Bah Traoré
En juillet 2009, lors de sa visite au Ghana, le président américain Barack Obama a prononcé une phrase mémorable : “L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions”. Des années plus tard, cette déclaration résonne profondément en Afrique de l’Ouest où les gouvernants demeurent forts au détriment des entités de l’État et même des institutions. Elle reflète également les aspirations des peuples africains pour une gouvernance plus inclusive, transparente et participative.
Plutôt que de s’appuyer sur des personnalités ou des régimes autoritaires, il nous faut insister sur l’importance de construire des systèmes institutionnels qui transcendent les individus et les partis politiques. Très souvent, les dirigeants ouest-africains concentrent le pouvoir entre leurs mains en affaiblissant les institutions démocratiques.
La concentration du pouvoir entre les mains d’un seul individu ou d’un parti politique a des conséquences dévastatrices sur la démocratie et l’État de droit. Les institutions démocratiques s’affaiblissent, la séparation des pouvoirs est compromise, et les mécanismes de reddition de comptes s’érodent. Cela crée un environnement propice à l’autoritarisme, à la corruption et à l’abus de pouvoir, sapant ainsi les fondements même de la gouvernance démocratique.
Les systèmes démocratiques, bien qu’imparfaits, offrent généralement plus de garanties pour le respect des droits fondamentaux des citoyens et favorisent la reddition de comptes des dirigeants. L’erreur serait de penser que la démocratie est un système figé. Il est essentiel de reconnaître que ces acquis sont rarement pérennes. La démocratie, par essence, est sujette à l’évanescence, à la fragilité, et demande un entretien continu pour maintenir son efficacité.
Plutôt que de s’appuyer sur des personnalités ou des régimes autoritaires, il nous faut insister sur l’importance de construire des systèmes institutionnels qui transcendent les individus et les partis politiques. Très souvent, les dirigeants ouest-africains concentrent le pouvoir entre leurs mains en affaiblissant les institutions démocratiques
Les tensions politiques et les crises institutionnelles sont autant de facteurs qui peuvent compromettre les acquis démocratiques. Les coups d’État sont encore moins la solution, au contraire ils peuvent amener d’autres groupes de militaires à recourir aux mêmes méthodes pour prendre le pouvoir, ce qui peut déstabiliser davantage la région. En mai 2022, la junte au pouvoir à Bamako affirmait avoir déjoué une tentative de coup d’État. Arrivée à la tête du Burkina Faso à la suite d’un coup d’État en septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a échappé à plusieurs tentatives de déstabilisations de son régime notamment en septembre 2023 et récemment en janvier 2024.
L’hyperprésidentialisme dans notre système politique
Montesquieu, philosophe politique français du XVIIIe siècle, a profondément influencé la pensée sur la gouvernance en avançant l’idée que la concentration du pouvoir entre les mêmes mains conduit à des abus de pouvoir. Cette réflexion a donné naissance au concept de la séparation des pouvoirs, qui est fondamental dans la démocratie moderne. L’idée selon laquelle “le pouvoir doit arrêter le pouvoir” reflète ce principe, affirmant que pour éviter les abus et garantir les droits individuels, les différentes branches du gouvernement doivent être distinctes, indépendantes et équilibrées.
En Afrique de l’Ouest, malgré l’inscription de ce principe dans de nombreuses constitutions, son application reste un défi majeur. Les présidents de la région détiennent souvent un pouvoir étendu, leur permettant de prendre des décisions unilatérales et de contrôler significativement les institutions gouvernementales. Cette concentration de pouvoir affaiblit les mécanismes de contrôle et d’équilibre essentiels à une gouvernance démocratique.
Les contre-pouvoirs, tels que le parlement, le pouvoir judiciaire et les médias, sont souvent affaiblis ou cooptés par le président et son entourage, limitant ainsi leur capacité à exercer un contrôle efficace sur l’exécutif et à garantir la reddition de comptes. Cette situation crée un environnement propice à « l’hyper-présidentialisme », où le chef de l’État domine. La nouvelle constitution malienne adoptée en juillet 2023 renforce davantage les pouvoirs du président de la République contrairement à la constitution controversée de février 1992. L’article 73 établit la possibilité de destituer le président par le Parlement, constitué de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour “haute trahison”.
Cependant, cette procédure est peu probable, nécessitant une majorité des 3/4 de ses membres. Au-delà de la notion floue de “haute trahison” qui n’est pas clairement définie, le véritable défi réside dans la question de la majorité parlementaire. En effet, les partis au pouvoir exercent généralement un contrôle sur les parlements, compromettant ainsi leur indépendance et leur capacité à agir de manière impartiale.
Ces dernières années, ce phénomène « d’hyperprésidentialisme » est souvent exacerbé par des modifications constitutionnelles visant à prolonger les mandats présidentiels, comme cela a été observé en Guinée avec Alpha Condé en 2019, en Côte d’Ivoire avec Alassane Ouattara, et au Togo avec Faure Gnassingbé en 2019, au pouvoir depuis 2005. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles toutes les tentatives de modification de la constitution au Mali ont échoué depuis 1992.
Les contre-pouvoirs, tels que le parlement, le pouvoir judiciaire et les médias, sont souvent affaiblis ou cooptés par le président et son entourage, limitant ainsi leur capacité à exercer un contrôle efficace sur l’exécutif et à garantir la reddition de comptes. Cette situation crée un environnement propice à « l’hyper-présidentialisme », où le chef de l’État domine
Ces actions ont suscité de vives critiques et ont illustré comment le désir personnel du président sape les principes démocratiques et entrave le progrès politique dans la région. Dans son allocution du 3 juillet 2023, le président Macky Sall a officiellement annoncé qu’il ne briguera pas un troisième mandat lors de l’élection présidentielle de 2024. Après des mois de suspense et de spéculations sur sa potentielle candidature, cette déclaration a été accueillie par une série de messages de félicitations émanant des représentants des organisations internationales et des chefs d’État et de gouvernement. Ce geste, aussi simple soit-il, de respecter les engagements pris devant le peuple et la constitution, ne mérite ni d’être salué et reconnu car dans beaucoup d’autres pays de la région en l’occurrence au Ghana, au Nigéria ou encore au Cap-Vert, cette question ne se pose pas.
Les pourfendeurs de la démocratie soutiennent l’idée d’une dictature bienveillante et éclairée, théoriquement, un leader ou un petit groupe de dirigeants qui prennent des décisions efficaces pour promouvoir le développement économique, l’éducation, la santé et d’autres domaines. Cependant, cela se fait souvent au détriment des libertés individuelles, des droits de l’homme et de la participation politique des citoyens. Ces régimes peuvent aussi être instables à long terme. L’exemple le plus souvent cité est celui du président rwandais Paul Kagame au pouvoir depuis 2000. Bien que le régime de Kagame soit souvent critiqué pour son manque de liberté d’expression et son contrôle politique strict, il a également été loué pour ses efforts dans la reconstruction du pays après le génocide de 1994.
Le Rwanda a réalisé des progrès significatifs en matière de développement économique, d’éducation et de santé, sous la direction de Kagame. L’expérience des dictatures en Afrique de l’Ouest n’est pas bonne. Elles ont été associées à des périodes de troubles politiques, de violations des droits de l’homme et de stagnation économique. Certains pays ouest africains, malgré les défis persistants, ont organisé des élections démocratiques pacifiques et ont vu des transferts de pouvoir entre différents partis politiques au Cap-Vert, au Ghana et plus récemment au Liberia où le président sortant Georges Weah a reconnu sa défaite lors de l’élection présidentielle en novembre 2023.
Mutisme ou incapacité de la CEDEAO ?
La réaction de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) face aux troisièmes mandats présidentiels et aux coups d’État militaires constitue un sujet crucial dans le contexte politique de la région. L’analyse de ses politiques révèle un ensemble de réponses contrastées et parfois controversées qui ont alimenté un débat sur le rôle et l’efficacité de l’organisation en matière de défense de la démocratie et de l’ordre constitutionnel en Afrique de l’Ouest. La CEDEAO a élaboré un cadre juridique et institutionnel pour répondre aux coups d’État militaires dans la région.
Le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, adopté en 2001, énonce clairement la condamnation des prises de pouvoir non constitutionnelles et prévoit des sanctions à leur encontre. En réponse aux coups d’État, la CEDEAO a souvent recours à des mesures coercitives telles que des sanctions économiques, la suspension du pays concerné de l’organisation, ou l’imposition d’embargos diplomatiques. Ces sanctions visent à affaiblir les auteurs du coup d’État en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel.
La CEDEAO a adopté une position plus ferme contre les coups d’État militaires, les qualifiant de violations flagrantes de l’ordre constitutionnel et des principes démocratiques. Elle a pris des mesures de sanctions, telles que des sanctions diplomatiques, économiques et financières, ainsi que. Par exemple, la condamnation du coup d’État au Mali en 2020 a été suivie de demandes de rétablissement de l’ordre constitutionnel et du retour à un gouvernement civil légitime. De même, après le coup d’État de juillet 2023 au Niger, la CEDEAO a menacé d’intervenir pour rétablir au pouvoir Mohamed Bazoum, renforçant ainsi son engagement pour la défense de la démocratie et de l’ordre constitutionnel dans la région.
En revanche, la CEDEAO semble manquer de fermeté face aux coups d’État constitutionnels et aux révisions constitutionnelles visant à prolonger les mandats présidentiels au-delà des limites constitutionnelles dans plusieurs pays notamment au Togo, en Guinée et en Côte d’Ivoire. Aucune sanction n’a été prise à l’encontre des chefs d’État. L’organisation régionale s’est limitée à une simple condamnation. Cet apparent manque de fermeté sur les violations flagrantes de l’État de droit et des principes démocratiques a soulevé des questions sur sa crédibilité et son engagement envers ces principes démocratiques.
En décembre 2023, la Guinée-Bissau a été le théâtre d’un coup de force. Cette situation résultait d’une tension observée entre le Président Embalo et son principal adversaire, Domingos Simões Pereira, chef du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) et Président du parlement. Le président Umaru Sissoco Embalo a par la suite dissout l’Assemblée nationale, en évoquant une tentative de coup d’État.
Cependant, l’article 94 de la constitution de Guinée-Bissau interdit explicitement la dissolution de l’Assemblée nationale par le président dans les douze mois suivant des élections législatives. Cette décision constitue une violation de la constitution. La CEDEAO a fait un communiqué condamnant fermement les violences mais elle est restée silencieuse devant la violation des principes démocratiques et constitutionnels dans le pays.
En revanche, la CEDEAO semble manquer de fermeté face aux coups d’État constitutionnels et aux révisions constitutionnelles visant à prolonger les mandats présidentiels au-delà des limites constitutionnelles dans plusieurs pays notamment au Togo, en Guinée et en Côte d’Ivoire
La perception largement répandue de la CEDEAO comme un « syndicat des chefs d’État » souligne des préoccupations profondes quant à son manque cohérence, de redevabilité et de transparence dans ses processus décisionnels. Les citoyens de la région expriment fréquemment un écart significatif entre les actions de l’organisation et leurs aspirations démocratiques, alimentant ainsi un sentiment généralisé de méfiance envers l’intégrité et l’efficacité de la CEDEAO en tant qu’acteur régional. Cette perception résulte de plusieurs exemples concrets, illustrant des situations où la réaction de la CEDEAO face à des crises politiques a été perçue comme partiale et orientée vers la préservation des intérêts des dirigeants en place, au détriment de la démocratie et des droits des citoyens.
Image d’illustration: linvestigateurafricain.tg
Bah Traoré est chargé de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions politiques et sécuritaires au Sahel. Il anime Afrikanalyste, un site dédié à l’analyse de l’actualité au Sahel. Il a travaillé sur des projets liés à la désinformation et au fact-checking en Afrique de l’Ouest.