La situation des droits de l’Homme
WATHI propose une sélection de documents sur le contexte économique, social et politique de la Gambie. Chaque document est présenté sous forme d’extraits qui peuvent faire l’objet de légères modifications. Les notes de bas ou de fin de page ne sont pas reprises dans les versions de WATHI. Nous vous invitons à consulter les documents originaux pour toute citation et tout travail de recherche.
Gambie 2015/2016
Amnesty International
Extraits
La tentative de coup d’État de 2014 a donné lieu à des arrestations et à de nouvelles violations des droits humains. Les autorités ont continué à réprimer la dissidence. Elles se montraient toujours réticentes à coopérer avec les mécanismes protégeant les droits humains dans le système des Nations unies ou à l’échelon régional, et à se conformer à leurs recommandations.
Contexte
En avril, la Gambie a rejeté 78 des 171 recommandations formulées à l’occasion de l’Examen périodique universel de l’ONU, notamment celles qui l’exhortaient à lever les restrictions pesant sur la liberté d’expression, à ratifier la Convention contre les disparitions forcées et à abolir la peine de mort.
L’État n’a pas tenu compte des appels de la communauté internationale qui l’incitaient à conduire une enquête conjointe indépendante sur les événements qui ont suivi la tentative de coup d’État de 2014, notamment de la résolution adoptée en février par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples qui sollicitait une invitation à mener une mission d’établissement des faits.
En juin, la Gambie a expulsé la chargée d’affaires de l’Union européenne sans aucune explication, en exigeant qu’elle quitte le territoire dans les 72 heures.
Les modalités de création d’une commission des droits humains ont été établies. En novembre, le président Yahya Jammeh a annoncé que les mutilations génitales féminines seraient interdites ; en décembre, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi érigeant ces pratiques en infraction pénale.
Disparitions forcées
En janvier, des dizaines de parents et amis de personnes accusées d’avoir participé à la tentative de coup d’État de 2014 ont été placées en détention au secret. Les autorités ont nié les détenir et refusé d’indiquer où ils se trouvaient. Des femmes, des personnes âgées et un enfant figuraient parmi ces personnes, qui ont été libérées en juillet après avoir été détenues six mois sans inculpation, ce qui est contraire à la Constitution gambienne. Certaines ont été torturées au siège de l’Agence nationale de renseignement (NIA), et ont subi notamment des passages à tabac, des décharges électriques, des simulacres de noyade et le confinement dans de minuscules cavités creusées à même le sol.
Liberté d’expression – journalistes et défenseurs des droits humains
Des journalistes et des défenseurs des droits humains ont été arrêtés et détenus arbitrairement ; des lois restrictives continuaient de limiter la liberté d’expression.
Arrêté le 2 juillet, Alagie Abdoulie Ceesay, directeur de la station de radio Teranga FM, a été maintenu au secret pendant 12 jours. De nouveau interpellé quelques jours après avoir recouvré la liberté, il a été battu et inculpé de plusieurs chefs de sédition ; la libération sous caution lui a été refusée. Il était toujours en détention et son procès était en cours à la fin de l’année.
Killa Ace, un célèbre rappeur, a fui la Gambie en juin après avoir reçu des menaces de mort. Il avait sorti une chanson dans laquelle il dénonçait la répression et accusait le gouvernement de procéder à des exécutions extrajudiciaires.
En juin également, Lamin Cham, animateur de radio et organisateur d’événements musicaux, a été arrêté à Banjul, la capitale, et détenu au siège de la NIA. Il a été remis en liberté sans inculpation au bout de 20 jours.
Arrêté à Banjul en décembre 2014, le défenseur des droits humains Sait Matty Jaw a été jugé pour le travail qu’il avait réalisé dans le cadre d’une enquête pour Gallup sur la bonne gouvernance et la corruption ; il a été relaxé en avril.
Liberté de réunion
La police a fait obstruction à une tournée du Parti démocratique unifié (UDP, opposition) organisée en avril, en installant des barrages routiers. La tournée a finalement pu se poursuivre après quatre jours de confrontation.
En novembre, la police a arrêté plus de 40 personnes pendant et après une manifestation de jeunes et d’habitants de Kartong qui dénonçaient l’extraction de sable. Selon des témoins, la police a utilisé une force excessive, blessant plusieurs personnes. Trente-trois protestataires ont été inculpés de divers chefs : conspiration, troubles à l’ordre public, émeute, blessures volontaires et intervention séditieuse contre un véhicule. Ils ont été libérés sans condition huit jours plus tard, à la suite d’une déclaration présidentielle en ce sens.
Torture et autres mauvais traitements
Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a publié en mars un rapport dans lequel il indiquait que la torture était très répandue et habituelle, en particulier au sein de la NIA en début de détention. Il se disait préoccupé par les conditions carcérales et l’absence de mécanisme de plainte efficace en cas de présomption d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Il notait que la torture pratiquée était brutale et prenait notamment la forme de passages à tabac au moyen d’objets durs ou de câbles électriques, d’électrocutions, d’asphyxies (sac en plastique placé sur la tête et rempli d’eau) et de brûlures par un liquide chaud.
Le 25 juillet, le président Jammeh a fait libérer au moins 200 détenus de la prison de Mile 2, notamment des personnes incarcérées pour trahison et plusieurs anciens responsables publics, y compris l’ex-directeur de la NIA, Lamin Bo Badjie, et l’ex-chef de la police, Ensa Badjie. Toutefois, d’autres opposants politiques, journalistes et prisonniers d’opinion étaient toujours derrière les barreaux, notamment Amadou Sanneh, trésorier national de l’UDP, et deux autres membres du parti, Alhagie Sambou Fatty et Malang Fatty.
Peine de mort
Le 30 mars, un tribunal militaire siégeant à la caserne de Fajara, à Bakau, près de la capitale, a condamné trois soldats à mort et trois autres à la réclusion à perpétuité pour leur participation à la tentative de coup d’État de 2014. Le procès s’est déroulé à huis clos ; les médias et les observateurs indépendants n’ont pas été autorisés à y assister.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées
Trois hommes soupçonnés d’être gays ont été poursuivis pour « actes contre nature ». Deux ont été relaxés en août et le troisième était en instance de jugement à la fin de l’année. Ils avaient été arrêtés en novembre 2014, soit un mois après que la Gambie avait instauré la réclusion à perpétuité pour « homosexualité aggravée ». De nombreuses personnes LGBTI ont fui le pays.
Impunité
En mai, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a publié un rapport dans lequel il présentait des informations sur les quelques enquêtes menées par l’État sur des violences policières, dont aucune n’avait abouti à une condamnation. Selon lui, les Gambiens hésitaient à dénoncer les violences, à engager un avocat et à demander réparation, même pour les violations les plus graves, y compris les disparitions, les actes de torture et les exécutions présumées.
Aucun progrès n’a été constaté concernant l’application des arrêts de la Cour de justice de la CEDEAO sur la disparition forcée du journaliste Ebrima Manneh (2010), les actes de torture infligés au journaliste Musa Saidykhan (2010) et l’homicide illégal de Deyda Hydara (2014).
- Gambie. La 21e année au pouvoir du président Jammeh est marquée par une nette détérioration de la situation des droits humains (nouvelle, 22 juillet)
- Gambie. Le directeur d’une radio arrêté de nouveau et détenu au secret (AFR 27/2155/2015)
- Gambie. Libérez les manifestants pacifiques et les habitants détenus arbitrairement (nouvelle, 30 novembre)
- Gambia must take immediate steps to address concerns of UN Special Rapporteurs on torture and extrajudicial executions: Amnesty International’s written statement to the 28th session of the UN Human Rights Council (2-27 March 2015) (AFR 27/1100/2015)
- Gambie. La libération de prisonniers doit s’appliquer à toutes les personnes incarcérées pour avoir exprimé des opinions dissidentes (nouvelle, 24 juillet)
- Gambie. Des soldats condamnés à mort à l’issue d’un procès secret ne doivent pas être exécutés (communiqué de presse, 1er avril).
Amnesty International, Rhaddo, Article 19
Amnesty International
Extraits
Menaces du président Yahya Jammeh contre les défenseurs des droits humains
Le lundi 21 septembre 2009, le président Yahya Jammeh a déclaré sur une chaîne nationale de télévision qu’il tuerait quiconque menacerait de déstabiliser le pays. Il a expressément menacé les défenseurs des droits humains et les personnes travaillant avec eux, en insistant sur le fait que le gouvernement de Gambie ne garantirait pas leur sécurité. Plusieurs organisations non gouvernementales de défense des droits humains ont condamné les menaces proférées par le président et ont demandé aux autorités gambiennes de garantir les droits humains et la sécurité des défenseurs des droits humains et des autres membres de la société civile gambienne.
En octobre 2009, la Commission africaine a adopté la résolution 145, dans laquelle elle exprimait ses inquiétudes quant aux menaces faites par le président Yahya Jammeh et demandait au gouvernement gambien de les retirer et de garantir le respect des droits humains des défenseurs des droits humains et des autres membres de la société civile gambienne. Les autorités gambiennes n’ont jamais mis en œuvre la résolution 145.
La loi de 2013 portant modification de la loi relative à l’information et à la communication
En juillet 2013, la Loi portant modification de la Loi relative à l’information et à la communication a été adoptée par l’Assemblée nationale. Cette loi autorise les tribunaux à sanctionner par des peines allant jusqu’à 15 ans d’emprisonnement et de lourdes amendes quiconque critique les autorités gouvernementales sur Internet, y compris les personnes qui propagent de «fausses nouvelles» sur le gouvernement ou ses représentants, dessinent des caricatures ou critiquent publiquement des représentants du gouvernement ou incitent au mécontentement ou à la violence contre le gouvernement.
En vertu de ce texte, un simple dessin humoristique ou une satire pourrait valoir à son auteur jusqu’à 15 années de réclusion et une amende pouvant atteindre trois millions de dalasis (environ 64 000 euros). Cette loi a pour but de réprimer l’expression de toute dissidence sur Internet, ce qui constitue une grave restriction du droit à la liberté d’expression.
La Loi de 2013 portant modification du Code pénal
La Loi portant modification du Code pénal a été adoptée en mai 2013. Elle élargit les définitions de diverses infractions et instaure des châtiments plus sévères pour les troubles à l’ordre public, tels que « proférer des propos injurieux » ou « chanter des chansons injurieuses », et pour la communication de fausses informations à un fonctionnaire. Les nouvelles dispositions érigent en infraction les formes d’expression personnelle sur le plan vestimentaire, surtout lorsque la personne ne se conforme pas aux « normes » de genre dominantes.
La Loi comporte par ailleurs des définitions vagues, ce qui confère des possibilités d’interprétation et d’application ne concordant pas avec le droit international relatif aux droits humains et les normes connexes. Le Code pénal gambien a déjà été révisé à plusieurs reprises (2004, 2005 et 2011) en vue d’accroître les amendes et les peines de prison prévues, notamment en ce qui concerne les faits de sédition et de diffamation, ce qui vise à étouffer la liberté d’expression.
La Loi de 2001 portant modification de la loi relative à l’immunité
En avril 2001, l’Assemblée nationale a adopté la Loi portant modification de la loi relative à l’immunité, qui donnait au président le pouvoir de protéger des poursuites toute personne susceptible d’avoir commis un acte de répression d’une réunion non autorisée ou autre situation d’urgence. Il était prévu de rendre cette loi rétroactive afin d’accorder l’immunité aux forces de sécurité responsables de tirs contre des étudiants en avril 2000.
En 2002, la Cour suprême a statué que cette loi ne s’appliquait pas aux forces de sécurité, puisqu’elle avait été adoptée après les faits. La loi est toujours en vigueur et dissuade encore de toute démarche visant à obtenir réparation la plupart des victimes de violations des droits humains. Le droit des victimes de violations des droits humains à des voies de recours utiles est garanti par l’article 2.3 du PIDCP.
La Constitution de 1997
La Constitution de la République de Gambie est entrée en vigueur le 16 janvier 1997. Plusieurs organisations de défense des droits humains ont exprimé leurs préoccupations quant aux menaces que la nouvelle Constitution fait peser sur les droits humains, notamment parce qu’elle n’a pas supprimé la peine de mort. Ce châtiment, aboli par le gouvernement gambien en 1993, avait été rétabli par le président Yahya Jammeh en 1995.
À son article 18.3, la Constitution de 1997 dispose que l’Assemblée nationale devra examiner le bien-fondé du maintien de la peine de mort dans un délai de 10 ans. Cela fait 17 ans que cet examen aurait dû être engagé.
Credits Photo: La Kabylie