Bénin 2016 : l’élection présidentielle met en lumière les faiblesses institutionnelles du pays
Idayat Hassan et Mathias Hounkpè
C’est par une décision datée du 11 février 2016 que la Cour Constitutionnelle du Bénin a reporté la date du premier tour de l’élection présidentielle du Bénin du 28 février au 6 mars 2016. Ce report d’une semaine s’explique essentiellement par l’incapacité du Conseil d’Orientation et de Supervision de la Liste Electorale Permanente Informatisée (COS/LEPI) d’imprimer et de distribuer les cartes d’électeurs dans les délais légaux.
Avant l’élection présidentielle de 2011, la liste électorale au Bénin était ad hoc (valide seulement pour six mois) et manuelle avec les noms des électeurs écrits sur de simples feuilles de papier. L’adoption de la liste électorale permanente informatisée (LEPI) en 2011 a par conséquent été considérée comme une évolution heureuse, saluée par tous. Cependant, le fait d’avoir confié la supervision de l’opération d’actualisation annuelle de la liste au COS/LEPI, essentiellement composé d’acteurs politiques, a jusque-là posé des problèmes. Neuf des onze membres de cet organe sont des parlementaires, cinq de la majorité et quatre de la minorité.
Le COS/LEPI, pour la deuxième fois depuis son adoption par le code électoral, se montre incapable d’achever l’impression et la distribution des cartes d’électeurs dans les délais prescrits par la loi.
Le COS/LEPI, mis en place au 1er juillet de chaque année, est supposé rendre la LEPI actualisée disponible pour la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) au plus tard le 31 janvier de l’année suivante. Le COS/LEPI, pour la deuxième fois depuis son adoption par le code électoral, se montre incapable d’achever l’impression et la distribution des cartes d’électeurs dans les délais prescrits par la loi. Au-delà de l’incapacité à garantir à chaque électeur son document de vote, se pose également la question des anciennes cartes produites en 2015 dont la validité, selon le code électoral, est de dix ans.
Selon la décision de la Cour Constitutionnelle, les deux cartes d’électeurs – celle de 2015 et celle en cours d’impression et de distribution – peuvent servir pour la présidentielle du 6 mars 2016. Allant un peu plus loin, la Cour a décidé de la dissolution du COS/LEPI (qui conformément au code électoral est devenu illégal depuis le 31 janvier 2016) en confiant le reste du processus d’impression et de distribution des cartes au Centre National de Traitement (CNT). Il est espéré de la décision de la Cour qu’elle contribue à réduire le nombre de citoyens qui seront exclus du processus électoral.
A l’instar de la plupart de ses homologues des pays francophones, l’Organe de Gestion des Elections (OGE) du Bénin, nommé CENA, est mixte, et comprend essentiellement des acteurs politiques. La CENA est actuellement composée de cinq membres, dont aucun n’est de la société civile. Au-delà des difficultés que posent les insuffisances du code électoral à la CENA, le manque de coordination entre cette dernière et le COS/LEPI a toujours constitué un véritable défi. Ce manque de coordination risque de demeurer un problème avec la dissolution du COS/LEPI et son remplacement par le CNT à quelques jours seulement des élections.
Quatre parmi les cinq candidats considérés comme les favoris à cette présidentielle sont indépendants, alors que par le passé seulement un ou peut être deux étaient dans cette position.
Au total, 47 candidatures à l’élection présidentielle ont été reçues par la CENA. Mais, seules 36 candidatures ont été validées par la Cour Constitutionnelle, onze ayant été rejetées, entre autres raisons, à cause de l’incapacité à payer la caution de 15 millions de francs CFA (environ 27,000 dollars US ou 23 000 euros). Il n’y a plus que 33 candidats pour le premier tour, trois postulants autorisés à se présenter s’étant retirés volontairement de la course.
L’une des caractéristiques du Bénin est que seuls des candidats indépendants ont été élus présidents de la République depuis que le pays a rejoint la troisième vague de démocratisation en 1991. Cependant, la prééminence des candidats indépendants, par opposition à ceux présentés par des partis politiques, constitue une spécificité majeure de la présidentielle de 2016. En effet, Quatre parmi les cinq candidats considérés comme les favoris à cette présidentielle sont indépendants, alors que par le passé seulement un ou peut être deux étaient dans cette position.
A l’instar de la plupart des pays africains, le choix des candidats aux élections représente un véritable défi pour les partis politiques dans la mesure où les « parrains politiques » ont la main mise sur le processus de désignation, et ceci indépendamment des intérêts des membres des partis. Par exemple, le choix du Premier Ministre Lionel Zinsou, considéré comme outsider, comme son candidat à la présidentielle a contribué à fragmenter la coalition au pouvoir au Bénin.
Plusieurs membres des Forces Cauris Pour un Bénin Emergent (FCBE), la coalition au pouvoir et la première force politique du pays, protestent contre le fait qu’il n’ait pas été sélectionné conformément aux statuts et règlements de la coalition. Ils protestent aussi par ailleurs contre sa trop grande connexion avec les milieux politiques français. Le Parti du Renouveau Démocratique (PRD), la troisième force politique du Bénin dirigée par l’actuel président de l’Assemblée Nationale, et la Renaissance du Bénin (RB), la quatrième force politique du pays, ont également adopté Lionel Zinsou comme leur candidat.
Cependant, l’Union fait la Nation (UN), parti politique de l’opposition et deuxième force politique du Bénin, a instruit ses membres d’apporter leurs soutiens à tout candidat sauf Zinsou. Parmi les autres candidats indépendants figurent Sébastien Ajavon, le Président du patronat béninois, et Patrice Talon, connu comme le « roi du coton », maintenant gracié par le chef de l’Etat qui l’accusait d’être impliqué dans une tentative d’empoisonnement contre sa personne. Figurent aussi sur cette liste de présidentiables indépendants, Pascal Koupaki, ancien ministre des Finances et Premier Ministre de Yayi Boni. Abdoulaye Bio Tchané, ancien ministre des Finances sous le président Mathieu Kérékou, soutenu par la coalition des partis appelée Alliance pour un Bénin Triomphant (ABT), est également candidat.
Il est important de mentionner que les deux plus importants hommes d’affaires (et parrains politiques), Sébastien Ajavon et Patrice Talon, sont parmi les favoris de la prochaine présidentielle. On comprend donc pourquoi les forces politiques traditionnelles étaient subitement devenues incapables de financer leurs campagnes et par conséquent d’avoir leurs propres candidats aux élections.
La prédominance des candidats indépendants n’est pas sans lien avec la question du financement des partis politiques. Avec la décimation progressive mais réelle des partis politiques de l’opposition depuis l’époque du Président Mathieu Kérékou, couplée à la politique à somme nulle qui caractérise l’espace partisan national, les partis politiques ont fini par compter essentiellement sur les fonds privés pour le financement des campagnes électorales. La majeure partie de ces ressources est levée auprès des parrains politiques et des hommes d’affaires.
Le départ du pouvoir des présidents, généralement des pays voisins, qui ont l’habitude de contribuer au financement des campagnes politiques au Bénin ainsi que dans d’autres pays de la région a également affecté le paysage politique. Il est important de mentionner que les deux plus importants hommes d’affaires (et parrains politiques), Sébastien Ajavon et Patrice Talon, sont parmi les favoris de la prochaine présidentielle. On comprend donc pourquoi les forces politiques traditionnelles étaient subitement devenues incapables de financer leurs campagnes et par conséquent d’avoir leurs propres candidats aux élections.
La législation, notamment la loi sur le statut de l’opposition qui exige des partis de l’opposition de s’enregistrer en tant que telle auprès du ministère de l’Intérieur constitue un obstacle supplémentaire à l’institutionnalisation des partis. Ils se comportent comme des partis de l’opposition sans être officiellement enregistrés en tant que tels. Et ils sont de fait considérés comme faisant partie de l’opposition lorsque se détermine, par exemple, la configuration politique du parlement.
L’application des dispositions relatives au financement des partis – par exemple cinq millions de FCFA attribués par l’Etat par député – n’arrange pas les choses non plus. L’ambiguïté de la loi, qui n’est pas claire sur qui du député ou du parti bénéficie du financement, contribue davantage à l’affaiblissement du système partisan et nourrit la corruption. La pratique jusque-là a consisté à verser la subvention aux forces politiques lorsque le gouvernement a besoin de soutien au Parlement.
Le processus électoral de cette année a mis en exergue une série de problèmes. Premièrement, il a souligné l’importance des partis politiques. L’absence de partis viables représente une menace pour la consolidation de la démocratie en Afrique de l’Ouest. Deuxièmement, il est important d’améliorer la législation de manière à rendre l’environnement politique aussi « confortable » que possible afin que l’opposition puisse jouer sa partition. En troisième lieu, il est important de réduire la corruption et la prise en otage du système démocratique par les « parrains politiques ». Quatrièmement, il est indispensable d’initier des réformes électorales susceptibles d’aider à régler certains problèmes bien identifiés, tels que le manque de coordination entre les différents organes impliqués dans la gestion du processus électoral et les insuffisances du code électoral.
Credits photo: africatime
Idayat Hassan est la directrice du Centre pour la Démocratie et le Développement (Centre for Democracy and Development, CDD), une organisation non gouvernementale basée à Abuja (Nigeria) dédiée à la consolidation de la démocratie et du développement en Afrique de l’Ouest.
Mathias Hounkpè est l’administrateur du Programme de Gouvernance Politique à Open Society Initiative for West Africa (OSIWA), fondation basée à Dakar (Sénégal), qui soutient les sociétés démocratiques et ouvertes en Afrique de l’Ouest.