Isis Noor Yalagi ancienne manager culturel, activiste panafricaine, écologiste et permacultrice
Partie I : La jeunesse africaine tiraillée entre la ville et le monde rural
L’équipe de WATHI a reçu dans ses locaux Madame Isis Noor Yalagi le 21 mars 2017 lors d’un séjour à Dakar. Cette rencontre a permis d’aborder de nombreux sujets cruciaux pour l’avenir de l’Afrique de l’Ouest et du continent : jeunesse africaine entre milieu urbain et monde rural, questions écologiques et place des pays africains dans la mondialisation, le discours sur le panafricanisme et la gouvernance politique des Etats, question de l’autosuffisance alimentaire et la place des femmes dans nos Etats. Isis Noor Yalagi est une femme d’expérience attachée au continent. WATHI s’est entretenu avec une femme libre proposant une vision personnelle de l’état du continent.
Extraits de l’entretien avec Isis Noor Yalagi
« Je crois qu’il y a une coupure entre la ville et le monde rural. La jeunesse du monde rural, elle aussi est dans cette démarche de globalisation et de mondialisation. Il y a Internet partout, même au fin fond de la campagne, cependant il faut dire que cela marche très mal. D’ailleurs, il serait bien que nous ayons des réseaux partout. La jeunesse des campagnes est au fait de ce qui se passe. Elle est confrontée a plus de difficultés, mais elle est au fait des mutations. Qu’est ce qu’elle est censée faire cette jeunesse? Partir, quitter le village. Elle répond aux sirènes de la ville. D’abord, de la grande ville qui est à côté du village. Ensuite, elle va aller dans les villes moyennes, et finalement elle va se rendre dans la grande métropole.
Nous avons également un phénomène inverse et intéressant à observer. Il y a une amorce d’un exode urbain, très petit voire insignifiant. Des jeunes disent « nous, on revient au village, on revient à la terre ». Ils reviennent avec leurs diplômes, ils n’ont pas beaucoup de moyens, mais il faut revenir. Le monde rural est moins fourni en moyens, en connaissances, en éducation. Au Sénégal, vous avez encore des classes de 80 à 100 élèves. Vous avez encore des classes qui ne sont pas des classes en dur. C’est une désolation. Le milieu rural est un milieu oublié. Les gens quittent la terre, quittent le monde rural pour s’entasser dans les villes et faire ni plus ni mieux, parce que les villes africaines ne donnent pas à manger et à boire à toute cette population. Il y aurait intérêt à investir en milieu rural et faire en sorte qu’ils y restent.
Il y a une amorce d’un exode urbain, très petit voire insignifiant. Des jeunes disent « nous, on revient au village, on revient à la terre ». Ils reviennent avec leurs diplômes, ils n’ont pas beaucoup de moyens, mais il faut revenir
Il y a coupure entre les jeunes des milieux ruraux et les jeunes des villes. Il y a même coupure dans les grandes villes entre les différentes classes sociales de jeunes. C’est moins visible, c’est moins palpable, mais cela existe aussi. Comment faire le lien? Je ne sais pas. Ou bien peut-être si, j’aurais une solution : au lieu de passer ses vacances aux Etats-Unis ou en Europe, ce serait bien d’aller découvrir son pays et de se dire que je retourne dans mon village, dans ma région, ou que je découvre une région de mon Sénégal profond.
Pendant les vacances, même si c’est la saison des pluies, il y a des jeunes qui sont présents et qui peuvent donner des cours. J’en reviens à ce que j’appelle du bénévolat. C’est cela l’amour du continent africain, c’est-à-dire que l’énergie qu’a la jeunesse africaine, elle doit la reservir au continent africain et le milieu rural en a un grand besoin.
Je pense que revenir en milieu rural peut être intéressant. Parce que la grande illusion, c’est le fait de penser que la ville donne tout, qu’elle peut tout vous offrir, alors pourquoi ils reviennent? Ce serait intéressant qu’au village, ceux qui restent se posent ces questions, et qu’ils se disent que « notre base est ici », c’est de là que nous sommes partis, nous avons beaucoup à apporter d’une part mais aussi à échanger avec vous pour voir et faire en sorte que cet exode urbain puisse se faire de la meilleure des façons avec toutes les possibilités offertes, qu’il y ait une vie tranquille, agréable et possible en milieu rural ».
Isis Noor Yalagi est née en France d’un père togolais et d’une mère martiniquaise. Son père est un homme de radio. Il a travaillé à Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) et à Radio France internationale (RFI). « Avec mon père nous avons voyagé sur le continent africain, parce qu’il structurait les radios africaines en Afrique de l’Ouest ». Il a été le directeur des programmes pour l’Afrique de l’Ouest à Radio France Internationale. Ces voyages multiples ont favorisé chez Isis Noor Yalagi un profond sentiment d’attachement pour le continent. Son parcours lui a non seulement permis d’avoir un regard sur l’histoire du continent africain et sur sa diaspora. Les années 60 sont marquées par les indépendances pour de nombreux pays africains qui ont une histoire avec l’Occident. C’est également une période de revendication que ce soit en Afrique, en Inde et en Amérique latine. Aux Etats-Unis, cette période a été marquée par le combat des Black Panthers pour la liberté des populations noires. L’arrestation de Nelson Mandela en 1962 en Afrique du Sud fut un événement marquant pour la jeune Isis. Se définissant de la « génération mai 68 », Isis Noor Yalagi avait quinze, seize ans quand ces événements ont éclaté en France. Ils ont été des événements sociaux profonds de revendications de la jeunesse française et occidentale par rapport à leurs pères et à leurs aînés. Les revendications étaient légions, « cela a été un moment important parce que c’était le début de mon activisme ». C’était aussi le début de la vision d’un autre monde, avec ce mouvement que certains peuvent considérer comme « ringard », mais très important dans la démarche écologique, le mouvement hippie. Il revendiquait déjà une autre vision sur le plan du rapport de l’humain à l’environnement et à la nature. « Ma démarche panafricaniste survint durant cette période ». La connaissance de notre histoire, des anciens, des aînés, des mutations et des dynamiques sur le continent, la rencontre avec ce que j’appelle l’écologie globale. Puis bien sûr, dans ces mêmes années, nous allons avoir ce mouvement de revendication pour l’émancipation des femmes. Elle a embrassé le métier de manager culturel et artistique. C’est dans ces années là que tout a pris corps, et qu’elle est fortement inspirée par le combat de la militante des droits de l’homme, féministe et activite américaine Angela Davis. « J’avais tout juste quinze ans, je partais à Paris quand j’ai vu quelqu’un qui lisait un journal avec la photo d’une femme qui avait une coiffure « Afro » superbe, je ne savais pas qui était cette personne. Je descends donc à la station de métro, je vais au kiosque, j’explique au vendeur qu’il s’agit d’un journal avec une femme ayant une coiffure « Afro ». C’était la une du journal Nouvel Obs. On venait d’arrêter Angela Davis en 1970. Dans cette édition spéciale du Nouvel Obs, on relatait dans une centaine de pages l’histoire de l’Afrique, du peuple africain et de sa diaspora, de la terre mère jusqu’à l’arrestation de Angela Davis. Je découvre un continent immense, avec une histoire extraordinaire, avec un vécu humain de souffrances des peuples africains, de ceux qui sont restés comme de ceux qui ont quitté le continent africain. « Aujourd’hui encore, je suis inspirée par le courage de Angela Davis, je la remercie beaucoup pour cette étape décisive dans ma vie. Elle fait partie des femmes qui ont été un détonateur pour mon engagement. Quand je pense au combat des femme, je pense aussi à ma mère. Dans l’histoire qui est la sienne, en tant que femme née dans les Caraïbes, dans les Antilles, avec toutes les problématiques, elle avait fait le choix de l’Afrique sans en avoir toutes les données. C’était quelque chose d’instinctif chez elle. Elle a toujours cru en ce continent ». Isis Noor Yalagi vit entre le Togo et le Sénégal.
Entretien réalisé par Babacar Ndiaye, WATHI