La jeunesse béninoise « exige »
Anne Marie Befoune
Le printemps arabe qui a débuté en décembre 2010 a eu un impact positif et significatif sur la notion de citoyenneté en Afrique et ailleurs. Le soulèvement de citoyens opprimés a conduit à des mouvements révolutionnaires nationaux qui ont renversé des dictateurs et jeté les bases de la démocratie. Ils ont révélé aux Africains la puissance d’internet au-delà de son aspect ludique. Les révolutions citoyennes en Tunisie, en Égypte, en Syrie, en Libye, au Maroc, au Yémen et enfin au Bahreïn ont repositionné le jeune citoyen africain dans le jeu démocratique. Il lui a conféré un pouvoir de dénonciation et de mobilisation à travers les réseaux sociaux principalement Facebook et Twitter.
De nombreux pays d’Afrique de l’Ouest ont vu leur paysage politique changer grâce à l’implication de la jeunesse qui frappe du poing sur la table et fait entendre sa voix. La révolution au Burkina en octobre 2014 est une belle illustration de cette implication avec le renversement de Blaise Compaoré après 27 années de règne, à la suite d’une mobilisation populaire exceptionnelle. Toutefois, l’implication des jeunes citoyens en Afrique de l’Ouest ne s’exprime pas que par des insurrections et des manifestations de rue. La veille citoyenne s’est propagée dans les pays de la région sous l’impulsion du Sénégal en 2012. Le mouvement « Y’en a marre » composé de jeunes d’horizons divers s’est fortement impliqué dans la chute du président Abdoulaye Wade qui voulait s’accrocher au pouvoir.
Le Nigeria, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso en 2015 ont connu des élections présidentielles plutôt apaisées avec la mobilisation de la jeunesse. Le peuple béninois est appelé aux urnes le 28 février 2016 pour élire son prochain président de la République. De nombreuses initiatives citoyennes ont vu le jour, comme la Coalition Nationale des Organisations de Société Civile de Jeunesse du Bénin (CN OSCJ Bénin). Cette initiative encore peu connue est portée par un projet ambitieux, celui de mettre la jeunesse au centre des prises de décisions politiques.
Créée le 1er octobre 2015 dans un souci de mutualisation des efforts d’associations ayant à cœur des questions d’ordre social, la CN OSCJ Bénin mène une campagne de consultation citoyenne de la jeunesse béninoise avec pour mot d’ordre, « J’exige pour l’Agenda Bénin 16-21 ». Cette campagne invite les jeunes béninois à faire part de leurs attentes, mieux encore, de leurs exigences envers le prochain gouvernement béninois. Élément fondamental de l’action, le hashtag #Jexige lancé sur Facebook et Twitter permet de récolter au quotidien les attentes des Béninois.
Nous sommes allés à la rencontre du chargé de communication de la coalition et coordonnateur de l’initiative, Alao Hafid ADJASSA, à qui nous avons adressé quelques questions sur ce regroupement.
Alao Hafid Adjassa milite au sein de l’organisation non gouvernementale Young Beninese Leader Association ou YBLA, une association qui s’intéresse à l’autonomisation de la femme, aux questions de santé reproductive des adolescents et à l’entreprenariat des jeunes. CN OSCJ Bénin est le fruit d’une collaboration de huit associations dont SOS Civisme Bénin, Changement social Bénin, Club UEMOA pour l’intégration ou encore Worldwide Connexion. Il est piloté par un conseil d’administration présidé par Ralmeg Gandaho, à la tête de Changement social Bénin. Soulémane Koto Yérima, qui dirige SOS Civisme Bénin, en est le secrétaire général. Toutes ces ONG sont pilotées par des jeunes et agissent pour le développement du Bénin.
La campagne “J’exige” part du constat selon lequel la jeunesse béninoise n’exprime pas ses attentes, mais se plaint de ne pas être satisfaite. La CN OSCJ Bénin se propose donc d’aller vers les jeunes et de recueillir leurs revendications afin de les présenter au gouvernement. Le hashtag #Jexige sur Twitter et Facebook représente l’aspect virtuel de la campagne. Sur le terrain, la coalition a dépêché 77 délégués répartis dans les 77 collectivités territoriales du Bénin qui recueillent les “exigences” des uns et des autres grâce à des formulaires à remplir.
Ainsi, ceux qui n’ont pas accès à internet ont la possibilité de participer à la campagne. C’est également le cas des personnes peu ou pas éduquées : les délégués les interrogent et remplissent les formulaires grâce aux informations obtenues. La tranche d’âge visée est celle comprise entre 16 et 35 ans. L’âge légal de vote au Bénin étant 18 ans, elle inclut ceux qui seront en âge de voter dans deux ans.
Alao Adjassa précise bien que l’action de la coalition s’inscrit en dehors de toute appartenance politique. C’est une initiative civique entreprise dans le but d’influencer et de mobiliser des jeunes autour des questions civiques, ce qui n’est malheureusement pas évident. Ces derniers s’attendent à des gains immédiats ou à une rémunération en récompense des efforts fournis. Certains jeunes s’impliquent malgré tout, car ils perçoivent l’impact du projet à long terme.
Les principales attentes exprimées jusqu’ici sont l’accès à l’emploi, l’introduction de l’informatique dans le système éducatif dès l’école primaire, l’accompagnement à entrepreneuriat et la lutte contre la corruption. Cette dernière préoccupation est la plus récurrente. La diaspora est très active et impliquée dans la campagne. La présence de la jeunesse béninoise sur les réseaux sociaux étant plus prononcée à l’étranger que sur le territoire national, le hashtag est très utilisé par ces derniers. Leurs attentes sont donc aisément recueillies malgré la distance.
Outre le recueil des exigences de la jeunesse, un projet de veille citoyenne électorale nommé “Écho des présidentielles” est mis en place. En plus des 77 délégués mentionnés précédemment, l’affectation d’un observateur dans chacun des bureaux de vote est prévue à travers le pays. Ces observateurs seront des volontaires, des personnes qui ne recevront aucune rémunération, mais qui se sentiront assez concernées par cette action civique et citoyenne pour donner de leur temps.
La campagne entière de la CN OSCJ Bénin est financée par les fonds propres des ONG qui la composent et ne repose que sur la bonne volonté des participants. Malgré cela, la coalition ne pose aucune limite à ses activités. La CNOSCJ Bénin se donne également pour mission de diversifier les circuits d’informations. Bénin Vote, l’organisation contrôlée par la plateforme des Organisations de la société civile est très active sur le terrain. Cette plateforme d’envergure est un des seuls circuits fiables de relais d’informations dans le cadre de la campagne électorale. La CN OSCJ Bénin, grâce au rôle d’observateur des délégués dans les communes, diffusera des informations en temps réel sur les réseaux sociaux.
Camerounaise, Anne Marie Befoune est traductrice, diplômée de l’Advanced School of Translators and Interpreters de l’Université de Buea au Cameroun. Passionnée des questions de gouvernance et de participation citoyenne, elle est membre de l’équipe permanente de WATHI.