Bénin : quelles réformes institutionnelles pour rompre avec la démocratie corrompue ?
Partie I: Le mandat présidentiel unique n’est ni une mauvaise idée ni la panacée
Gilles Olakounlé Yabi
Le nouveau président Patrice Talon dont la fulgurante réussite électorale aura incarné la toute puissance de l’argent dans la politique béninoise sera-t-il celui qui permettra au Bénin de sortir du piège de la démocratie corrompue ? Rien dans la trajectoire personnelle de l’ex-candidat Patrice Talon comme homme d’affaires prospère et comme financeur d’acteurs politiques victorieux n’incite a priori à un tel optimisme. Mais il y a une raison objective de croire qu’il peut effectivement être l’homme d’un « nouveau départ » : le diagnostic juste qu’il fait de l’état de la gouvernance dans le pays et l’orientation générale des réformes institutionnelles proposées dans son projet de société.
La proposition d’un mandat présidentiel unique de cinq ans est, sans surprise, celle qui est la plus commentée parmi les mesures clés avancées par le candidat Talon dans le domaine des réformes politiques et institutionnelles. Il s’est engagé à donner lui-même le ton en ne faisant qu’un seul mandat de cinq ans, alors que l’actuelle constitution autorise deux mandats consécutifs. Il n’a pas hésité à réitérer son engagement à se retirer en 2021 dans son discours d’investiture.
La suppression de la possibilité pour un président d’être réélu participe, comprend-on, d’une volonté de réduire la « puissance » de la personne qui exerce la fonction présidentielle
Le diagnostic qu’on peut lire dans le document de campagne du nouveau président est le suivant : « Le Président de la République exerce désormais un pouvoir « surpuissant » qui lui a permis de dominer toutes les autres institutions, de mettre sous son contrôle exclusif tous les moyens de l’Etat, d’affaiblir les droits et de discriminer dans l’accomplissement de ses devoirs vis-à-vis des citoyens » ; « le pouvoir exécutif est devenu nuisible en ce qu’il est exposé à toutes les dérives institutionnelles, structurelles et personnelles. Il œuvre exclusivement à son propre maintien et épanouissement, au détriment de la dynamique collective ».
La suppression de la possibilité pour un président d’être réélu participe, comprend-on, d’une volonté de réduire la « puissance » de la personne qui exerce la fonction présidentielle – en limitant la période maximale de cet exercice à cinq petites années. On s’attend aussi, et peut-être surtout, à ce qu’un mandat unique mette fin à la tentation pour un président élu de se focaliser dès la première année de pouvoir sur la réélection et de n’être guidé dans toute son action que par l’obsession de rester au pouvoir le plus longtemps possible.
L’obsession du maintien au pouvoir du président et parfois encore davantage de ses proches et de tous les profiteurs agglutinés autour du palais présidentiel est un des facteurs majeurs de grandes désillusions démocratiques, voire de drames nationaux violents.
Cet argument me semble tout à fait percutant, lorsqu’on observe attentivement les pratiques politiques pernicieuses qui se sont installées au Bénin comme dans toutes les jeunes démocraties africaines au cours des deux dernières décennies. L’obsession du maintien au pouvoir du président et parfois encore davantage de ses proches et de tous les profiteurs agglutinés autour du palais présidentiel est un des facteurs majeurs de grandes désillusions démocratiques, voire de drames nationaux violents.
Après avoir mis les moyens politiques, sécuritaires, financiers, médiatiques, diplomatiques de l’Etat au service de l’obtention d’un deuxième mandat, nombre de chefs d’Etat ont pensé qu’il n’y avait pas de raison de ne pas mobiliser les mêmes moyens – surpuissants – pour faire sauter les dispositions limitant souvent à deux le nombre de mandats. Il ne me paraît pas idiot de proposer le mandat unique comme un possible antidote au poison de l’irrésistible attrait du pouvoir à intensité et à durée illimitées.
Mais on peut aussi aisément faire apparaître les limites du mandat unique, voire les dangers qu’il comporterait. Il y a un risque d’instabilité institutionnelle et de fragilisation de l’Etat liée à un changement de président tous les cinq ans. Cette alternance obligatoire se traduirait par une absence de continuité dans l’action de l’Etat si les orientations fondamentales changent avec chaque président. Il y a un risque d’affaiblissement trop important de la fonction présidentielle – qui incarne pourtant le choix du peuple souverain à travers l’élection au suffrage universel-, au profit d’institutions ou de groupes de personnes moins légitimes, et plus difficiles à identifier et à tenir pour responsables de l’action publique.
Mais on peut aussi aisément faire apparaître les limites du mandat unique, voire les dangers qu’il comporterait.
Mais l’argument qui paraît le plus fort à opposer à l’option du mandat unique consiste à lui reprocher de supprimer l’incitation première à la bonne conduite pour un président en exercice : la perspective d’une réélection. Pourquoi un chef d’Etat se donnerait-il beaucoup de mal pour produire des résultats économiques et sociaux incontestables en cinq ans s’il ne peut pas voir sa performance récompensée par un plébiscite pour lui accorder au moins cinq ans de plus ? Pourquoi se gênerait-il pour tirer autant d’avantages que possible de la fonction présidentielle furtive alors qu’il n’aurait pas de sanction politique à craindre de la part des électeurs ?
Pourquoi le président Patrice Talon, pour prendre cet exemple, parce qu’il aura choisi volontairement de ne faire qu’un mandat, ne profiterait-il pas de ses cinq ans pour s’assurer de se mettre définitivement à l’abri de toute menace sur sa fortune ? On ne peut pas éluder ces questions et ne pas reconnaître la force de cet argument. Enlever la possibilité de la réélection, c’est aussi ôter au peuple souverain le choix de reconduire un chef qu’il trouve bon pour lui et pour le pays. C’est un coup porté à un des piliers de la justification des démocraties électorales : la possibilité qu’elles offrent aux citoyens de choisir mais aussi de congédier ou de reconduire leurs élus.
En observant l’évolution politique récente dans les pays d’Afrique de l’Ouest, on doit reconnaître que la perspective de la réélection joue désormais un rôle certain dans la volonté des présidents d’afficher un bilan positif au terme de leur premier mandat, en termes d’infrastructures routières, énergétiques, de santé et d’éducation ou de distribution de microcrédits. Même s’ils ne se contentent pas de compter sur leur bilan économique et social pour gagner, ils font tout de même des efforts importants pour en avoir un à présenter aux électeurs. En feraient-ils autant s’ils n’avaient droit qu’à un mandat unique constitutionnel ?
On doit reconnaître que la perspective de la réélection joue désormais un rôle certain dans la volonté des présidents d’afficher un bilan positif au terme de leur premier mandat.
L’argument n’est cependant pas imparable. La pression politique pour afficher des résultats après cinq ans n’a pas que des avantages. D’abord, elle ne joue pas encore dans le contexte ouest-africain le rôle le plus important comme déterminant des chances de réélection : il est au moins aussi efficace de mobiliser les moyens de l’Etat en fin de mandat pour faire une précampagne et une campagne victorieuses, accompagnées d’achats directs ou indirects de voix et de nombreuses autres astuces pour corrompre le processus électoral afin de gagner… même lorsqu’on a en réalité perdu.
En second lieu, la perspective de la réélection est une incitation à afficher un bon bilan et à paraître un bon président au moment précis du vote. Ce n’est pas nécessairement une incitation à faire les meilleurs choix de politiques publiques qui tiennent compte des coûts et des bénéfices immédiats mais aussi futurs. Ce qu’on observe en Afrique et d’ailleurs aussi dans toutes les démocraties rythmées et dominées par les élections présidentielles, c’est une tendance à privilégier à l’approche de la fin du premier mandat des mesures populistes même lorsqu’elles sont contraires à l’intérêt général à moyen et long terme. Ce n’est pas très grave dans les contextes où l’action publique consiste à apporter des changements marginaux à des orientations et à des systèmes déjà bien établis.
C’est beaucoup plus grave dans les pays africains où les choix à faire aujourd’hui dans les domaines comme l’éducation, la santé, la sécurité ou l’impulsion économique sont vitaux et doivent impérativement s’inscrire dans un horizon temporel qui dépasse la durée d’un ou de deux mandats présidentiels. La volonté de se faire réélire, dans le contexte d’un fossé économique, éducatif et social entre les élites et les masses, conduit peut-être, par exemple, à construire hâtivement des centaines d’écoles partout dans le pays…. mais pas à s’assurer qu’elles auront des enseignants, et qu’elles s’inscrivent dans une politique éducative nationale cohérente.
La croyance dans la capacité du mandat renouvelable à inciter à une bonne gouvernance pendant le premier mandat est donc avant tout… une croyance.
L’obsession de la réélection conduit à investir plus que de raison dans la communication permanente sur tous les faits et gestes du président, à récompenser une armée de thuriféraires du chef de l’Etat en campagne permanente, à mettre parfois l’essentiel de l’administration publique au service de l’obligation d’assurer la popularité du président à la veille des élections. La croyance dans la capacité du mandat renouvelable à inciter à une bonne gouvernance pendant le premier mandat est donc avant tout… une croyance.
Le mandat unique n’incite certes pas nécessairement à faire des choix plus avisés de politiques publiques durables puisque le président aurait peu de chances de récolter les fruits des efforts entrepris pendant cinq ans et de se voir attribuer les succès à moyen terme de son gouvernement. Débarrassé de la peur de la défaite électorale au terme de son mandat, le président pourrait par contre être plus libre et capable d’engager des réformes cruciales pour l’avenir mais impopulaires, ou heurtant de puissants groupes d’intérêts à court terme. Le président ou la présidente le pourrait. C’est une possibilité parmi d’autres. Nous sommes donc ici aussi dans le registre des croyances.
Affirmer que le mandat unique est forcément un meilleur choix institutionnel que le mandat renouvelable une fois serait aussi intellectuellement douteux que d’affirmer l’inverse. C’est pour cela que l’examen de la question du mandat unique proposé par le nouveau président béninois doit se faire en relation avec les autres réformes institutionnelles envisagées. Et c’est là que s’ouvrent des perspectives prometteuses pour donner un véritable contenu au slogan de la rupture. A condition d’aller encore plus loin dans l’audace des réformes.
Photo: http://beninwebtv.com/
Analyste politique et économiste, Gilles Olakounlé Yabi est l’initiateur du think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest, WATHI. Les opinions exprimées ici sont personnelles et ne représentent pas celles de WATHI
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Le mandat unique a toujours été bénéfique à l’Etat de droit. S’il advenait qu’un Président de la République soit assez populaire pour que sa réélection soit souhaitée par les citoyens, rien ne l’empêche de se représenter après une pause
Moi je souhaiterais que nous maintenons un mandat renouvelable une seule fois, mais que cette une seule fois là soit rigoureusement une. De plus, je souhaiterais que cette loi ne soit modifiable par aucun PRÉSIDENT de ce Pays le BENIN,JE VOUS REMERCIE !