Fonds des Nations Unies pour la population
Juin 2015
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L’adolescence constitue la période de transition entre l’enfance et la vie d’adulte. Il s’agit d’un intervalle de temps évoluant généralement entre 12 et 17 ans. La grossesse précoce est celle qui survient durant la période de l’adolescence. Toute grossesse qui intervient avant l’âge de 18 ans est considérée comme précoce. Elle survient à un moment où le corps de la jeune fille n’est pas assez mature pour supporter une grossesse. Il s’agit alors d’une grossesse qui présente des risques pour la santé de la fille et de l’enfant.
En effet, la grossesse précoce peut être considérée comme une anticipation dans la vie adulte. Il s’agit d’une entrée par « effraction » dans le monde des adultes. Les filles-mères sont appelées à exercer des responsabilités parentales pour lesquelles elles étaient loin d’être préparées.
Les expressions « mariage d’enfant » et « mariage précoce » désignent les unions dans lesquelles au moins l’un des conjoints est âgé de moins de 18 ans dans les pays où l’âge de la majorité est atteint avant le mariage ou au moment du mariage. L’expression mariage précoce peut également renvoyer à un mariage dans lequel les deux époux ont 18 ans ou plus, mais où d’autres facteurs font qu’ils ne sont pas prêt à consentir au mariage, notamment du fait de leur niveau de développement physique, émotionnel, sexuel et psychologique, ou par manque d’information sur les choix qui s’offrent à eux pour construire leur vie.
Les filles-mères sont appelées à exercer des responsabilités parentales pour lesquelles elles étaient loin d’être préparées
Le terme « mariage précoce » désigne une même réalité mais est plus utilise dans le langage courant et renvoie souvent implicitement au mariage précoce des filles, ces filles étant beaucoup plus concernées par le phénomène. On entend par « mariage forcé » tout mariage contracté sans le libre et plein consentement des deux parties dont l’une au moins n’est pas en mesure de mettre un terme au mariage ou de quitter son conjoint, y compris du fait de la contrainte ou de fortes pressions sociales ou familiales.
Au Sénégal, comme dans la plupart des pays en Afrique, il se pose un problème d’harmonisation des conventions internationales avec le droit interne. En effet, Ainsi l’âge légal peut être entendu comme l’âge minimal exigé par la loi pour se marier. Au Sénégal cet âge est fixé par l’article 111 du Code de la famille qui dispose que: “le mariage ne peut être contracté qu’entre un homme âgé de plus de 18 ans et une femme âgée de plus de 16 ans ». Pourtant, au regard de la loi, la fille est considérée toujours comme mineure.
La législation par rapport à l’âge légal du mariage n’est pas adaptée aux conventions internationales. Mieux, cette législation n’est pas appliquée de manière rigoureuse. En effet, il n’est pas rare de voir des mariages de filles âgées de moins de 16 ans. Dans la législation sénégalaise, le consentement au mariage est l’une des conditions de fond avec celui du sexe et de l’âge des futurs époux.
Le mariage précoce est imposé aux filles qui se voient ainsi privées de leur adolescence. Dès lors, il est important de veiller au respect de l’application du principe de la hiérarchie des normes en ce qui concerne les conventions internationales et travailler à leur insertion dans l’ordonnancement juridique sénégalais.
Nombre de cas de grossesse selon la localité enquêtée
D’après l’exploitation des données issues de la collecte, 1971 grossesses ont été recensées. Il s’agit de grossesses qui concernent l’intervalle d’âge entre 12 ans et 19 ans. A l’état actuel des données fournies par notre enquête, la région de Sédhiou est la localité où l’on enregistre la plus grande proportion de grossesses précoces (30%). Les régions de Ziguinchor (19%), Kolda (9%), Matam (6%), Thiès (6%), Kédougou (5%), Saint Louis (5 %) et Fatick (5%) suivent.
Au niveau des régions de Kaffrine, Dakar, Diourbel, Louga, Kaolack, le taux se situe entre 4% et 2% par rapport aux données recueillies au niveau des établissements. A l’intérieur des régions, les statistiques obtenues montre des disparités en fonction des départements. Par contre, pour la région de Ziguinchor, le département de Bignon enregistre le plus grand nombre de grossesses précoces, suivi par le département d’Oussouye.
Il a été particulièrement difficile d’obtenir des informations au niveau des structures sanitaires. Dans la région de Matam où l’on a pu obtenir des statistiques, les données révèlent une forte fécondité chez les adolescentes. Il convient de souligner qu’il s’agit de statistiques globales qui ne portent pas exclusivement sur la population scolaire.
Du reste, en l’absence de renseignements précis, il est difficile de dégager la part des élèves filles dans ces statistiques. Par contre, ces statistiques nous renseignent sur la fécondité générale des adolescentes dans cette région.
La législation par rapport à l’âge légal du mariage n’est pas adaptée aux conventions internationales
Ainsi, selon les données fournies par la région médicale, on constate un pourcentage élevé de grossesses et d’accouchements chez les Adolescentes.
Presque 50% des accouchements sont des adolescentes surtout à Ranérou. Le taux de prévalence des infections sexuellement transmissibles est également jugée élevé (22%).
Il ressort des enquêtes que plus de la moitié des grossesses recensées concernent les élèves filles entre la 6ème et la 3ème soit 71,9 %. 28,1, 3 % des grossesses concernent des élèves qui sont entre la Seconde et la Terminale. Les enquêtes menées au niveau des écoles montrent que c’est à partir de la classe de quatrième le nombre de grossesse d’élèves apparaît le plus important.
En tenant compte de l’âge, 45 % des grossesses concernent la classe d’âge située entre 16 ans et 17 ans. La classe d’âge située entre 13 ans et 15 ans vient en seconde position avec 31%. Enfin, 24 % des grossesses concernent les filles entre 18 ans et 19 ans. Entre 2011 et 2014, on constate une augmentation du nombre de grossesses pour la tranche d’âge située entre 13 et 15ans et 18 et 19 ans, par contre une baisse du nombre de grossesses a été notée entre 2012 et 2013 pour toutes les classes d’âge.
Dans les régions de Ziguinchor, Sédhiou, Tambacounda, 60,75% des grossesses concernent des célibataires. Par contre dans les régions de Kaffrine, Thiès, Louga, Diourbel, Fatick, Matam, Saint Louis, Kaolack, les filles mères sont constituées en général de filles mariées.
Selon les résultats issus des fiches d’enquêtes exploitées, 49,67% des cas de grossesses sont l’œuvre des élèves. Les étudiants arrivent en seconde position parmi les auteurs de grossesses avec un pourcentage de 12,6%. Les jeunes des villages sont également cités parmi les principaux auteurs de grossesses d’élèves avec 8,68%.
Ainsi, les élèves, les étudiants et les jeunes du village constituent 70,95% des auteurs de grossesses. Dans beaucoup de localités, les conducteurs de moto Jakarta, les chauffeurs de taxi sont cités parmi les auteurs de grossesses. Les enseignants représentent 2,09% des auteurs de grossesses.
La moitié des grossesses recensées concernent les élèves filles entre la 6ème et la 3ème soit 71,9 %
Les enquêtes effectuées dans de nombreuses localités auprès des chefs d’établissement, inspections de l’éducation et de la formation révèlent que les chiffres avancés sur le nombre d’enseignants auteurs de grossesses est souvent exagéré. Selon le principal du CEM Dioullacolon à Kolda, « les cas ne manquent pas, mais, ils sont rares. Depuis que je suis à la tête de ce CEM, il ne m’a pas été rapporté un cas de grossesse impliquant un enseignant ».
Néanmoins, lors des focus groups, le corps enseignant est très souvent accusé par les élèves d’être à l’origine des grossesses d’élèves. Ces divergences dans les réponses fournies portant sur la responsabilité des enseignants dans les grossesses d’élèves, appelle une réflexion.
Selon, Amadou Baldé, président des parents d’élèves à Bata : « souvent, les jeunes filles contractent une grossesse ailleurs et auprès d’autres personnes et cherchent coûte que coûte à faire porter la responsabilité aux enseignants qui , financièrement semblent plus solvables. Mieux, certains parents font beaucoup plus preuve d’une certaine compréhension lorsque c’est un enseignant qui est désigné comme auteur de la grossesse de leur fille. Une grossesse dont l’auteur est un enseignant paraît moins déshonorant pour la fille ».
Perceptions des grossesses précoces dans les zones étudiées
Dans toutes les localités enquêtées, les grossesses précoces sont considérées comme une préoccupation majeure. En effet, les différents responsables scolaires (inspecteur d’académie, inspecteurs de l’éducation et de la formation, chefs d’établissement) sont conscients que les grossesses précoces sont un problème social et scolaire. Toutefois, il a déploré l’absence d’un dispositif systématique de recueil des données. En effet, chaque année, des élèves quittent définitivement l’école ou interrompent provisoirement leurs études.
Selon des chefs d’établissement, généralement, c’est en début d’année scolaire qu’on constate des absences d’élèves filles. Très souvent, après renseignement, il s’avère que cela est dû à une grossesse. Selon, la responsable du bureau genre de Vélingara, « la situation est alarmante parce que nous sommes face à une situation où nous sommes en face de jeunes filles qui peuvent pas se prendre en charge ni sur le plan émotionnel ni financier ».
Lors des enquêtes, des parents nous fait comprendre que le phénomène des grossesses précoces commencent à être banalisé en raison du nombre important de cas recensés chaque année. En réalité, « le phénomène des grossesses précoces est difficile à quantifier en raison de la perception que les gens du milieu ont de la grossesse qu’ils ne jugent pas gênant et vu le taux de mariage précoce ».
Les facteurs à l’origine des grossesses précoces en milieu scolaire
L’analyse des auteurs de grossesses montre que la plupart des risques auxquels les jeunes filles sont confrontées découlent de l’environnement scolaire. En effet, selon nos enquêtes, 49% des auteurs de grossesses sont des garçons qui partagent avec les filles le milieu scolaire.
Cela montre que les filles n’ont pas été suffisamment préparées à résister à la pression des pairs et de prendre des décisions en toute autonomie en ayant conscience des conséquences de leurs comportements sexuels. Les filles peuvent être également contraintes à des relations sexuelles en échange de certaines faveurs comme les bonnes notes ou bien contre de l’argent. La pauvreté augmente aussi le risque pour les jeunes filles d’avoir de rapports sexuels non désirés, forcés ou non protégés. En effet, certains partenaires sexuels (y compris ceux qui paient en argent ou cadeaux) refusent de porter un préservatif.
Les facteurs liés à la vulnérabilité des jeunes filles
Certaines jeunes filles vivent des situations particulièrement difficiles qui pourraient avoir des incidences sur la survenue des grossesses précoces. En effet, le quotidien de la plupart d’entre elles est constamment rythmé par des actes de violences qui revêtent de multiples formes liés au genre.
Ces violences sont fortement liées à l’environnement scolaire. L’espace scolaire est perçu comme un milieu caractérisé par l’intolérance et la discrimination. Ces violences les frappent également au sein de leur famille. Ces actes de violences montrent que durant leur parcours, les filles sont particulièrement exposées à des risques.
Analyser les facteurs à l’origine des grossesses précoces sous l’angle de la vulnérabilité permet de cerner les risques liés à l’environnement social et scolaire auxquels les jeunes filles sont exposées. En effet, « Les personnes vulnérables sont celles qui sont menacées dans leur autonomie, leur dignité ou leur intégrité, physique ou psychique. »
La faible prise en charge de l’éducation sexuelle au sein des familles et à l’école et la pression des pairs
Au sein des familles, la sexualité demeure un sujet tabou. Lors des focus groupes, des élèves ont déploré l’absence de communication au sein de la famille. Certains parents n’assument plus leur rôle d’éducateur. Les parents éprouveraient une certaine honte pour aborder les questions relatives à la sexualité avec leurs enfants. En effet, il a été noté le cas de certaines mères de familles qui encourageraient même leur fille à fréquenter les hommes car cela constitue un signe de maturité. Selon le coordonnateur de la RADDHO (Rencontre africaine des droits de l’Homme) à Kolda « La fille est considérée comme objet, des mamans même poussent leur fille à fréquenter les hommes riches et des mamans qui pensent qu’à un certain âge leur fille doit avoir un copain sinon elle n’est pas digne d’être sa fille ».
49% des auteurs de grossesses sont des garçons qui partagent avec les filles le milieu scolaire
En l’absence de prévention, la famille préfère plutôt verser dans l’indignation et le rejet dès qu’une grossesse survient. C’est l’exemple de cas évoqué à travers ce témoignage :
« Lorsqu’ils ont eu écho de ma grossesse mes parents étaient déçus parce qu’ils avaient confiance en moi mes frères et sœurs aussi m’ont ignorée et j’étais seul, je pensais avoir du réconfort auprès de mon copain mais mes sœurs ont fait un scandale chez lui, il a porté plainte pour violation de domicile et on ne s’est plus parlé. J’étais seul et il est allé épouser une autre femme ».
Les enquêtes ont également montré que l’école ne prend pas suffisamment en compte la question de la sexualité des adolescents. Pourtant, les responsables des écoles reconnaissent que les grossesses précoces constituent une vive préoccupation compte tenu du nombre de cas régulièrement recensés.
Les carences notées dans la prise en charge de l’éducation sexuelle par les familles et par l’école accentuent la vulnérabilité des élèves filles. Ainsi, insuffisamment armées, les filles doivent faire face à la pression des garçons. Filles et garçons appréhendent les rapports sexuels comme le signe d’une affirmation de soi.