Ndeye Sokhna Gueye : Chercheuse au laboratoire d’archéologie de l’Ifan (Institut fondamental d’Afrique Noire) jusqu’en 2014, militante de la cause des femmes.
Unesco Breda : Bureau Régional de l’éducation en Afrique de l’Organisation des Nations – Unies pour l’éducation, la science et la culture. Ce bureau basé à Dakar représente l’Unesco dans 7 pays d’Afrique de l’Ouest.
Onu Femmes : Entité des Nations – Unies consacrée à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes.
Codesria : Né en 1973, le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique a pour buts principaux de « développer des capacités et des outils scientifiques susceptibles de promouvoir la cohésion, le bien être et le progrès des sociétés africaines ». Son siège est situé à Dakar.
Année de publication : 2013
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Introduction :
La présente étude sur le mouvement social des femmes au Sénégal est une initiative conjointe de l’UNESCO Breda, en collaboration avec le CODESRIA et ONU FEMMES. L’objectif de cette recherche est de faire avancer notre compréhension du mouvement social féminin dans le contexte sénégalais actuel.
Les résultats de l’évaluation sont utilisés pour contribuer au renforcement des capacités des organisations de femmes à impulser et soutenir la construction de mouvements forts. Il faut souligner que les femmes se sont toujours mobilisées, sous des formes associatives, pour améliorer leurs conditions de vie. En se regroupant selon l’appartenance sociale, professionnelle, religieuse, d’âge ou de quartier, les femmes ont pu trouver l’expression de leur militantisme.
Cette présente recherche sur le militantisme féminin vient à son heure car de nombreux défis interpellent les organisations de femmes aujourd’hui. En effet, malgré leurs contributions reconnues au développement du pays, les femmes restent un groupe social marginalisé, sous représenté dans les instances de décisions et parfois mal pris en compte dans les politiques publiques.
La recherche a tourné autour de la démonstration de l’existence et de la signification des mouvements sociaux féminins au Sénégal. L’évaluation des forces et faiblesses des organisations de femmes qui en sont les principales initiatrices a permis de mesurer le poids de ces mouvements comme porteurs de changements sociaux.
Les défis, enjeux et obstacles auxquels sont confrontés les organisations de femmes et comment elles y répondent ont été étudiés. La réflexion a également porté sur les stratégies à mettre en place pour le renforcement des organisations/ mouvements de femmes.
Cadre conceptuel :
Cette étude fait référence à un corpus où les termes comme mouvement social, femmes, féminin ou féministe sont des concepts clés. Comme leurs compréhensions sont multiples, il est important d’effectuer un petit détour sémantique pour préciser les conceptions qui répondent le mieux à la présente recherche.
- Mouvement social:
La définition du mouvement social fait l’objet de beaucoup de controverses. Selon Alain Tourraine (1978), l’existence d’un mouvement social est avérée lorsque l’identité des acteurs est connue, l’adversaire désigné, et lorsque l’objectif est la « direction sociale de l’historicité » et un « projet d’orientation sociétal ». Il s’agit alors de « dynamique propre à un groupe social porteur de revendication importantes, durables et conflictuelles ».
Au regard de toutes ces définitions, plusieurs principes caractérisent un mouvement social : la constitution de groupe, de réseau ou d’organisation, une identité collective, un sentiment d’identité partagée, un adversaire commun, la durée, l’historicité, l’usage du combat pour obtenir le changement social.
Ces définitions et ces critères conviennent-ils pour caractériser les mouvements de femmes au Sénégal ? Les études sur les mouvements sociaux en Afrique démontrent qu’il existe un décalage entre les théories dans ce domaine et l’expérience africaine. De ce fait, il est important de tenir compte, dans la compréhension des mouvements, du contexte socioéconomique et politique dans lesquels ils ont évolué et qui les a façonnés.
- Femme:
Etudier les femmes comme catégorie sociale laisse supposer un groupe social cohérent et homogène quelque soit leur appartenance sociale, ethnique ou religieuse. « Cette homogénéisation consensuelle du groupe de femmes discursivement construit, vient occulter la réalité matérielle, historiquement spécifique, des groupes de femmes, et leur dénie tout statut d’agent politique et historique ». Ainsi, l’oppression que les femmes subissent les unirait.
Elles ne sont pas seulement considérées par opposition aux hommes groupe dominant. Cette conception universalisante et transculturelle de la catégorie femme comme groupe dominé, exploité, opprimé, subordonné et dépendant face à une domination exercée par l’homme, rend leurs expériences anhistoriques.
« Ce mode d’analyse féministe, qui homogénéise et systématise les expériences des groupes de femmes différents, occulte par conséquent tous les modes d’expérience rebelles marginaux ». Pour éviter cette essentialisation, il ne suffit pas d’étudier les femmes en tant que sujets et actrices de leur propre histoire mais il est aussi important de contextualiser leurs expériences et actions collectives.
- Mouvement féministe :
Qualifier le mouvement social de féminin, c’est lui octroyer une identité de genre strictement réservée aux femmes, une « autonomie » et une non affiliation partisane. Analyser les mouvements sociaux sous cette hégémonie strictement féminine, c’est penser la catégorie femme comme l’objet et l’acteur de ces mouvements. Elle prend elle-même en charge ses propres luttes. C’est reconnaître la capacité des femmes d’être agentes de leur propre histoire.
A côté de cette identité féminine, les objectifs essentiels de ces mouvements sociaux sont la défense des droits des femmes, en termes d’équité et d’égalité des sexes, ce qui leur donne une visée féministe. Mais ce féminisme se définit-il au Sénégal comme dans les autres pays comme une critique radicale du patriarcat et de ses conséquences sur le fonctionnement des sociétés ?
Revendique-t-il le recours au volontarisme politique pour construire des sociétés offrant les mêmes opportunités d’épanouissement aux hommes et aux femmes ? Les enquêtes sur les perceptions et représentations des mouvements sociaux féminins et du féminisme au Sénégal nous permettront de répondre à ces questions.
Profil des organisations de femmes
Les organisations de femmes sont des associations regroupant des femmes qui ont décidé librement de se mettre ensemble sur la base de leur conception partagée de leur condition en vue de défendre leurs droits. Les associations se distinguent entre elles par leurs objets de lutte, leur orientation idéologique, leurs activités, leurs méthodes d’actions, les moyens et les ressources mises en œuvre pour atteindre ses objectifs ainsi que les différentes actions envisagées.
Domaines d’intervention et activités en faveur des femmes :
Les secteurs d’activités dans lesquelles interviennent les associations des femmes peuvent être divisées en sections suivantes selon les objectifs visés :
- Les activités économiques :
Concernant les groupements féminins, l’ensemble de leurs activités tournent surtout autour du commerce et des transformations agricoles :
- Activités agricoles, maraichages ou micro-jardinage.
- Transformation de produits agricoles, banque de céréales.
- Activités commerciales : vente de produits alimentaires à coût réduit (cacahuètes, beignets, crèmes glacées, jus de fuit locaux, légumes, produits halieutiques, poissons friandises, plats cuisinés, condiments, …), revente de produits manufacturés (alimentation, friperie, tissus, cosmétiques, chaussures, tannerie, maroquinerie, ustensiles de cuisine,…), exploitation et vente de sel, savonnerie, location de matériels (chaises, bâches, ustensiles de cuisine, etc.).
- Activités artisanales : poterie, teinture, maroquinerie, vannerie, ateliers de couture et de broderie, salons de coiffure.
- Restauration, service traiteur.
- Élevage, aviculture, embouche, pêche, mareyage.
- Garderie d’enfants, centre aéré, colonies de vacances, éducation d’enfants démunis comme les talibés.
- Activités financières avec les mutuelles d’épargne et de crédit,
- Autres activités : les femmes investissent également dans des secteurs jusque là dominés par les hommes, comme la quincaillerie, le bâtiment (fabrique de briques), la droguerie, les travaux publics (infrastructure, hydraulique), sérigraphie.
- Activités liées à la santé :
Dans le but d’améliorer la santé reproductive des femmes, natale et néonatale, les soins sanitaires en général, des associations mettent en place des cases de santé et des boutiques de santé dans les villages (ce sont les cas du RADI Réseau Africain pour le Développement Intégré, de l’ANSFES l’Association National des Sages Femmes d’Etat du Sénégal).
Certaines organisations, comme la section sénégalaise de la SWAA (Society for women and Aids in Africa) et FEMNET (Réseau de Développement et de Communication pour les Femmes Africaines), s’investissent dans la lutte contre la vulnérabilité des femmes et des jeunes filles par rapport au VIH/Sida. Cela se traduit par la prise en charge des femmes, jeunes et enfants infectés ou affectés par le VIH/Sida.
Elles s’investissent aussi dans la prise en charge des questions de santé de la reproduction, des IST/Sida à travers des activités de formation, plaidoyer, de sensibilisation des femmes, des jeunes, des travailleurs du sexe. Elles s’occupent ainsi de promotion et de distribution des préservatifs masculins et féminins ainsi que de la mobilisation communautaire pour le dépistage volontaire.
- Défense des droits des femmes :
Les droits juridiques des femmes sont défendus à travers des activités d’information et de communication. Des boutiques de droit ont, par exemple, été créées par l’AJS (Association des juristes Sénégalaises) pour informer les femmes sur leurs droits. Un centre d’écoute a été mis en place par l’ADEFAP (Association pour le développement des femmes avicultrices de Pikine) pour lutter contre les violences faites aux femmes.
Moyens d’actions :
Les moyens d’action utilisés par les associations pour réaliser leurs objectifs sont le plus souvent la formation, le plaidoyer, la sensibilisation. Certaines organisations utilisent également la publication comme moyen d’information et les nouvelles technologies comme support de communication.
- Formation pour le renforcement des capacités :
La légitimité de l’action associative se fonde sur une dimension éducative qui vise non seulement à moderniser les femmes mais aussi à les pousser à lutter contre des principes culturels qui les discriminent. La formation consiste à les doter de capacités pour lutter contre les pratiques sexistes qui se manifestent au sein de la famille, sur le marché du travail, dans les structures politico-juridiques et dans la production culturelle et idéologique.
La majorité des organisations de femmes compte parmi ses activités des actions en information, éducation et communication. Les formations proposées portent généralement sur l’alphabétisation en langues nationales et/ou l’apprentissage à un métier (teinture, couture, maraichage…). Des ONG comme l’AFARD (Association des femmes africaines pour la recherche et le développement) s’intéressent à la formation à un niveau supérieur avec l’organisation de sessions de formations sur les méthodologies de recherche en genre, en initiant des jeunes filles à la recherche. A cet égard, un programme leadership leur est dédié pour renforcer davantage leurs compétences.
- Plaidoyer, sensibilisation et lobbying :
Des campagnes de sensibilisation sur des domaines touchant les droits des femmes se font en organisant des séminaires, des congrès, des colloques, des cercles d’études, des forums, des conférences, des tables rondes et des ateliers. Le plaidoyer et le lobbying pour l’effectivité des droits de la femme se font surtout auprès des autorités, des décideurs ou des acteurs politiques, judiciaires ou extrajudiciaires, etc.
Le plaidoyer consiste aussi à sensibiliser les populations sur les conséquences néfastes des pratiques relatives aux mutilations génitales féminines (MGF), les mariages précoces et le gavage.