

Saïd Djinnit et El-Ghassim Wane
Ainsi donc Amara Essy nous a quittés le 8 avril 2025, rejoignant la longue lignée des serviteurs de l’idéal panafricain qui ne sont plus de ce monde. Il avait 80 ans. Diplomate accompli et homme de vision, il aura marqué un tournant historique de la vie de l’institution continentale.
Nous avons véritablement découvert Essy après son élection, en juillet 2001, à Lusaka, comme dernier Secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), devenant un an plus tard Président intérimaire de la Commission de l’Union africaine (UA). Il succédait alors à Salim Ahmed Salim, artisan de l’adaptation de l’OUA à la période d’après-Guerre froide, et s’était vu assigner la mission délicate d’assurer la transition vers l’UA.
Cette tâche, il la mena avec rigueur, détermination et humilité. À Durban, en juillet 2002, les textes régissant le fonctionnement des principales instances de l’UA furent adoptés et la nouvelle Union officiellement lancée lors d’une grandiose cérémonie.
Avant de prendre la direction du secrétariat général de l’OUA, Essy avait notamment exercé les fonctions de ministre des Affaires étrangères de la Côte d’Ivoire et de représentant permanent de son pays auprès des Nations unies, où il assuma la présidence de l’Assemblée générale, jouant un rôle de premier plan dans la défense des positions africaines.
Son expérience, son réseau, sa lucidité stratégique et son leadership bienveillant ont fait de lui l’homme idéal pour assurer ce passage réussi entre les deux incarnations institutionnelles du panafricanisme que sont l’OUA et l’UA.
Bien d’autres résultats peuvent être mis à l’actif du leadership d’Essy, pendant les vingt-quatre mois de travail intense qui ont séparé son élection à la tête de l’exécutif de l’institution continentale de son départ après le sommet de Maputo en juillet 2003. Cette période a en effet vu l’adoption de textes majeurs, comme le Mémorandum d’entente de la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique (CSSDCA) – une initiative fondée sur une vision audacieuse de la gouvernance et du développement en Afrique; le Protocole portant création du Conseil de paix et de sécurité; la Convention de l’UA sur la prévention et la lutte contre la corruption et le Protocole de Maputo sur les droits des femmes. Autant d’instruments qui restent, aujourd’hui encore, d’une brûlante actualité.
Avant de prendre la direction du secrétariat général de l’OUA, Essy avait notamment exercé les fonctions de ministre des Affaires étrangères de la Côte d’Ivoire et de représentant permanent de son pays auprès des Nations unies, où il assuma la présidence de l’Assemblée générale, jouant un rôle de premier plan dans la défense des positions africaines
Tout en œuvrant à la réussite de la transition entre l’OUA et l’UA et à ces avancées normatives, Essy ne négligea point la gestion des autres dossiers prioritaires de l’époque. C’est ainsi qu’il s’impliqua activement dans la recherche de solutions aux crises qui affectaient diverses régions du continent, en particulier à Madagascar, en Centrafrique et au Burundi, maniant avec finesse les outils de la diplomatie africaine, y compris face aux dirigeants les plus affirmés.
Rompu aux arcanes du système international, Essy avait une conscience aiguë de la distribution asymétrique du pouvoir en son sein et des inégalités et injustices le caractérisant. Il aimait à répéter ce proverbe ouest-africain : « La main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit », plaidant pour une Union africaine financièrement autonome et politiquement souveraine. C’était là l’un de ses combats constants.
Essy gérait les dossiers avec une autorité tranquille, déléguant en toute confiance et mobilisant les énergies dans un esprit de collaboration sincère. Mais ce qui frappait le plus chez lui, c’était l’homme derrière le diplomate. Il était d’une rare humilité, généreux, discret, et fidèle en amitié. Partout où il est passé, il a laissé une empreinte profonde et a toujours joui de l’estime ainsi que du respect de tous.
Nombreux sont ceux qui, l’ayant côtoyé et pratiqué, gardent le souvenir de sa sollicitude et de sa bonté, bien au-delà des exigences du devoir. Jusqu’à la fin, il aura maintenu un lien cordial avec ses anciens collaborateurs, leur offrant réconfort et reconnaissance, dans le silence digne des grands.
Rompu aux arcanes du système international, Essy avait une conscience aiguë de la distribution asymétrique du pouvoir en son sein et des inégalités et injustices le caractérisant. Il aimait à répéter ce proverbe ouest-africain : « La main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit », plaidant pour une Union africaine financièrement autonome et politiquement souveraine
Son mandat prit fin en juillet 2003 avec l’élection de l’ancien président Alpha Oumar Konaré, mais son rôle de bâtisseur de ponts entre l’OUA et l’UA restera inoubliable. En ces temps d’incertitudes, son exemple demeure une source d’inspiration : éthique, engagement, discrétion et efficacité sont les piliers de son héritage.
Essy se plaisait à rappeler cet autre adage africain: « Dans le village, on connaît les meilleurs danseurs ». Avec sa disparition, l’Afrique vient de perdre l’un de ses plus fins danseurs sur la scène multilatérale. Notre peine est immense. Mais, nous nous consolons avec la certitude, comme le rappelle Birago Diop, que:
« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis,
Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire,
Et dans l’ombre qui s’épaissit …,
Ils sont dans l’arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l’eau qui coule,
Ils sont dans l’eau qui dort … ».
Bref, Essy continuera à vivre dans la mémoire, les gestes et pas de ceux, nombreux, que son exemple a inspirés – tant en Afrique qu’en dehors du continent.
Adieu Monsieur Amara Essy ! Que ton âme repose éternellement en paix.
Crédit photo: WATHI
Saïd Djinnit, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies en Afrique de l’Ouest et ancien Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la région des Grands Lacs. Il a servi comme Secrétaire général adjoint aux Affaires politiques à l’Organisation de l’unité africaine et Commissaire à la Paix et à la Sécurité à l’Union africaine pendant le mandat d’Amara Essy.
El-Ghassim Wane, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies au Mali et chef de la MINUSMA et ancien Directeur Paix et Sécurité à la Commission de l’Union africaine. Il a servi comme fonctionnaire politique principal/chef adjoint par intérim du Centre de gestion des conflits de l’OUA/UA pendant le mandat d’Amara Essy.