Le mythe de l’invasion : Migration irrégulière d’Afrique de l’Ouest au Maghreb et en Union européenne, partie 2
Hein de Haas, chercheur à l’Institut des migrations internationales de l’Université d’Oxford
Les routes migratoires transsahariennes et maritimes
Les migrants empruntent de nombreuses routes terrestres, maritimes et aériennes pour atteindre leurs destinations en Afrique du nord et en Europe. En raison de politiques d’immigration européennes de plus en plus restrictives et d’une intensification des contrôles migratoires, les migrants font davantage confiance aux routes terrestres, même si ceux qui peuvent se le permettre effectuent en avion une partie au moins de leur voyage pour l’Afrique du nord. De nombreuses études empiriques donnent fortement à penser que le voyage transsaharien s’effectue généralement en plusieurs étapes et peut durer d’un mois à plusieurs années.
Souvent, en cours de route, les migrants et les réfugiés s’établissent temporairement dans les villes situées aux carrefours migratoires pour y travailler et gagner suffisamment d’argent afin de poursuivre leur voyage, généralement dans des camions ou en pick-up (Barros et al., 2002 ; Brachet, 2004 ; Collyer, 2005 ; Escoffier, 2006). Le Cameroun, le Nigéria, la Mauritanie, l’Algérie et la Libye semblent être les pays de prédilection pour faire un arrêt car il y est relativement facile de trouver du travail comme maçon, gardien, commerçant, cordonnier, tailleur, nettoyeur ou employé(e) domestique. Certains migrants finissent par s’installer dans ces villes comme ouvrier, entrepreneur ou passeur (Escoffier et Lahlou, 2002, p. 24).
À l’extrémité ouest du continent, et en réponse probablement à l’intensification des contrôles aux frontières et aux répressions au Maghreb, on a assisté à une forte augmentation de migrants qui évitent de traverser le Sahara pour arriver au Maghreb en voyageant directement par mer des côtes mauritaniennes, cap verdiennes, sénégalaises et d’autres côtes d’Afrique occidentale aux îles Canaries sur des pirogues (bateaux de pêche traditionnels en bois).
À l’extrémité ouest du continent, et en réponse probablement à l’intensification des contrôles aux frontières et aux répressions au Maghreb, on a assisté à une forte augmentation de migrants qui évitent de traverser le Sahara pour arriver au Maghreb en voyageant directement par mer des côtes mauritaniennes, cap verdiennes, sénégalaises et d’autres côtes d’Afrique occidentale aux îles Canaries sur des pirogues (bateaux de pêche traditionnels en bois). Ces pays sont donc devenus de nouveaux pays de migration de transit. Par exemple, Nouadhibou, une ville en plein essor située au nord de la Mauritanie, qui est traditionnellement une destination pour les migrants ouest-africains, s’est récemment transformée en un carrefour migratoire important duquel de nombreux ouest-africains (Sénégalais, Guinéens, Ghanéens, etc.) tentent la traversée en pirogue ou en se cachant dans des cargos pour aller aux îles Canaries. D’autres essayent d’aller de Mauritanie au Maroc par voie terrestre, en passant par le Sahara occidental (Oumar Ba & Choplin, 2005).
Facteurs encourageant l’établissement ou le transit
La répression croissante en Afrique du nord, et particulièrement en Libye, a sûrement joué un rôle important dans la décision de continuer à migrer (Barros et al., 2002), c’est-à-dire de devenir des migrants « de transit ». Par exemple, Escoffier et Lahlou (2002, p. 23) mentionnent le cas de migrants originaires du Nigéria, du Tchad et du Soudan qui ont fui la Libye pour aller au Maroc après les violentes émeutes contre les migrants subsahariens en 2000. Cependant, un nombre considérable de migrants et de réfugiés qui tentent de migrer en Europe reste « coincé » dans des pays comme le Maroc car ils n’ont pas les moyens de traverser et ont donc tendance à rester pendant des périodes de plus en plus longues (Collyer, 2006 ; Lahlou & Escoffier, 2000).
Cela montre combien il est difficile d’utiliser le terme « migrant de transit » pour identifier ces personnes car, selon les expériences qu’ils vivent, leurs motivations et aspirations varient souvent au cours du voyage. Les pays considérés, au départ, comme des pays de transit peuvent devenir des pays de destination, et vice versa.
La répression croissante en Afrique du nord, et particulièrement en Libye, a sûrement joué un rôle important dans la décision de continuer à migrer (Barros et al., 2002), c’est-à-dire de devenir des migrants « de transit ».
Outre le renouveau des villes du désert et des oasis du Mali, du Niger, du Tchad, de la Mauritanie, de l’Algérie et de la Libye situées sur les routes migratoires transsahariennes, la plupart des grandes villes d’Afrique du nord comme Rabat, Oran, Alger, Tunis, Tripoli, Benghazi et le Caire comptent une grande communauté de migrants subsahariens qui se sont installés de façon plus ou moins volontaire (Boubakri, 2004, p. 4 ; Bredeloup & Pliez, 2005, 11 et 12). Ces immigrés se concentrent souvent dans des quartiers précis (Alioua, 2005 ; Oumar Ba & Choplin, 2005).
Bien qu’ils n’aient aucun statut juridique et qu’ils restent vulnérables à l’exploitation, les migrants subsahariens, y compris ceux qui vivent en dehors de la Libye, trouvent un emploi dans des niches spécifiques du secteur des services informels (nettoyage, vaisselle, travail domestique et baby-sitting), du bâtiment, du petit commerce, de la manufacture (tailleur, cordonnier), de l’agriculture, de la mécanique, de la pêche (en Mauritanie), du tourisme, de la coiffure « afro » et des clubs de football (Alioua, 2005 ;Boubakri, 2004).
Il s’agit souvent de travaux difficiles que certains Maghrébins fuient (cf. Bredeloup & Pliez, 2005 : 12). D’autres essayent de poursuivre des études au Maroc et en Tunisie. C’est souvent là un moyen d’obtenir le statut de résident tout en donnant la possibilité de mettre un pied dans le marché du travail (Alioua, 2005 ; Boubakri 2004).
Origines sociales et motivations des migrants
Les différentes données relatives au profil socio-économique des migrants ouest-africains irréguliers montrent que leur parcours est extrêmement varié (Escoffier, 2006). Il ressort qu’ils sont en général moins riches ou qualifiés que les étudiants et les travailleurs migrants réguliers, post-coloniaux et actuels, qui vont en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis (cf. Hernandez-Coss et al, 2007).
Cependant, hormis le portrait classique de personnes désespérées fuyant la pauvreté, les migrants sont rarement issus des familles les plus pauvres. Ils proviennent en général d’une classe socioéconomique moyenne et sont souvent originaires des zones urbaines de leurs pays.
Cependant, hormis le portrait classique de personnes désespérées fuyant la pauvreté, les migrants sont rarement issus des familles les plus pauvres. Ils proviennent en général d’une classe socioéconomique moyenne et sont souvent originaires des zones urbaines de leurs pays.
Un nombre important d’entre eux est allé à l’école secondaire ou à l’université (Escoffier, 2006 ; OCDE, 2006b ;Schoorl et al., 2000). Bien qu’une grande majorité de migrants soit des jeunes hommes, les femmes (qui, souvent, travaillent comme domestiques) et les enfants sont de plus en plus nombreux (Escoffier, 2006). Cela peut énormément varier d’un groupe d’immigrés à l’autre. En Italie, par exemple, 85% des immigrés cap verdiens sont des femmes qui, en majorité, travaillent comme employées domestiques, alors que 96% des Sénégalais sont des hommes travaillant comme marchands de rues (plusieurs sources sont citées dans Van Liempt, 2007).
Les coûts relativement élevés de la migration expliquent en partie pourquoi les migrants ouest-africains n’appartiennent généralement pas aux classes les plus pauvres de leur pays d’origine(Bensaad, 2005 ; OCDE, 2006b). Plutôt que de fuir la pauvreté, les migrants ont tendance à quitter leur pays car ils manquent de possibilités de s’accomplir et ne semblent pas trouver de réponse à leurs aspirations personnelles, ou parce qu’ils ont peur des persécutions et de la violence, ou pour les deux raisons à la fois (Collyer, 2006 ; Escoffier, 2006).
Entrée régulière/irrégulière en Europe
Fait encore moins connu, il existe beaucoup d’autres façons d’entrer en Europe illégalement. Les migrants qui disposent de moyens financiers ou de réseaux suffisants obtiennent soit un visa touristique, soit un permis de résidence par mariage (qu’il soit vrai ou blanc) ou par contrat de travail arrangé ; ils voyagent avec des faux papiers ou avec ceux de personnes de leur famille qui leur ressemblent, ou encore voyagent par avion en utilisant le système dit du « via/via ».
Certains tentent d’escalader les grillages qui entourent les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au nord du Maroc ou tentent de les contourner à la nage. D’autres migrants embarquent à bord de navires à passagers ou de cargos plus sûrs qui partent d’Afrique de l’ouest et du nord pour l’Europe. Ils le font soit de façon clandestine, soit en soudoyant l’équipage du bateau ou les conducteurs des voitures, des camions ou des poids-lourds dans lesquels ils se cachent souvent (De Haas, 2003 ; Hammouda, 2005 ; Oumar Ba & Choplin, 2005 ; Simon, 2006 ; Van Liempt, 2007 ; van Moppes, 2006).
Les coûts relativement élevés de la migration expliquent en partie pourquoi les migrants ouest-africains n’appartiennent généralement pas aux classes les plus pauvres de leur pays d’origine(Bensaad, 2005 ; OCDE, 2006b). Plutôt que de fuir la pauvreté, les migrants ont tendance à quitter leur pays car ils manquent de possibilités de s’accomplir et ne semblent pas trouver de réponse à leurs aspirations personnelles, ou parce qu’ils ont peur des persécutions et de la violence, ou pour les deux raisons à la fois (Collyer, 2006 ; Escoffier, 2006).
Des données provenant d’enquêtes du NIDI et d’Eurostat effectuées dans les années 90 parmi les migrants et les gens habitant la même maison en Italie, en Espagne, au Ghana, au Sénégal, au Maroc et en Égypte fournissent un autre aperçu sur la relative importance des différentes méthodes d’entrée (Schoorl et al., 2000). Bien que l’étude ne soit pas représentative, les résultats montrent que la plupart des migrants est entrée en Europe légalement et que, parmi les migrants irréguliers, la plupart y est restée à l’expiration du visa.
Parmi les Sénégalais en Espagne et les Ghanéens en Italie qui ont répondu à l’enquête, 34% et 60%, respectivement, ont dit avoir respecté les règles en matière d’immigration, 15% et 7% sont entrés illégalement et 36% et 15% sont restés à l’expiration de leur visa alors que 14% et 18% n’ont pas répondu à la question. Parmi ceux qui ont dit être entrés illégalement ou être restés à l’expiration de leur visa, le pourcentage de ceux qui disent avoir réussi est de deux tiers ou plus (Schoorl et al., 2000). Cependant, ces résultats sont sans doute déformés en faveur des cas les plus réussis. En se fondant sur les données publiées par le Ministère de l’intérieur italien, on estime qu’en 2005, pas moins de 61% des migrants irréguliers étaient restés à l’expiration de leur visa (contre 75% en 2002-2003), 27% étaient rentrés dans le pays avec de faux papiers (contre 15% en 2002-2003) et 12% sont entrés clandestinement (contre 10% en 2002-2003), (Coslovi, 2007 ; ONUDC, 2006).
Les intermédiaires : passeurs et réseaux familiaux
Plus que les passeurs, ce sont les policiers, les soldats et les fonctionnaires des douanes corrompus et violents qui exigent de gros pots-de-vins, prennent tout l’argent ainsi que des objets indispensables comme les téléphones portables, qui représentent le plus grand danger pour les migrants lors de leur voyage transsaharien ou de leur séjour au Maghreb (Barros et al., 2002 ; Goldschmidt, 2006). Dans son étude relative à la route Agadez-Sebha entre le Niger et la Libye, Brachet (2005) indique qu’il existe une corruption à grande échelle parmi les fonctionnaires de police et des douanes qui font payer très cher les « droits de passage » aux migrants et aux passeurs.
Les migrants utilisent souvent les services de passeurs pour se protéger de ces pratiques abusives, qui semblent s’être aggravées depuis la récente augmentation des mesures répressives en Afrique du nord. Bien que les passeurs aient souvent recours aux pratiques abusives, aux escroqueries et à la violence, on ne peut décrire les migrants comme étant des victimes passives qui sont recrutées et n’ont rien à dire. En fait, les passeurs offrent un service et il existe souvent un niveau d’interdépendance élevé entre eux et les migrants.
Quantification des modèles migratoires à partir de l’Afrique de l’ouest
Tableau 1. Estimations des populations d’émigrants et d’immigrants en Afrique de l’ouest et du nord
Population (2000) | Stock d’Emigrants | % population | Stock d’immigrants | % population | Stock émigrant-immigrant | % net stock de migrants | |
Bénin | 7 197 000 | 508 640 | 7,0 | 174 726 | 2,43 | -333 914 | -4,64 |
Burkina Faso | 11 292 000 | 1 121 758 | 9,9 | 772 817 | 6,84 | -348 941 | -3,09 |
Cameroun | 14 856 000 | 231 169 | 1,5 | 136 909 | 0,92 | -94 260 | -0,63 |
Cap- Vert | 451 000 | 181 193 | 40,1 | 11 183 | 2,48 | -170 010 | -37,70 |
Côte d’Ivoire | 16 735 000 | 151 755 | 0,9 | 2 371 277 | 14,17 | 2 219 522 | 13,26 |
Gabon | 1 272 000 | 27 330 | 2,1 | 244 550 | 19,23 | 217 221 | 17,08 |
Gambie | 1 316 000 | 56 762 | 4,3 | 231 739 | 17,61 | 174 977 | 13,30 |
Ghana | 19 867 000 | 906 698 | 4,5 | 1 669 267 | 8,40 | 762 569 | 3,84 |
Guinée | 8 434 000 | 520 835 | 6,1 | 405 772 | 4,81 | -115 063 | -1,36 |
Bissau | 1 366 000 | 116 124 | 8,5 | 19 171 | 1,40 | -96 953 | -7,10 |
Libéria | 3 065 000 | 89 075 | 2,9 | 50 172 | 1,64 | -38 903 | -1,27 |
Mali | 11 647 000 | 1 213 042 | 10,4 | 46 318 | 0,40 | -1 166 724 | -10,02 |
Mauritanie | 2 645 000 | 105 315 | 3,9 | 65 889 | 2,49 | -39 426 | -1,49 |
Niger | 11 782 000 | 437 844 | 3,7 | 123 687 | 1,05 | -314 157 | -2,67 |
Nigéria | 117 608 000 | 836 832 | 0,7 | 971 450 | 0,83 | 134 618 | 0,11 |
Sénégal | 10 343 000 | 463 403 | 4,4 | 325 940 | 3,15 | -137 463 | -1,33 |
Sierra Leone | 4 509 000 | 78 516 | 1,7 | 119 162 | 2,64 | 40 646 | 0,90 |
Tchad | 8 216 000 | 181 442 | 2,2 | 437 049 | 5,32 | 255 607 | 3,11 |
Togo | 5 364 000 | 222 008 | 4,1 | 183 304 | 3,42 | -38 704 | -0,72 |
Total | 257 965 000 | 7 449 740 | 2,8 | 8 360 382 | 3,24 | 910 642 | 0,35 |
Afrique du nord | |||||||
Algérie | 30 463 000 | 1 783 476 | 5,8 | 242 446 | 0,80 | -1 541 030 | -5,06 |
Égypte | 67 285 000 | 2 399 251 | 3,5 | 166 047 | 0,25 | -2 233 204 | -3,32 |
Libye | 5 306 000 | 90 138 | 1,7 | 617 536 | 11,64 | 527 398 | 9,94 |
Maroc | 29 231 000 | 2 718 665 | 9,3 | 131 654 | 0,45 | -2 587 012 | -8,85 |
Tunisie | 9 563 000 | 623 221 | 6,5 | 37 858 | 0,40 | -585 363 | -6,12 |
Total | 141 848 000 | 7 614 751 | 5,3 | 1 195 541 | 0,84 | -6 419 211 | -4,53 |
Tableau 2. Estimations des destinations des populations émigrantes d’Afrique de l’ouest et du nord (en %)
Afrique de l’ouest | Afrique Centrale | Afrique du Nord | Pays du Golfe | Europe de l’Ouest, de l’Est et du Nord | Amérique du Nord | Autre | |
Afrique de l’ouest | |||||||
Bénin | 79,1 | 8,6 | 0,0 | 0,0 | 3,5 | 0,3 | 8,5 |
Burkina Faso | 90,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 1,3 | 0,1 | 8,5 |
Cameroun | 9,7 | 42,7 | 0,0 | 0,0 | 31,8 | 7,0 | 8,7 |
Cap- Vert | 10,2 | 1,1 | 0,0 | 0,0 | 53,0 | 16,7 | 18,9 |
Côte d’Ivoire | 35,9 | 0,1 | 0,0 | 0,0 | 48,4 | 6,9 | 8,7 |
Gabon | 24,1 | 14,6 | 0,0 | 0,0 | 48,9 | 3,7 | 8,7 |
Gambie | 27,6 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 51,5 | 12,2 | 8,7 |
Ghana | 66,4 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 14,3 | 10,2 | 9,1 |
Guinée | 84,8 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 5,2 | 1,4 | 8,6 |
Guinée-Bissau | 56,3 | 0,1 | 0,0 | 0,0 | 34,6 | 0,5 | 8,6 |
Libéria | 24,9 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 14,2 | 51,7 | 9,1 |
Mali | 82,7 | 3,8 | 0,1 | 0,0 | 4,5 | 0,3 | 8,6 |
Mauritanie | 65,6 | 2,4 | 0,1 | 0,2 | 20,6 | 2,5 | 8,6 |
Niger | 79,0 | 10,2 | 0,1 | 0,0 | 1,8 | 0,3 | 8,5 |
Nigéria | 14,1 | 26,9 | 3,5 | 1,7 | 24,6 | 19,9 | 9,3 |
Sénégal | 39,3 | 6,7 | 0,0 | 0,0 | 42,1 | 3,0 | 8,8 |
Sierra Leone | 13,6 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 45,7 | 31,5 | 9,2 |
Tchad | 13,5 | 41,7 | 26,5 | 5,7 | 3,4 | 0,6 | 8,6 |
Togo | 65,9 | 7.4 | 0,0 | 0,0 | 16,3 | 1,9 | 8,6 |
Total | 61,2 | 8,1 | 0,9 | 0,3 | 14,7 | 6,0 | 8,8 |
Afrique du nord | |||||||
Algérie | 0,1 | 0,0 | 0,8 | 0,1 | 85,5 | 2,0 | 11,5 |
Égypte | 0,4 | 0,0 | 15,4 | 53,0 | 8,2 | 7,1 | 16,0 |
Libye | 0,3 | 13,9 | 2,3 | 0,4 | 25,6 | 13,7 | 43,7 |
Maroc | 0,2 | 0,0 | 0,3 | 0,8 | 79,2 | 2,7 | 16,8 |
Tunisie | 0,0 | 0,0 | 12,3 | 2,0 | 71,7 | 2,2 | 11,8 |
Total | 0,2 | 0,0 | 6,3 | 17,2 | 57,1 | 3,8 | 15,4 |
Les facteurs à l’origine de la migration : remise en cause des modèles push-pull (facteurs d’attraction et de répulsion)
On dit souvent que la migration irrégulière d’Afrique de l’ouest en Europe est massive et que cet « exode africain » est dû à l’extrême pauvreté, au chômage endémique et aux guerres (civiles, Adepoju, 2002 ; Fall, 2003 ; Lahlou, 2005). La sécheresse, la dégradation de l’environnement et, de plus en plus, les changements climatiques sont aussi fréquemment avancés comme des facteurs qui poussent les Africains à migrer (Carr, 2005 ; Henry et al., 2004a). Cela correspond bien aux stéréotypes que l’on a sur l’Afrique, un continent ravagé par toutes sortes de maux. Comme Diatta et Mbow (1999, p. 243) l’ont indiqué, la désertification, la mondialisation de l’économie et l’aggravation de la pauvreté ont accéléré l’exode humain.
Ces analyses ont comme point commun d’interpréter la migration, implicitement ou explicitement, comme une absence de développement (voir, par exemple, Cross et al., 2006).
Les migrants eux-mêmes sont souvent dépeints comme des victimes passives que des forces extérieures poussent hors du continent africain et qui sont des proies faciles pour des trafiquants et des passeurs sans scrupules.
Plus que les passeurs, ce sont les policiers, les soldats et les fonctionnaires des douanes corrompus et violents qui exigent de gros pots-de-vins, prennent tout l’argent ainsi que des objets indispensables comme les téléphones portables, qui représentent le plus grand danger pour les migrants lors de leur voyage transsaharien ou de leur séjour au Maghreb (Barros et al., 2002 ; Goldschmidt, 2006).
Au niveau théorique, on met souvent l’accent sur les « causes profondes », comme la pauvreté, qui sont présentées comme des facteurs exogènes à l’origine de la migration. De telles interprétations sont l’illustration des modèles push-pull de migration, en vertu desquels la migration est une fonction linéaire des variations spatiales des niveaux de développement entre les lieux d’origine et de destination, vu, en général, en termes dichotomiques. La plupart des analyses, pourtant, mettent bien davantage l’accent sur les facteurs répulsifs (push) qu’attractifs (pull).
Outre les problèmes d’ordre théorique, les modèles push-pull sont également en contradiction avec les données empiriques. L’idée selon laquelle la pauvreté extrême et le sous-développement ont entraîné une migration de masse d’Afrique de l’ouest en Europe est totalement fausse.
Premièrement, malgré une hausse récente, l’émigration d’Afrique de l’ouest en Europe n’est en aucun cas massive, elle est même plutôt modeste par rapport aux mouvements migratoires d’autres parties du monde. On peut également douter de la nature des tendances au niveau macro, qui sont souvent considérées comme « entraînant » la migration. Par exemple, l’idée répandue selon laquelle la région du Sahel souffre de désertification a récemment été remise en question, des éléments prouvant qu’il existe de plus en plus de verdure, du moins dans certaines régions du Sahel (Olsson et al., 2005). Il semble également improbable que les récents changements des tendances migratoires puissent être attribués au changement climatique, dont la nature et les conséquences restent encore floues.
Premièrement, malgré une hausse récente, l’émigration d’Afrique de l’ouest en Europe n’est en aucun cas massive, elle est même plutôt modeste par rapport aux mouvements migratoires d’autres parties du monde. On peut également douter de la nature des tendances au niveau macro, qui sont souvent considérées comme « entraînant » la migration.
Deuxièmement, il y a lieu d’émettre des doutes quant à la relation présumée entre développement et migration. Si la pauvreté et le sous-développement étaient les causes principales de la migration, comment peut-on alors expliquer que malgré son extrême pauvreté et sa situation souvent instable, l’Afrique de l’ouest enregistre des taux d’émigration en Europe et en Amérique du nord beaucoup plus faibles que d’autres régions beaucoup plus riches comme l’Afrique du nord, l’Amérique latine ou l’Asie ?
Les modèles push-pull partent du principe qu’il existe une relation linéaire inversement proportionnelle entre les différences de développement humain et économique et le taux d’émigration. Cela ne cadre pas avec les preuves de plus en plus nombreuses que le développement social et économique augmente les moyens des personnes et tend donc au départ à favoriser la propension à émigrer, et non l’inverse (De Haas, 2005a).
Politiques de lutte contre la migration irrégulière mises en œuvre en Europe, en Afrique du nord et en Afrique de l’ouest
Pour réduire l’immigration, l’UE cherche également à promouvoir la coopération sur les questions de migration dans le cadre des Accords euro-méditerranéens d’association que tous les pays d’Afrique du nord, à l’exception de la Libye, ont signé avec l’UE et qui devraient conduire à la mise en place de zones de libre-échange au cours des dix prochaines années.
Le soutien de l’UE à la transition économique des pays nord-africains passe surtout par un programme de mesures d’accompagnement (programme MEDA), dans le cadre duquel des sommes importantes sont allouées pour atteindre l’objectif défini de réduction de l’immigration. Par exemple, du budget total d’aide du MEDA alloué au Maroc, qui s’élève à 426 millions d’euros pour la période 2000-2006, 115 millions d’euros (soit 27%) sont utilisés pour « briser le cercle vicieuxde la croissance faible, du chômage, de la pauvreté et de la migration » par un soutien auxcontrôles de l’immigration irrégulière et la mise en place de programmes de développement rural (De Haas, 2005b ; Hoebink, 2005).