Y-a-t-il un problème d’information et de communication à l’origine de la migration clandestine?
Je pense qu’il faut parler aux parents. Ils n’ont pas le droit d’envoyer leurs enfants à la mort comme cela. Cette migration doit être organisée. On doit savoir : Où l’enfant va ? Qu’est ce qui l’attend de l’autre côté ? Quels sont les risques qu’il prend ? L’enfant parle-t-il la langue du pays où il va ? Les pousser à ce risque à telle enseigne qu’on met sa propre progéniture dans des pirogues alors que les enfants ne savent pas nager, ce n’est pas normal. Et qu’on ne me dise pas que c’est parce qu’ils n’ont rien, ça a un coût. Ça ne coûte pas moins d’un million, de deux millions (de francs CFA). Avec un million, vous faites une start-up ici… Je crois qu’il faut leur parler. On doit parler aux jeunes qui viennent d’arriver (N.D.L.R : les jeunes migrants rapatriés et accueillis par l’AMLD).
Comment lutter contre la migration clandestine de nos jeunes?
Que ce qu’ils veulent partir sachent que là où ils veulent aller, ils doivent avoir des papiers ou être invités. On a le droit de circuler, mais la circulation, cela s’organise. Il y a des normes. Il y a un cadre pour la migration qu’il faut respecter.
La migration est un processus. Quand on migre, on a un projet migratoire. On veut partir pour une chose donnée qu’on va chercher ailleurs et une fois qu’on l’a, on revient. Ou alors si on l’a et on veut s’installer, on se conforme aux normes de l’endroit où on veut s’installer. Il y a des voies pour avoir sa pièce d’identité, son passeport et son visa. Ce n’est pas parce que ces voies sont difficiles qu’on doit chercher à les contourner.
On doit développer les politiques qu’il faut, on doit leur dire si vous voulez aller en Espagne, en Italie, en France, en Grèce, si vous voulez juste aller ici, au Mali, en Mauritanie, il y a des normes.
Quel regard portez-vous sur les politiques migratoires en Afrique de l’Ouest?
Il n’y en a pas. Tous les pays de l’Afrique de l’Ouest au sein de la CEDEAO comme les pays du Sahel essaient d’avoir une vision de la migration. Tous essaient de voir comment gérer la migration.
Le Sénégal vient juste de terminer sa politique nationale sur les migrations. Elle n’est pas encore implémentée même s’il y a eu des anticipations par-ci et par-là. La plupart des pays africains n’ont pas de politique migratoire. Je dois dire à leur décharge que les pays européens aussi n’en ont pas. Ils ont des intérêts communs qu’ils gèrent au sein de l’Union européenne mais aucun pays n’a individuellement une politique migratoire précise. L’OIM a eu énormément de financements venant de l’Union Européenne pour aider les pays de l’Afrique de l’Ouest à formuler leurs politiques migratoires mais le travail est tellement lent que le temps qu’ils terminent la formulation de leurs politiques migratoires, les données sur lesquels ils doivent se baser pour formuler des stratégies et, à la limite, pour formuler des réformes ou proposer des politiques migratoires, sont obsolètes.
Un ministère comme celui des Sénégalais de l’extérieur suffit-il pour développer une politique migratoire efficace?
La question des Sénégalais de l’extérieur, c’est la question de la diaspora. Elle est un segment de la politique migratoire. On ne peut pas assimiler la question de notre diaspora à la question migratoire. Elle est importante parce que c’est une partie des nôtres qui est à l’étranger et il y en a qui sont réguliers. Ils sont surtout réguliers ceux-là. Si vous regardez bien, les interventions des ministères de la diaspora sont très tournées vers la diaspora régulière. Mais la question migratoire, c’est la question de l’utilisation des « rémittences » (les transferts d’argent des migrants vers le pays d’origine), la question de l’utilisation des compétences qui sont dans la diaspora…
Vous êtes présidente de l’Alliance pour la Migration, le Leadership et le Développement. De quelle manière cette structure contribue-t-elle à la gestion de la question migratoire en Afrique de l’Ouest?
On contribue par les idées que nous développons, les propositions que nous faisons non seulement aux gouvernements, aux différentes structures responsables de la migration mais également à la CEDEAO. Et, de temps en temps, entre l’Union européenne et la CEDEAO, nous intervenons. Mais il est certain qu’on aurait pu faire davantage et peut-être mieux si on avait un peu plus d’écoute de la part des autorités et si on avait un peu plus de moyens. On est en train d’essayer de mettre en place un observatoire des migrations non seulement ici au Sénégal mais également – au moins – en Afrique de l’Ouest. Un observatoire qui va être un observatoire dynamique, une pépinière d’idées où des juristes, des sociologues, des économistes aussi, des anthropologues vont travailler pour juste mettre à niveau, non seulement notre propre pays, mais pour pouvoir commercer avec les autres pays de la CEDEAO et les autres pays de l’Afrique, les autres pays du monde, en ce qui concerne la question migratoire.
Photo: WATHI
Madame Ndioro Ndiaye est ancienne directrice générale adjointe de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Elle est la présidente de l’Alliance pour la migration, le leadership et le développement (AMLD).