La migration féminine dans la ville de Kayes au Mali
Famagan Oulé Konaté, 2010
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Au Mali, la migration n’est plus seulement l’apanage des hommes. Les femmes maliennes également tentées par l’aventure, seules ou aux côtés de leur mari, vont à destination d’autres régions du Mali ou vers l’étranger. Malgré la variété de leur profil, des motifs de départ et des activités exercées en zone d’accueil, en prenant la décision de migrer, elles répondent à une stratégie collective et, à l’instar des hommes, vont à la recherche de ressources matérielles dont une partie est destinée à leur famille restée au pays. Des données statistiques recueillies dans la ville de Kayes précisent les déterminants de cette migration féminine.
Le profil des femmes émigrées
La caractérisation de ces femmes émigrées s’appuie sur trois variables démographiques : l’âge et le niveau d’instruction au départ en migration ; la situation matrimoniale avant le départ et actuellement. En ce qui concerne l’âge au départ en migration, nous constatons que le pic des départs (27,5 %) intervient entre 25-29 ans. Le départ en migration pour les femmes est donc aussi une affaire de jeunes gens. Avant le départ en migration, elles sont nombreuses (52 %) à atteindre le niveau primaire. Nous comptons 22,5 % de femmes ayant atteint un niveau secondaire et plus, 22,4 % d’illettrées, 2,1 % d’alphabétisées et 6 % ayant fait des études coraniques ou de médersa.
Pour ce qui est de la situation matrimoniale, l’étude révèle qu’entre le départ en migration et le moment de l’enquête, la proportion de femmes célibataires est passée de 37,5 % à 13,8 %, celle des femmes en union, de 61,3 % à 81,9 % et celle des veuves de 1,2 % à 2,4 %. Par ailleurs, 1,9 % des femmes en union se sont séparées de leur conjoint ou ont divorcé. Le fait que la proportion de femmes mariées soit si forte ne constitue pas une surprise dans le contexte de la nuptialité au Mali : en effet, l’enquête démographique et de santé en 1996 avait déjà souligné que “84,8 % des femmes maliennes étaient en union et 1,2 % d’entre elles étaient veuves”.
Par ailleurs, sur les 70 femmes résidant à l’étranger (37 en France et 23 dans le reste de l’Afrique), nous constatons une situation très contrastée en termes de transferts financiers, car les migrantes installées en France ont envoyé plus d’argent à leur famille de Kayes que leurs homologues d’Afrique
Les motifs de départ
Hormis le fait que la région de Kayes soit considérée à l’échelle nationale comme répulsive, du fait de la péjoration climatique, on peut distinguer deux grandes catégories de causes de la migration féminine dans la ville de Kayes : d’un côté, les motifs sociaux et, de l’autre, les causes économiques. Une grande majorité de femmes (91,2 %) a émigré pour des raisons sociales. Il s’agit de rejoindre le mari (64,4 % des cas), de poursuivre ses études ailleurs (13,8 %), de rendre visite à un parent (6,3 %), etc.
Ce fait aurait déjà été souligné par Véronique Petit à propos de la migration des femmes du Plateau dogon au Mali : “Pour une raison ou une autre : regroupement familial, mariage, la famille est la première cause des migrations féminines”. À propos des difficultés du regroupement familial, un chef de ménage interrogé sur la question déclare : “Dans certains cas, les durées longues de séparation des maris partis et de leurs femmes restées auprès des parents (5 ans et plus) engendrent un lieu de frustrations, qui se fermente au fil du temps avec comme corollaire les divorces et le déchirement du tissu social”. Seulement 8,3 % des femmes ont émigré pour des raisons économiques comme chercher du travail, faire du commerce ou exercer une activité économique dans la restauration, les salons de coiffure, l’art, etc.
Selon un ancien élu communal de la ville de Kayes, “les opportunités d’emploi, offertes aux jeunes, sont rares”. “Même si je n’encourage pas personnellement la migration des jeunes, force est de constater que ni le pays, ni les communes n’ont mis en place des stratégies efficientes de création d’emplois pour retenir les jeunes. De surcroît, nos écoles de formation mettent chaque année près de 100 000 diplômés sur le marché de l’emploi, à peine 10 000 trouvent un emploi, dans un tel contexte de morosité socioéconomique, il est difficile de retenir nos jeunes.”
Les transferts opérés par les émigrées vers la ville de Kayes
Les envois d’argent constituent la base essentielle de contact avec la famille restée au village. À Kayes, l’argent des migrants est le grenier des familles. Nous remarquons que sur les 160 femmes émigrées, 89 d’entre elles (19 au Mali et 70 à l’étranger) ont fait des transferts financiers au profit des familles de Kayes durant l’année 2009.
En effet, sur les 19 femmes émigrées internes, la majorité d’entre elles (12 sur 19) a fait des transferts financiers de moins de 200.000 FCFA au cours de l’année 2009 et aucun transfert n’a atteint 1.000.000 de FCFA. Dans le même temps, 17 de leurs homologues à l’étranger ont transféré des sommes comprises entre 200.000 et 400.000 FCFA. Nous constatons également que 14 émigrées, sur un total de 70 à l’étranger, ont procédé à des transferts de 1.000.000 FCFA et plus à leur famille de Kayes
Les opinions de la population de Kayes sur la migration féminine
Les opinions des chefs de ménage sont très contrastées sur le phénomène de migration féminine. En effet, la grande majorité des chefs de ménage interrogés (91,9 %) est très favorable à la migration féminine contre 8,1 % d’opinions défavorables. Pour les premiers, la migration féminine est positive, car elle permet de conforter l’économie domestique par les différents transferts opérés (48,8 %), aux filles de trouver un mari ailleurs (39,7 %), de poursuivre leurs études dans des spécialités qui n’existent pas au Mali (5,1 %), d’accéder à de meilleurs soins de santé (4,1 %) ou d’acquérir des compétences professionnelles (2,3 %).
Pour les seconds, la migration féminine est perçue négativement car elle est l’un des vecteurs de la déstructuration sociale : elle conduirait à la perte du potentiel de reproduction de la population de Kayes et accentuerait les disparités économiques entre les ménages avec et sans migrantes. Une dernière raison de cette perception négative des migrations féminines est le déchirement du tissu familial. La mère de l’une des émigrées précise : “Nous, les mères, nous souffrons énormément de l’absence prolongée de nos enfants partis à l’étranger, car l’argent n’est pas un remède à tout. Nous avons aussi besoin de les voir, de les sentir et de les toucher.”