Perspectives de la recherche ouest-africaine sur la migration
«A l’époque, je travaillais sur les questions urbaines. J’ai compris au terme de ma thèse que l’une des réponses que les populations urbaines, en particulier de Dakar et sa banlieue, avaient trouvée à la crise urbaine, c’était la migration. J’ai commencé à voir dans les villages lébou de Thiaroye des jeunes qui partaient en migration (lébous : communauté de pêcheurs). Et c’est comme ça que je me suis intéressé à la migration.»
«Cela fait plus de 20 ans que nous travaillons sur les questions migratoires. Au début, on était seul, quasiment seul. Aujourd’hui, les rangs se sont garnis pour traiter de différentes questions. Il ne faut pas oublier, – et ça c’est un rappel me semble-t-il important -, il y a un renvoi à la sociologie lorsque l’on parle des questions de migration or ces questions ne peuvent pas être l’apanage d’une discipline. Les premiers travaux d’ailleurs dans le domaine de la migration, c’était dans le domaine de la médecine où on se préoccupait de la santé des premiers migrants.»
«Il y a eu de grands chercheurs dans le domaine de la migration. Je me souviendrai toujours des premiers travaux sur le travailleur africain noir en France de Souleymane Diarra, qui est un Ivoirien, ici à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.»
«Le tableau qui a été brossé des migrations ouest africaines est un tableau quelque peu déséquilibré. Les appartenances linguistiques l’ont emporté sur l’approche globale. Les lusophones travaillent sur la Guinée Bissau, les anglophones travaillent sur le Ghana, les francophones travaillent sur leurs pays. Il a manqué cette vision globale qui transcende les barrières linguistiques, coloniales. Il faut une approche globale.»
Les migrations africaines vont en Afrique. Il faut faire la distinction entre le stock migratoire, c’est à dire le nombre de migrants que l’on compte à un moment donné ; et les flux migratoires, c’est à dire les derniers mouvements
«On ne peut pas dissocier, par exemple, la Guinée Bissau de la Casamance sénégalaise, c’est le même espace. Ce sont des choses que nous devons transcender et comprendre. En Afrique, on parlerait plus de circulation migratoire. Il y a ce que j’appelle les migrations par le bas, c’est-à-dire l’intégration par des peuples qui donne une dynamique migratoire fortement articulée autour des complémentarités régionales.»
L’ancienneté et la diversité des phénomènes migratoires ouest-africains
«La circulation migratoire en Afrique de l’Ouest, elle est d’abord une circulation de proximité. Les gens vont dans les pays proches, ils s’en éloignent parfois (…). Les premières migrations étaient orientées vers l’espace colonial français. A Fann Hock, on avait des colonies de Dahoméens, aujourd’hui les Béninois. On avait les Capverdiens dans la SICAP Baobab parce que Dakar, c’était la capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF).»
«Il y avait à l’époque coloniale des circulations internationales, mais saisonnières. Quand le Sénégal produisait de l’arachide, on avait les Mossis (de l’ancienne Haute Volta, actuel Burkina Faso). Ces migrations allaient des zones sahéliennes vers les villes de la Côte atlantique, du Burkina vers la Côte d’Ivoire en remontant un peu vers la Guinée, le Sénégal, mais essentiellement vers les grandes villes capitales. Le schéma a été perturbé avec les indépendances où il y a eu un droit plus consacré au départ où les gens, compte tenu de la crise et des difficultés des pays comme la Côte-d’Ivoire et le Sénégal se sont redéployés vers d’autres cieux.»
«Aujourd’hui, quand on regarde l’Afrique de l’Ouest, ce que l’on peut considérer comme des pays d’immigration, c’est à dire des pays d’accueil des pays qui ont un solde migratoire positif, ce sont principalement trois pays : le Ghana, le Nigéria et la Côte-d’Ivoire. Les autres ont un solde migratoire négatif, il y a plus de départs que d’arrivées.»
C’est un peu ce que j’appelle la médiatisation excessive et le fait que les médias occidentaux (….) imposent leur volonté à la communauté parce que les moyens de diffusion, de distribution des idées et des images sont plus importants de leur côté. De ce point de vue, l’Afrique doit aussi apporter une réponse
«Au Burkina, vous aviez les premiers migrants Mossis qui allaient vers la Côte d’Ivoire qui ont entamé un processus de retour avec la crise ivoirienne. Vous avez de nouveaux groupes qui participent à la migration comme les Bissas qui sont allés en Italie, en Espagne. Au total, on a une circulation migratoire qui s’est intensifiée, un intérêt plus marqué pour les migrations qui touchent toutes les catégories.»
« Une des questions dont on parle rarement parce qu’elle est assez spécifique, c’est celle des réfugiés. Ce sont des gens qui traversent leurs frontières pour chercher une sécurité quelque part : exemple, les Libériens qui vont au Ghana, au Sénégal, au Togo (…). On parle plutôt des travailleurs migrants. Il y a aussi la féminisation des mouvements, la mobilité des étudiants, des sportifs, des intellectuels. Le Ghana a payé un très lourd tribut à ces migrations : les médecins, le personnel de santé. »
«Les migrations africaines vont en Afrique. Il faut faire la distinction entre le stock migratoire, c’est à dire le nombre de migrants que l’on compte à un moment donné ; et les flux migratoires, c’est à dire les derniers mouvements. Depuis les années 2000 et même avant, les flux migratoires vers l’Europe se sont intensifiés à telle enseigne que cela a pu brouiller le tableau pour une raison très simple : il y a un protectionnisme migratoire en Afrique. Des pays d’accueil comme la Libye, la Côte d’Ivoire sont désormais en crise et les gens vont chercher ailleurs. Ils vont en Europe.»
«Les gens vont par le Tchad, Niger, Agadez, Durgou, essayer de rentrer en Libye, passer par l’Algérie. Je signale que ces mouvements-là ne sont pas du tout nouveaux. Ces itinéraires ont été remis au goût du jour, (…) ça s’est redynamisé. Agadez est devenu aujourd’hui un carrefour autoroutier avec le transport des migrants. Cela crée une dynamique quelles que soient les conséquences par ailleurs.»
La place particulière de la Libye dans la recomposition des migrations ouest- africaines
«Il y a des permanences, des ruptures mais il y a aussi des continuités. Dans ce que j’appelle la recomposition significative des migrations ouest-africaines, la place de la Libye est une place importante. C’est ce qui s’est produit en Libye qui a perturbé tout ça, elle a modifié le schéma migratoire ouest-africain. La configuration du champ migratoire est aussi liée à la stabilité politique.»
«Les migrations africaines aujourd’hui peuvent s’appuyer sur le jihadisme, tous ces gens qui étaient dans -ce que j’appelle la fraude- sont dans les mouvements. Ils offrent des possibilités et prennent en charge (les migrants). C’est-à-dire que l’économie de la fraude de tabac que l’on a connue dans le désert s’est un peu repliée vers le trafic des migrants. La ressource aujourd’hui dans les trafics, ce sont les migrants. Les réseaux jihadistes soutiennent massivement la migration.»
«C’est un peu ce que j’appelle la médiatisation excessive et le fait que les médias occidentaux (….) imposent leur volonté à la communauté parce que les moyens de diffusion, de distribution des idées et des images sont plus importants de leur côté. De ce point de vue, l’Afrique doit aussi apporter une réponse.»
Photo: WATHI
Pape Demba Fall, chef du département des sciences humaines de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN), Spécialiste des migrations
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Bonjour, comment faire pour contacter directement cet éloquent monsieur ?
Je voulais juste savoir les principales caractéristiques de la migration ouest africaine