Koffi Amessou Adaba et Leonie Back
La confiance dans les institutions est essentielle au bon fonctionnement de la société. Elle existe lorsque les citoyens estiment non seulement que les institutions publiques respectent leurs engagements mais également sont responsables, efficaces, compétentes, justes et honnêtes. La confiance favorise la solidarité entre les membres de la communauté, le respect des lois, le soutien aux politiques publiques et un optimisme quant à l’avenir, ce qui contribue à la croissance économique.
À l’inverse, un manque de confiance dans les institutions publiques peut provoquer divers problèmes sociaux et politiques comme la fraude fiscale, la polarisation accrue et une réduction du soutien aux biens publics. La défiance affaiblit la capacité de l’État à fonctionner efficacement, créant un cercle vicieux d’inefficacité et de méfiance grandissante.
Il semble pertinent de s’interroger sur le niveau et le fondement de confiance des Africains. A partir des données des enquêtes de Afrobarometer dans plus de 39 pays durant plusieurs années, cet article revient sur des résultats d’enquête sur la confiance envers les institutions. Il ressort que les Africains font de moins en moins confiance aux institutions publiques sondées. Seuls les leaders religieux, l’armée et les chefs traditionnels bénéficient de la confiance de plus de la moitié des Africains. Pour proposer des pistes d’amélioration de la confiance, la recherche des facteurs influençant la confiance s’avère nécessaire.
L’armée, les leaders religieux et traditionnels : les plus dignes de confiance en Afrique ?
Dans 39 pays enquêtés entre 2021-2023, au moins six Africains sur dix font « plutôt » ou « beaucoup » confiance aux trois des 11 institutions sondées : les chefs religieux (66 %), l’armée (61 %) et les chefs traditionnels (56 %). En revanche, moins de la moitié accordent leur confiance au président (46 %), à la police (46 %) et aux tribunaux (47 %). La confiance est encore plus faible envers les commissions électorales nationales (39 %), les conseils municipaux (38 %), les Parlements (37 %), les partis au pouvoir (37 %) et les partis d’opposition (30 %).
Une baisse généralisée de la confiance institutionnelle dans les dix dernières années
L’analyse de l’évolution de la confiance des Africains dans les institutions au fil du temps montre un déclin général de la confiance envers les institutions formelles. Parmi les institutions de l’État, seulement la confiance envers les militaires est restée relativement stable depuis 2014. Toutes les autres institutions formelles ont enregistré un recul du niveau de confiance. Comme institutions informelles, le niveau de confiance envers les leaders religieux et traditionnels a aussi diminué progressivement. Toutefois, ces deux institutions restent parmi les plus respectées du continent.
Il semble pertinent de s’interroger sur le niveau et le fondement de confiance des Africains. A partir des données des enquêtes de Afrobarometer dans plus de 39 pays durant plusieurs années, cet article revient sur des résultats d’enquête sur la confiance envers les institutions. Il ressort que les Africains font de moins en moins confiance aux institutions publiques sondées. Seuls les leaders religieux, l’armée et les chefs traditionnels bénéficient de la confiance de plus de la moitié des Africains
Regard sur la confiance en Afrique en fonction des régions et des pays
La confiance dans les institutions varie fortement selon les régions d’Afrique et les pays. On enregistre les niveaux de confiance les plus élevés en Afrique de l’Est et de l’Ouest suivis de l’Afrique australe, tandis que l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale ont les scores les plus bas.
Parmi les 39 pays sondés, la Tanzanie enregistre la plus forte confiance institutionnelle (78 %), où presque toute la population fait confiance aux chefs religieux, à l’armée et aux tribunaux. Les pays sahéliens, tels que le Niger (67 %), le Burkina Faso (61 %) et le Mali (59 %), se distinguent également par des niveaux de confiance élevés. À l’opposé, les niveaux de confiance les plus bas sont observés au Nigeria (30 %), à São Tomé-et-Príncipe (30 %), en Eswatini (27 %) et au Gabon (26 %).
La confiance interpersonnelle désormais élevée
La faible confiance dans les institutions ne reflète pas de facto un niveau de confiance particulièrement bas en Afrique. Pour la confiance interpersonnelle, 4 Africains sur 5 font « plutôt » ou « beaucoup » confiance à leur famille et plus de deux tiers à leurs voisins. Au même moment, plus de la moitié des enquêtés font confiance à leurs concitoyens ainsi qu’à des personnes d’autres groupes ethniques et religieux.
Performance et transparence dans la gouvernance comme facteurs clés de la confiance institutionnelle
Quels facteurs influent la confiance institutionnelle ? Pour y répondre, une régression est faite avec les institutions de plus de confiance (leaders religieux – traditionnels – armée) et trois institutions de pouvoir d’État (exécutif, législatif et judiciaire) : le Président / Premier ministre, le Parlement, les cours et tribunaux.
Les répondants qui pensent que leur pays va dans la bonne direction font beaucoup plus confiance à leurs institutions que ceux qui pensent que leur pays va dans la mauvaise direction. Aussi, une bonne perception de la situation économique du pays renforce la confiance institutionnelle. Cela suggère qu’un lien existe entre la performance perçue du gouvernement et la confiance dans les institutions formelles ainsi qu’informelles. Cette tendance est prononcée pour toutes les institutions formelles ainsi qu’informelles sauf l’armée.
La confiance dans les institutions varie fortement selon les régions d’Afrique et les pays. On enregistre les niveaux de confiance les plus élevés en Afrique de l’Est et de l’Ouest suivis de l’Afrique australe, tandis que l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale ont les scores les plus bas
Dans le même sens, la transparence dans les processus de gouvernance semble jouer un rôle important. Les Africains qui estiment d’un côté qu’il existe un niveau élevé de démocratie dans leur pays et qui de l’autre côté en sont satisfaits font beaucoup plus confiance. Cependant, une perception élevée de la corruption baisse de manière considérable la confiance institutionnelle :
Influence des facteurs socio-démographiques sur la confiance
La confiance dans les institutions change-t-elle en fonction du statut socio-démographique du répondant ? D’une part, une pauvreté individuelle élevée semble aller de pair avec la confiance dans un certain nombre d’institutions ; le Président et les leaders traditionnels et religieux. D’autre part, la confiance dans les cours et tribunaux augmente avec le niveau de vie. Ce qui pourrait suggérer qu’il faut des moyens financiers suffisants pour avoir un accès équitable à la justice.
Pour l’éducation, les répondants ayant eu accès à l’enseignement secondaire ou post-secondaire sont beaucoup plus méfiants du Président et de l’armée ainsi que des chefs traditionnels et leaders religieux. Ce qui pourrait faire songer que l’exposition à l’éducation formelle peut conduire à une plus grande remise en question des autorités.
Les habitants des zones urbaines ont tendance à faire beaucoup moins confiance à leurs institutions que les habitants des zones rurales. Cette tendance est reflétée par les activités exercées par les répondants : parmi toutes les professions, les agriculteurs et pêcheurs se fient le plus aux institutions.
Enfin, les femmes africaines sont plus méfiantes que les hommes, au moins en ce qui concerne le Président, l’armée, et les chefs traditionnels. Pourtant, elles éprouvent plus de confiance à l’égard des leaders religieux. Par rapport à l’âge, les Africains qui ont plus de 55 ans éprouvent le plus de confiance, tandis que les plus jeunes sont les plus méfiants. Cependant, pour les chefs traditionnels, contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est la tranche d’âge de 18-35 ans qui se fie le plus.
Pour la confiance interpersonnelle, 4 Africains sur 5 font « plutôt » ou « beaucoup » confiance à leur famille et plus de deux tiers à leurs voisins. Au même moment, plus de la moitié des enquêtés font confiance à leurs concitoyens ainsi qu’à des personnes d’autres groupes ethniques et religieux
Que retenir ?
Le niveau de confiance dans les institutions africaines s’affaiblit. Cette tendance se pose comme un problème majeur pour tout acteur car la détérioration de la confiance peut éroder la légitimité des institutions publiques. Les gouvernements africains doivent travailler plus pour renforcer la présence de l’État vécue comme compétent, efficace et juste auprès des citoyens car les institutions non étatiques (les chefs religieux et traditionnels) se présentent plus dignes de confiance que les entités étatiques. Ils doivent également tenir compte du fait que la seule institution du secteur public envers qui une majorité des Africains ont confiance, est l’armée. Par ailleurs, la faible confiance institutionnelle n’équivaut pas à un problème généralisé de confiance en Afrique, étant donné que la confiance interpersonnelle y reste élevée même face à des membres d’autres religions et ethnies.
L’analyse des facteurs liés à la confiance institutionnelle montre qu’elle est élevée lorsque les citoyens perçoivent leurs gouvernements comme performants et transparents. Cela rejoint les résultats de la Banque mondiale pour qui ce sont à la fois la capacité des institutions de l’État à fournir des résultats et les processus perçus comme transparents et équitables qui comptent pour une confiance élevée.
De plus, ce sont surtout les jeunes Africains vivant en milieu urbain avec un niveau d’éducation plus élevé qui sont les plus critiques à l’égard des institutions de l’État. Les gouvernements africains doivent alors veiller à ne pas perdre de vue la jeunesse surtout que le continent regorge une population beaucoup plus jeune.
Crédit photo: The conversation
Koffi Amessou Adaba est chercheur au Center for Research and Opinion Polls (CROP). Il est également chargé de recherche associé à WATHI. Leonie Back est Stagiaire au Center for Research and Opinion Polls (CROP).