Bénin : la foule, les militants et les électeurs
Godfried Rodolphe Missinhoun
Le Bénin semble être bien lancé dans un processus irréversible pour la tenue effective de l’élection présidentielle de 2016. De nombreuses personnalités sont dans la course pour succéder au président Yayi Boni. Certains candidats ont élaboré des programmes ambitieux dont le réalisme est sujet à caution. Pour éviter toute déception à la fin du prochain quinquennat, une prise en compte des contours démagogiques et même populistes des certains programmes est nécessaire.
Le réalisme devrait conduire à établir un consensus autour de réformes essentielles qui répondent aux exigences rationnelles du politique, tout en garantissant une amélioration rapide du bien-être des populations. Ce consensus peut s’établir autour de deux priorités : énergie et agriculture. Ces domaines recouvrent une dimension politique, économique et sociale. Elles devraient permettre de créer l’émulation nécessaire pour une adhésion des populations aux réformes politiques de grande envergure.
La bataille des programmes : irréalisme, populisme et démagogie
Il est encourageant de constater que plusieurs candidats à la magistrature suprême aient entrepris de séduire et de conquérir l’électorat avec des projets de société, parfois bien élaborés. Il n’en demeure pas moins que certains de ces programmes semblent irréalistes.
Le réalisme devrait conduire à établir un consensus autour de réformes essentielles qui répondent aux exigences rationnelles du politique, tout en garantissant une amélioration rapide du bien-être des populations. Ce consensus peut s’établir autour de deux priorités : énergie et agriculture.
L’irréalisme est observé dans l’immensité des ressources notamment financières qui seront nécessaires à l’exécution de leurs programmes. Les candidats s’abstiennent d’indiquer les sources de financement qui permettront la mise en œuvre des actions énumérées dans un horizon de cinq ans. Même si par bonheur, ces ressources venaient à être mobilisées et qu’une magie messianique permettait de transformer subitement les capacités administratives de l’Etat béninois, ces programmes resteraient néanmoins irréalistes, du fait d’une une sous-estimation, à dessein ou non, des coûts politiques de la litanie des réformes énoncées.
L’expérience internationale et les enseignements des récents travaux d’économie politique nous invitent à la prudence sur les chapelets d’engagements des divers candidats. Il est établi que les actes des élites politiques d’un pays en développement comme le Bénin, souvent perçus comme irresponsables ou insensés, ne sont pas le fait d’une ignorance ou d’une myopie, mais obéissent à un comportement éminemment rationnel. Les hommes politiques, dans le contexte du sous-développement tout comme ailleurs, sont fondés rationnellement à ignorer les réformes au coût politique élevé, quel qu’en soient les retombées socio-économiques attendues.
Ces coûts politiques peuvent s’exprimer en termes d’effets différenciés d’une réforme comme celle du système partisan. Les citoyens et les acteurs politiques concernés seront affectés de façon différente, avec des gagnants d’un côté et des perdants de l’autre. Un autre facteur de coût provient des effets différés dans le temps d’une politique de restructuration d’un secteur par exemple, de sorte que les bénéfices attendus d’une réforme ne soient pas facilement perceptibles aux citoyens. Ces derniers risquent de ne pas adhérer à des réformes qui seraient pourtant bénéfiques pour eux à moyen terme. Il faut aussi compter avec l’impopularité qui peut entacher la mise en œuvre d’une réforme, douloureuse dans l’immédiat pour certaines catégories de la population, même si elle s’avère décisive pour le bien-être collectif.
Le consensus pour mieux gérer les coûts politiques
Si le choix des dirigeants politiques porte sur des réformes aux coûts politiques moins élevés, celui-ci peut être concilié avec un agenda consensuel permettant d’améliorer le bien-être commun. La capacité des leaders politiques à prendre en compte les préoccupations des populations est nécessaire pour susciter leur adhésion et faire baisser le coût des réformes, à priori, politiquement nocifs. Quelque soit le candidat qui sera élu, il ou elle pourra s’appuyer sur des actions rapides dans l’énergie et l’agriculture pour favoriser l’harmonie entre le politique et la société. Des progrès significatifs dans l’accès à l’énergie et l’agriculture sont susceptibles de générer une « coalisation » des citoyens autour de réformes d’envergure nécessaires pour placer le Bénin sur une trajectoire d’amélioration du bien-être collectif.
Le renforcement de l’accès à l’énergie comme pivot du « politique-coaliseur »
La situation énergétique du Bénin, notamment en ce qui concerne l’accès à l’électricité reste critique. Un rapport récent de la Banque africaine de développement (BAD) classe le Bénin dans la catégorie des pays dont les ratios des populations n’ayant pas accès à l’électricité s’établissent entre 50 et 75%. La consommation de l’électricité s’établit à moins de 100 kWh/tête alors que la moyenne très faible de l’Afrique Sub-Saharienne (à l’exception de l’Afrique du Sud) est de 181 kWh/tête. C’est dire que le Bénin a encore d’importants efforts à fournir dans ce domaine qui concentre l’attention de toutes les couches socio-économiques.
Les retombées économiques de la maîtrise énergétique sont bien connues. Elle est un facteur de production essentiel à tous les niveaux. Les délestages récurrents dans la sous-région ont eu des conséquences politiques ces dernières années dans certains pays comme le Sénégal ou la Guinée. L’insuffisance énergétique cristallise un malaise social et des tensions politiques. Dans ces deux pays, aussi bien les organisations de la société civile que les partis d’opposition ont exploité les mécontentements des citoyens résultant de la récurrence des délestages pour organiser la résistance contre des réformes politiques telles que la révision constitutionnelle proposée par l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade en 2011.
A l’inverse, le bénéfice politique d’un accès amélioré à l’électricité a des effets considérables qui entremêlent le politique, l’économique et le social. Le « politique-coaliseur » peut tirer profit de l’apaisement social ainsi que de la reconnaissance et de la sympathie des différentes couches de la population : l’élève qui peut désormais mieux réviser ses leçons, la femme enceinte qui peut être mieux prise en charge, l’artisan qui peut travailler de façon continue et confiante…
La transformation du secteur agricole peut constituer un axe fédérateur pour tout élu politique, d’autant qu’il est un maillon intégrateur au sein de l’économie.
Avec toutes les initiatives qui existent aujourd’hui, une maîtrise énergétique est tout à fait réalisable dans un horizon de cinq ans. Le renforcement de l’accès à l’électricité peut être un levier d’impulsion des réformes politiques conflictuelles, comme l’amélioration du processus électoral, la réforme du système des partis politiques et le renforcement de l’efficacité de l’administration…
La transformation de l’agriculture comme vecteur de « coalisation »
C’est un truisme d’affirmer que l’agriculture occupe une place prépondérante dans l’économie béninoise. Elle contribue au tiers de la production intérieure brute en mobilisant les deux tiers de la force productive. La transformation du secteur agricole peut constituer un axe fédérateur pour tout élu politique, d’autant qu’il est un maillon intégrateur au sein de l’économie. Des études ont permis de démontrer que plusieurs produits agricoles tels que l’igname, le maïs, l’ananas et le manioc ont une impulsion en amont et en aval dans l’économie et peuvent donner lieu à des filières structurées qui soutiennent l’emploi productif. Il est de l’intérêt de « l’élu-coaliseur » de consolider sa légitimité par une politique de renforcement du lien urbain-rural, avec en prime la satisfaction de rendre justice aux millions de paysans qui sont les « lésés » dans la chaîne de valeur agricole, comme c’est le cas par exemple dans le secteur du coton au Bénin ou les « coton-culteurs » pauvres cèdent leur production aux égreneurs riches.
Il y a beaucoup d’acquis et d’atouts sur lesquels cette politique peut s’appuyer et donner des résultats probants à l’issue d’un quinquennat : les zones agro-écologiques sont connues, les obstacles principaux tels que les problèmes fonciers ont fait l’objet d’études poussées, les plans et les programmes existent, le besoin en investissements est estimé, les ressources humaines sont disponibles avec toute une chaîne d’agents et un cadre institutionnel opérationnel qui peut être amélioré… Une volonté politique plus forte et une méthode pour exploiter ces différents atouts sont nécessaires pour faire du secteur agricole un véritable moteur de développement du pays.
Credits photo: beninnews24.com
Godfried Rodolphe Missinhoun est économiste, diplômé de Sciences-Po, Paris. Il a une expérience dans la pratique du développement international. Il est actuellement l’économiste principal pour l’Afrique de l’Ouest à la Banque islamique de développement. Il a également servi à la Commission de l’Union africaine en Éthiopie et au Programme des Nations Unies pour le développement en Guinée Bissau. Il est membre de WATHI.