leurs divergences sociales et politiques et unir leurs forces pour un objectif qui dépasse leurs appartenances de classe, d’ethnie, de caste, etc., et qui renvoie à leur statut de femmes colonisées. Ce fut notamment le cas de deux femmes, Ndaté Yala Fall et Soukeyna Konaré, qui appartenaient à deux partis adverses mais qui décidèrent de joindre leurs efforts pour faire face à l’autorité coloniale.
La politique coloniale ouvertement sexiste a limité l’accès des femmes à l’éducation et à la formation
Après s’être mobilisées en 1945 pour arracher le droit de vote, elles se sont impliquées dans la lutte pour les indépendances. Certaines femmes membres du premier parti communiste, le Parti africain pour l’indépendance (PAI), se sont particulièrement illustrées. Elles mettent en place, en 1952, l’Union des Femmes Sénégalaises pour continuer le combat politique des hommes traqués par le pouvoir.
Mais une fois les indépendances obtenues, celles qui ne sont pas allées à l’école sont écartées par les nouvelles élites.
Le recul des femmes en politique et le repli des femmes dans l’espace associatif
Après les indépendances, exclues de l’espace politique, les femmes se sont repliées dans l’espace associatif. Les premières générations de femmes scolarisées se sont attelées à l’éveil des consciences de leurs sœurs à travers des associations.
L’une des premières militantes, la journaliste Annette Mbaye Derneville, verra son organisation, créée en 1959, dissoute par le président du Conseil chef du gouvernement, Mamadou Dia. Elle va poursuivre son combat à travers des mouvements comme les Soroptimist et les Zonta Club. En 1977, elle finira par créer, avec treize organisations, la Fédération des associations féminines du Sénégal (FAFS) pour mener des actions collectives. La FAFS regroupe aujourd’hui plus de 400 associations.
Quant aux luttes pour les droits civiques, elles ont été portées par l’Association des juristes sénégalaises (AJS), créée en 1974, à la veille de la première Conférence mondiale sur les femmes. Cette association s’est attelée à la vulgarisation des droits.
chaque fois que l’on se trouve face à des situations où un seul député est à élire, ce sont des hommes qui se portent candidats
En 1984, une nouvelle prise de conscience politique s’est amorcée avec l’association Yewu Yewi, qui s’insurge, entre autres, contre les modalités de l’héritage musulman et la polygamie. Elle sera directement ou indirectement à la base de multiples associations luttant pour les droits politiques des femmes qui vont éclore dans les années 1990.
La conférence régionale africaine préparatoire de Pékin, tenue à Dakar en 1994, va sonner le réveil du mouvement social féminin au Sénégal, avec des tentatives de jonctions des luttes des femmes. C’est sur ce sillage, que l’Institut africain de développement (IAD) a mis en place le Conseil sénégalais des femmes (COSEF) qui, en 2007, va fédérer autour de lui un vaste mouvement pour la revendication de la parité. Auparavant, en 1999, la Rencontre africaine des droits de l’homme avait entamé le premier acte de sensibilisation sur la parité.
Les années 2000 ont vu la maturation du processus de citoyenneté qui a conduit différents groupes sociaux, notamment les jeunes et les femmes à se mobiliser pour leurs droits. Principales victimes des crises économiques nées des politiques d’ajustements structurels, se sentant menacées dans leurs conditions d’existence, femmes et jeunes ont mis en place des structures et des mécanismes de construction de liens de solidarité entre leurs membres.
Ce contexte de crise a permis aux femmes de bouleverser l’ordre social en obtenant une loi sur la parité.
De la stratégie de revendication des droits à la stratégie de conquête du pouvoir
Le processus de la loi pour la parité, initié en 2010 par le président de la République Abdoulaye Wade, a duré deux ans. Il a été marqué par d’intenses activités du Caucus, une organisation regroupant les Femmes leaders pour le soutien de la loi sur la parité, qui s’est attelée à la sensibilisation et au plaidoyer pour construire le consensus national, avec des activités de renforcement des capacités des candidates aux élections législatives de 2012, et locales en 2014.
Dès sa mise en place, les initiatrices du Caucus des Femmes leaders ont cherché à construire un consensus autour de l’idée du président de la République : d’abord avec les femmes et ensuite avec les acteurs politiques, avant de lancer une campagne nationale de sensibilisation pour toucher toutes les classes sociales du Sénégal.
Le premier acte du Caucus a été la réalisation, le 5 août 2010, d’un atelier national regroupant des femmes leaders des 14 régions du Sénégal pour leur permettre d’avoir une compréhension commune du contenu de la loi et de s’organiser pour en faire sa promotion à la base.
À toutes, il a été rappelé que le projet de loi sur la parité est le fruit de la lutte de plusieurs générations de femmes, tout en mettant en exergue les qualités ou trajectoires de chacune, justifiant l’attente légitime des femmes pour les accompagner
L’atelier a permis l’élaboration d’un plan d’action prenant en compte la spécificité socioculturelle de chaque localité ainsi que la formulation d’argumentaires, dans le but d’obtenir l’adhésion des populations.
Le Caucus a estimé important de rencontrer les leaders de l’opposition pour expliquer le sens de sa démarche et sa détermination à voir aboutir le processus, tout en restant à distance des partis. À toutes, il a été rappelé que le projet de loi sur la parité est le fruit de la lutte de plusieurs générations de femmes, tout en mettant en exergue les qualités ou trajectoires de chacune, justifiant l’attente légitime des femmes pour les accompagner.
Le Caucus des Femmes leaders a par la suite réalisé une tournée nationale dans toutes les régions du Sénégal, du 5 août 2010 au 7 mai 2011, afin d’expliquer les enjeux et l’intérêt pour les communautés de soutenir la loi sur la parité.
Le Caucus a cherché à élargir la base sociologique des acteur.trice.s impliqué.e.s dans la lutte pour la parité en touchant des acteur.trice.s religieux.ses, des acteur.trice.s culturel.le.s et des organisations populaires. Pour faire face à l’obscurantisme, le Caucus a collaboré au niveau local avec des religieux favorables à la parité, afin de susciter une meilleure adhésion. Des abbés et des imams ont participé à toutes les activités de sensibilisation en développant un argumentaire religieux en faveur de l’égalité de genre.
Les femmes qui ont été portées à l’Assemblée ne semblent pas être prêtes à poursuivre le combat car elles se sentent plus redevables à leurs partis
Au terme du processus de mobilisation pour le vote de la loi sur la parité, les mesures juridiques nécessaires ont été adoptées, permettant une application stricte de la loi. Toutefois, l’unanimité n’a pas été obtenue. Le vote de la loi sur la parité a entraîné des réactions parfois violentes de la part d’acteur.trice.s politiques et religieux.ses.
Des limites se sont aussi révélées dans sa mise en œuvre. En effet, la loi stipule que toute liste doit comporter de manière alternée un sexe suivi de l’autre, mais à chaque fois que l’on se trouve face à des situations où un seul député est à élire, ce sont des hommes qui se portent candidats. Et parce que dans 11 départements il n’y avait qu’un seul député à élire, le pays s’est retrouvé avec 64 femmes au lieu de 75 sur ses 150 députés.
Les femmes qui ont été portées à l’Assemblée ne semblent pas être prêtes à poursuivre le combat car elles se sentent plus redevables à leurs partis. Entre la fidélité au combat des femmes et la loyauté à leur parti elles ont choisi leur camp. Pourtant, les femmes ne doivent jamais oublier qu’elles ne sont pas à l’abri de reculs de l’histoire, car l’histoire nous enseigne que les révolutions connaissent des moments de flux et de reflux, et la bataille pour la parité et l’égalité ne sera pas une exception.