Fatou Mbow
Le principe du travail humanitaire est précieux : celui dont les besoins vitaux (manger, boire, s’abriter etc.) sont présentement assurés, donne une partie de ses biens (en général financiers) à celui qui n’a pas ou plus le nécessaire pour survivre, et ce par le biais d’organisations dont le seul travail devrait être celui de s’assurer que cette aide atteigne de la manière la plus efficiente possible la personne réellement nécessiteuse.
L’efficience implique une capacité à évaluer les besoins vitaux devant être couverts, une compétence à nourrir, abriter, soigner etc. correctement et avec les moyens disponibles le plus grand nombre possible de personnes réellement dans le besoin.
En observant le faste des infrastructures et des réunions onusiennes ainsi que celle des grandes ONG internationales qui leur ressemblent de plus en plus, en observant la lourdeur administrative et l’importance d’alliances personnelles et politiques au sein du recrutement de leur personnel, en observant surtout la lenteur et le gaspillage de ressources financières qui caractérisent souvent la réponse humanitaire internationale, il est visible de tous que l’efficience est loin d’être la priorité du système.
En observant la lourdeur administrative et le gaspillage de ressources financières, il est visible de tous que l’efficience est loin d’être la priorité du système.
Écrivant cette note de la capitale africaine de la mendicité infantile, siège régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre des agences des Nations Unies et des nombreuses et incroyablement puissantes ONG internationales dédiées depuis « des lustres » à la « protection de l’enfant », je souhaiterais tout d’abord souligner le stupéfiant manque d’indignation de la plupart des membres des organisations humanitaires à propos de l’évidente incompétence du système humanitaire.
MSF (Médecins sans frontières) n’a pas participé cette année au Forum humanitaire mondial, s’épargnant ainsi l’écoute de personnes qui, devant des enfants de cinq ans marqués de coups et mendiant en haillons, de jeunes hommes et femmes dans la fleur de l’âge ensevelis dans les océans migratoires, de personnes qui après le SIDA ont été terrifiées par Ebola… proposent un monde meilleur à travers « la coordination ».
Lorsque je travaillais en Guinée en appui technique à l’épidémie à virus Ebola, les maitre-mots des agences étaient « coordination » et la sempiternelle « capacitation des compétences nationales ».
Les agences onusiennes étaient incompétentes dans la proposition de directives techniques et se désolaient des « systèmes de santé fragiles » qu’elles avaient elles-mêmes « appuyés » depuis plusieurs décennies.
Qui est le chef ? Où se trouve le pouvoir ? Où prend on les décisions ? Dans les salles climatisées loin des tas d’ordures que nous devions éliminer grâce à nos activités « eau, hygiène et assainissement », loin des centres de traitement Ebola qui proposaient un service à juste titre fortement questionné – et ce, souvent violemment – par les populations ?
En plus d’OCHA, (Bureau de la coordination des affaires humanitaires), l’UNMEER (Mission des Nations Unies pour la lutte contre Ebola) a été créée pour « coordonner » des agences onusiennes incompétentes dans leur communication sur la maladie à virus Ebola. Elles étaient incompétentes dans la proposition de directives techniques fondées sur des preuves et se désolaient sans cesse des « systèmes de santé fragiles » qu’elles avaient elles-même « appuyés » et « capacités » avec les ONG internationales, depuis plusieurs décennies.
Indignation. Qui s’est indigné de voir des centres de traitement Ebola où les personnes susceptibles d’avoir contracté la maladie étaient placées à un mètre les unes des autres sans séparation physique aucune, avec une possibilité évidente d’infection au sein de ce groupe (potentielle infection des suspects négatifs par les suspects positifs) ? Qui s’est indigné d’une communication techniquement incorrecte sur la maladie à virus Ebola?
L’indignation ne va pas de mise avec une « carrière» où le désir de continuité corrompt l’intelligence et la force que demande une vie où la recherche de la vérité prime sur la réalisation du désir de confort.
Les acteurs du système humanitaire déploraient avec moult fracas des « lenteurs » là où l’incompétence était acceptée sans états d’âme, se préoccupaient de ce que ONU ou ONG « voulaient » sans regarder le personnel médical en large majorité national qui mourrait ou s’épuisait, ce personnel particulièrement affecté par la maladie à virus Ebola et si peu protégé par ceux qui se précipitaient avant l’épidémie et se précipitent aujourd’hui dans les grands ateliers dédiés aux « ressources humaines en santé ».
L’indignation ne va pas de mise avec les petits sourires et polis toussotements, les grandes dents blanches des larges sourires de la diplomatie régionale, les parfums des impeccables habits venus directement du pressing en plein milieu du travail « humanitaire ». L’indignation ne va pas de mise avec une « carrière» où le désir de continuité corrompt l’intelligence et la force que demande une vie où la recherche de la vérité prime sur la réalisation du désir de confort. Le problème des acteurs humanitaires est éthique.
Tant que l’on ne s’indignera pas de l’impact de la corruption des cœurs et des cerveaux sur la solidarité humaine, ceux qui recherchent destinations exotiques et conversations « apaisées » dans des salles feutrées savent où s’abreuver et discuter en toussotant gentiment des « réformes nécessaires au système humanitaire».
Photo : Atlas Web
Médecin de formation, Fatou a étudié et pratiqué la médecine en Europe (Rome et Londres) il y a de cela presqu’une vingtaine d’années. Elle a travaillé dans le domaine de la santé publique en zones de conflits et catastrophes naturelles en Afrique au cours des 13 dernières années, pour différentes organisations humanitaires. Elle vit actuellement à Dakar au Sénégal. Elle publie régulièrement des articles sur son blog: http://fatoumbow.blogspot.fr.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Je suis absolument d’accord avec vous. De plus, il est notoire que les interventions d’urgence participent à détruire les systèmes de santé communautaire… Et cela est particulièrement vrai au Mali, pays dal lequel je suis… Pour ce qui concerne Ebola, je voudrais souligner que les premières victimes ont été les thérapeutes traditionnels… Mais aucune priorité a été donnée à leur formation et équipement.
Merci a Fatou Bow pour diffuser ses idées, que je partage.