Les politiques migratoires en Afrique de l’Ouest
«Il faut une approche continentale et une approche sous régionale. Quand vous êtes migrants de la CEDEAO à l’intérieur de la CEDEAO, vous n’avez pas de problèmes. Mais quand vous sortez de la CEDEAO, vous n’avez aucun droit, on ne vous reconnaît aucun droit quand vous êtes au Cameroun, quand vous êtes ailleurs, cela pose problème. Il faut ré-africaniser les réponses, la question des migrants, les aborder dans une perspective africaine et ne pas être sous la dictée de l’Europe. Elle impose des solutions par rapport à ses préoccupations qui sont non avouées : cela consiste à dire « ce que nous n’acceptons pas, ce sont des migrants économiques », or, on n’a pas besoin de faire un rappel : les populations de la vallée : Mauritanie, Mali, Sénégal ont largement contribué à l’essor de l’économie française, notamment l’automobile.»
«Au sein de la CEDEAO, c’est vrai que la question migratoire a repris du poil de la bête (…) Il n’en reste pas moins que la mobilité, la fin des frontières qui doit être l’objectif final de la CEDEAO (supprimer les barrières douanières, etc.) a encore du mal à prendre forme pour une raison simple : parce qu’il y a encore le rejet de l’autre, les égoïsmes nationaux (…). Il n’y a pas pour l’instant une éducation à la paix.»
Il faut ré-africaniser les réponses, la question des migrants, les aborder dans une perspective africaine et ne pas être sous la dictée de l’Europe
«Il faut que l’on comprenne une chose : ces échanges de populations, cette circulation migratoire n’a d’autres objectifs et d’autres ambitions que de résoudre les difficultés que les gens peuvent vivre dans leurs localités d’origine. Ceux qui partent le font pour permettre aux autres de rester. Le migrant laisse derrière lui tout un monde. En réalité, il fait cette production à distance. Il est dans une stratégie familiale de recherche de solutions et de réponses. C’est à ce titre qu’il mérite d’être accompagné.»
«Le développement ne pourra pas freiner la migration. Ceux qui partent le font aussi parce qu’ils ont envie de s’émanciper, de voir quelque chose de différent. Ce n’est pas la misère qui est à l’origine des migrations. C’est un projet parfois personnel, surtout familial. Partir en migration a un coût, ce n’est pas gratuit. Vous imaginez la famille qui récolte au bout d’un an sa production, qui en vend une partie, qui investit sur un migrant qui n’arrive pas à franchir la Libye, qui est renvoyé. C’est une perte de richesses pour ces économies.»
Ceux qui partent le font pour permettre aux autres de rester. Le migrant laisse derrière lui tout un monde
«On explique de plus en plus que l’aide publique au développement est inférieure à l’apport des migrants dans leurs communautés. Qui pourrait se passer de cela ? Maintenant, il y a des dispositions d’accompagnement qui manquent, il faut qu’il y ait des interfaces, des structures dédiées aux migrants qui ne soient pas des structures clientélistes. Les dispositifs d’accueil et d’insertion des migrants de retour ne répondent pas aux besoins. Il s’y ajoute que chaque fois que l’on parle de migrants, on pense aux nationaux. On oublie les étrangers qui vivent sur notre territoire. Or, c’est ici et là-bas, c’est ce que nous appelons le double espace. En même temps que l’on demande que nos migrants qui sont à l’étranger bénéficient des choses qui leur sont dues, il faudrait faire la même chose pour les étrangers qui sont ici.»
Photo: WATHI
Pape Demba Fall, chef du département des sciences humaines de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN), Spécialiste des migrations