Le système sanitaire international face à l’épidémie Ebola
Auriane Guilbaud, Décembre 2014
Auriane Guilbaud, Décembre 2014
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Au lieu d’investir dans la reconstruction des systèmes de santé, la communauté internationale a basé son intervention contre Ebola sur une approche sécuritaire. Cette approche s’est traduite par la construction de centres de confinements, la fermeture de frontières et la recherche (infructueuse) d’un vaccin.
Le 18 septembre 2014, le Conseil de Sécurité des Nations Unies adopte à l’unanimité une résolution déclarant l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest une menace pour la sécurité et la paix internationale et appelant à des efforts internationaux urgents pour la contenir. Cette résolution a été co-sponsorisée par 134 pays, un soutien d’une ampleur unique. Il est rare que le Conseil de Sécurité se saisisse d’une question sanitaire – le seul précédent date de 2000, et concerne la pandémie du Vih/Sida. Cette résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies, et le cadrage sécuritaire, permettent de faire de l’épidémie Ebola une priorité internationale, d’attirer l’attention, et d’espérer ainsi mobiliser des moyens importants.
Afin de répondre à la menace sécuritaire représentée par la diffusion du virus Ebola, les États prennent différentes mesures. Le recours à des moyens militaires tout d’abord, demandés notamment par les ONG en première ligne sur le terrain comme MSF [Médecins sans Frontières]: les États-Unis envoient 3000 soldats au Libéria, la Chine vient d’annoncer qu’elle y envoie une unité d’élite de son armée. Les moyens sanitaires exceptionnels sont également de mise, que ce soit avec la création de « centres de traitements » au Libéria, en Guinée et en Sierra Leone, où l’accent est avant tout mis sur la mise en quarantaine et non sur le soin (comme dans un hôpital), avec l’organisation d’un confinement de la population pendant trois jours en septembre dans la Sierra Leone afin de repérer les malades, ou avec l’organisation de contrôles sanitaires dans l’espace public et à la sortie ou l’entrée des territoires (prise de température, questionnaire, etc.).
Le Canada et l’Australie ont ainsi pris la décision de ne plus délivrer de visa aux ressortissants des pays les plus touchés par le virus Ebola. Les débats font rage aux États-Unis pour savoir si les volontaires se rendant dans les pays affectés doivent être confinés à leur retour, ou même si les vols en destination de l’Afrique de l’Ouest doivent être maintenus. Certains pays africains refusent que de l’aide ou du matériel à destination des pays touchés par l’épidémie transite sur leur sol, ou que les volontaires des ONG viennent s’y reposer. Seul le Ghana permet un pont aérien depuis son territoire.
Une réponse en termes de sécurité (mobilisation de moyens militaires, prise de mesures d’exception, confinement, fermeture – partielle – des frontières) ne peut pas pallier le manque de moyens structurels. L’aide internationale n’est pas « en retard » de quelques mois seulement, elle l’est de plusieurs années, voire de plusieurs décennies. Une réponse adéquate nécessite en effet la construction de systèmes de santé nationaux fonctionnels. Or les pays touchés en premier manquent d’infrastructures et de personnel médical. D’après l’OMS [Organisation Mondiale de la Santé], au Liberia par exemple, on ne compte que 0,1 médecin pour 10 000 habitants, soit moins de 50 médecins pour l’ensemble de la population (soit bien en dessous de la moyenne régionale de 2,6 médecins pour 10 000 habitants).
Or le renforcement des systèmes de santé reste un domaine négligé des politiques de santé internationales, qui concentrent leurs efforts sur l’apport de solutions rapides et visibles, dans un souci d’efficacité immédiatement mesurable. Cela conduit à une approche centrée sur des maladies spécifiques, ou sur la fourniture de traitements, comme par exemple dans le cas des « trois grandes maladies » (le sida, la tuberculose, le paludisme), qui ont attiré l’attention depuis les années 2000. Ces efforts ciblés sont nécessaires, mais ne peuvent remplacer la mise en place de systèmes de santé organisés autour d’hôpitaux, de centres de soins, de systèmes d’approvisionnement de médicaments et de matériel médical, de personnel médical formé.
Ce débat sur la faillite de l’aide internationale au développement, qui n’a pas permis de construire des systèmes de santé adéquats dans les pays bénéficiaires, est largement mis de côté au profit du problème de l’absence de traitement. Cette focalisation sur la recherche d’un traitement, et en particulier d’un vaccin, est liée à une vision techniciste des politiques de santé internationales, qui trouve notamment ses origines dans la période coloniale. Cette approche est centrée sur la recherche d’une « magic bullet », un médicament-miracle qui permet des interventions sanitaires verticales, ciblées, ne prenant pas en compte le contexte social. Elle s’inscrit également dans un mouvement de « pharmaceuticalisation » de la santé mondiale qui préconise des politiques tournées vers le médicament.
L’épidémie d’Ebola a révélé l’état des systèmes sanitaires nationaux, et les lacunes de l’aide sanitaire internationale, symbolisées par les efforts du Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, pour rappeler aux États-membres leurs engagements financiers. La communauté internationale a notamment été incapable de mettre en place des actions de long terme, et à apprendre des précédentes épidémies. Les actions menées actuellement sont souvent présentées comme inévitables : gérer avant tout la contagion en établissant des centres de traitements centrés davantage sur le confinement que sur le soin, ou en fermant au moins partiellement des frontières ; traiter en priorité les soignants internationaux afin d’assurer la pérennité de l’aide envers les populations touchées ; avoir recours aux pays « du Nord » ayant les liens les plus forts avec les pays « du Sud », et donc susceptibles d’être les plus efficaces rapidement ; se focaliser sur la recherche d’un vaccin.
Mais de telles actions ne sont que les conséquences d’un manque de solidarité internationale de long terme, pour pallier au manque d’infrastructures sanitaires fondamentales dans des pays très pauvres. Maladies et épidémies ont toujours été de puissants révélateurs des tensions et fractures sociales. On peut toutefois émettre l’espoir que, tout comme lorsque que dans l’Europe du XIXe siècle, leur combinaison avec des bouleversements sociaux et politiques a permis l’accélération de processus de réformes sanitaires et sociales, l’épidémie de maladie à virus Ebola actuelle constitue une opportunité pour faire de même à l’échelle mondiale.
Instead of investing in the reconstruction of health systems, the international community has based its intervention against Ebola on a security-based approach. This approach resulted in the construction of confinement centres, the closing of borders and the (unsuccessful) search for a vaccine.
On September 18th 2014, the United Nations Security Council adopted unanimously a resolution declaring that the Ebola epidemic in West Africa was a threat for international peace and security and called for international efforts to contain it. This resolution was largely supported as it was co-sponsored by 134 countries. It is rare that the Security Council takes over a health issue – the only precedent goes back to 2000, during the HIV pandemic. This resolution from the United Nations Security Council, and its security framing, enabled the Ebola epidemic to become an international priority in the hope to mobilize important resources.
In order to respond to the security threat posed by the spread of the Ebola virus, States take different measures. The first one is the use of the military, as requested by NGOs present on the ground such as MSF [Doctors without Borders]: the United States sent 3000 soldiers to Liberia, China just announced that it will send an elite unit from its army. Exceptional sanitation facilities are also deployed, whether through the creation of “treatment centres” in Liberia, Guinea and Sierra Leone with an emphasis put on quarantine rather than treatment (like in a hospital), through the organisation of containment of the population for three days in September in Sierra Leone in order to spot the sick, or through the organisation of sanitary control in public spaces and in the entries/exits of territories (temperature checks, questionnaires, etc.).
Canada and Australia have thus decided to not deliver visas to people coming from the countries most affected by Ebola. The debate is raging in the United States on the issue of whether volunteers going to affected countries should be confined upon their return, or even whether flights to West Africa should be maintained. Some African countries refuse that the aid and material destined for countries affected by the epidemic transit on their soil, or that NGO volunteers come to rest. Only Ghana allows an airlift on its territory.
A security-based response (mobilization of military means, recourse to exceptional measures, confinement, (partial) closing of borders) cannot overcome the lack of structural capacities. International aid is not “late” of a few months only, it is late of several years, or even decades. An adequate response first requires the construction of functioning national health systems. But the countries affected lack first and foremost infrastructures and medical staff. According to WHO [World Health Organization], in Liberia for example, there is only 0,1 doctor for 10 000 inhabitants, or in other words, 50 doctors for the population as a whole (which is well below the regional average of 2,6 doctors for 10 000 inhabitants).
But the reinforcement of health systems remains a neglected area of international health policies, which tend to concentrate their efforts on rapid and visible solutions that can be effectively measured. This leads to an approach focused on specific diseases and treatment provision, like in the case of the “three big diseases” (HIV, tuberculosis, malaria) which have attracted most attention since 2000. These targeted efforts are necessary, but they cannot replace the setting up of health systems organized around hospitals, treatment centres, systems for the supply of medicines and medical material, and trained medical staff.
This debate on the failure of international development aid, which has not permitted the construction of adequate health systems for beneficiary countries, is largely ignored, while resources are devoted to the issue of lack of treatment. The focus on the search for a treatment, and especially of a vaccine, is due to a technocratic vision of international health policies, which goes back to the colonial era. This approach is based on the search for a “magic bullet”, a miracle medicine qui allows for targeted vertical sanitary interventions which do not take into account the social context. It is also part of the movement of « pharmaceuticalization » of global health which advocates for medicine-based policies.
The Ebola epidemic revealed the state of national health systems, and the lacuna of international sanitary aid, symbolized by the efforts of Secretary-General Ban Ki-Moon to remind Member States of their financial engagements. The international community has been unable to put in place long-term actions and to learn from previous epidemics. The actions currently undertaken are often presented as unavoidable: manage contagion above all by building treatment centres that focus more on confinement than treatment, or by closing (at least partially) borders; treat in priority international health workers in order to guarantee the continuity of aid to local populations; resort to countries of the “global North” that have stronger links to the countries of the “global South”, who are more susceptible of acting rapidly; focus on the search for a vaccine.
But such actions are only the consequences of a lack of long-term international solidarity to overcome fundamental infrastructure deficiencies in very poor countries. Diseases and epidemics have always been powerful indicators of fractures and social tensions. But we can hope that, just like in 19th century Europe when their combination with social and political upheavals had the effect of accelerating the process of sanitary reform, the current Ebola epidemic provides an opportunity for similar changes at the global level.