Bénin : quelles réformes institutionnelles pour rompre avec la démocratie corrompue ?
Partie II: Les réformes envisagées par le nouveau président vont dans le bon sens
Gilles Olakounlé Yabi
Les réformes institutionnelles proposées dans le programme de Patrice Talon, outre le mandat présidentiel unique de cinq ans, vont dans le sens d’une réduction de l’influence du pouvoir exécutif sur les institutions réputées indépendantes, particulièrement la Cour constitutionnelle, la Cour suprême et la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC).
Une des mesures proposées consiste ainsi à enlever au président de la République et au président de l’Assemblée nationale le privilège de désigner les membres de la Cour constitutionnelle. Cette responsabilité serait confiée aux corps des magistrats, des professeurs de droit, des avocats, et aux collèges des anciens présidents de la République et des anciens présidents de l’Assemblée nationale qui éliraient des représentants. L’objectif d’accroître les chances d’une indépendance réelle de la Cour constitutionnelle par rapport à l’institution présidentielle mais aussi au Parlement est évident.
Ces changements institutionnels sont cohérents avec la dénonciation par l’ex-candidat Talon d’un pouvoir présidentiel « surpuissant » écrasant toutes les autres institutions.
C’est la même logique qui sous-tend les propositions de réforme de la Cour suprême, dont le président ne serait plus nommé par le chef de l’Etat mais élu par les membres de la plus haute institution judiciaire. Même volonté de renforcer l’indépendance de la HAAC dont le président serait élu au sein des professionnels des médias membres de cette Autorité de régulation, même si le président de la République désignerait aussi un des membres. Ces changements institutionnels sont cohérents avec la dénonciation par l’ex-candidat Talon d’un pouvoir présidentiel « surpuissant » écrasant toutes les autres institutions.
Même s’il faudra examiner avec attention les risques éventuels liés aux nouveaux modes de sélection des membres de ces institutions cruciales pour un meilleur équilibre des pouvoirs, ces propositions vont dans le bon sens. Les dérives de la gouvernance du pays sous l’ancien président Yayi Boni, mais aussi sous ses prédécesseurs, n’ont fait qu’exposer davantage les dangers qu’une nation court lorsque la Constitution ne prévoit pas de dispositifs permettant de limiter et d’encadrer les pouvoirs discrétionnaires des présidents, notamment en ce qui concerne les nominations à toutes les fonctions civiles et militaires, y compris à la tête des plus hautes institutions censées agir comme contre-pouvoir.
Il y a de ce point de vue une tentative appréciable dans le projet de réformes du président Talon de mettre fin à une gestion des affaires publiques entièrement soumise à des choix politiques et, in fine, aux préférences personnelles du président ou aux choix qui lui sont imposés dans l’ombre par une variété de groupes d’intérêts privés, qu’ils soient purement affairistes ou ethno-régionaux, religieux ou sectaires.
Il y a de ce point de vue une tentative appréciable dans le projet de réformes du président Talon de mettre fin à une gestion des affaires publiques entièrement soumise à des choix politiques.
Le projet de l’ancien candidat propose de « pourvoir les hautes fonctions de l’administration par appel à candidatures avec mandat et une rémunération conséquente » et de procéder de la même manière pour le recrutement des membres des structures de contrôle de l’Etat. L’objectif paraît aussi clair et cohérent avec le diagnostic sur la mauvaise gouvernance : réduire la politisation de l’administration publique et augmenter les chances d’avoir des hauts fonctionnaires présumés compétents dans les domaines spécifiques dont la responsabilité leur est confiée.
La question du mode de sélection des personnes qui doivent occuper les fonctions où se prennent les décisions déterminantes pour le présent et l’avenir d’un pays dans tous les domaines de l’action publique n’est ni anodine ni secondaire. Elle est centrale. Le dicton populaire « l’homme ou la femme qu’il faut à la place qu’il faut » est aussi simple et ancien que juste et actuel. Plus personne, sauf peut-être quelques extrémistes du néolibéralisme, ne conteste aujourd’hui le rôle clé du leadership politique et de la qualité de l’administration publique dans la capacité d’un pays à améliorer sur une longue durée les conditions de vie de ses habitants.
Le dicton populaire « l’homme ou la femme qu’il faut à la place qu’il faut » est aussi simple et ancien que juste et actuel.
Au Bénin en particulier, les obstacles majeurs à un progrès économique, social, éducatif et culturel partagé ne relèvent pas d’un manque d’esprit d’initiative privée.Au contraire, les Béninoises et les Béninois, dans leur grande variété d’origines sociales, font preuve au quotidien d’une grande ingéniosité pour survivre, pour vivre décemment, pour vivre convenablement ou pour vivre très confortablement. En s’affranchissant, aussi souvent que nécessaire, des lois et des règlements d’un Etat qui ne fonctionne qu’accidentellement au service de l’intérêt général.
C’est l’absence d’un progrès continu et visible dans l’œuvre de construction d’un Etat structuré, respectable, régulateur et producteur de services et de politiques publics essentiels et la généralisation de la corruption dans toutes les strates de la société qui expliquent le sentiment de malaise et de désenchantement des Béninois. C’est sans doute en partie parce que le candidat Talon a bien compris les origines de ce malaise qu’il a osé faire campagne sur le slogan d’une rupture avec une mauvaise gouvernance qu’il a pourtant observée… et fréquentée de près.
Photo: http://beninwebtv.com/
Analyste politique et économiste, Gilles Olakounlé Yabi est l’initiateur du think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest, WATHI. Les opinions exprimées ici sont personnelles et ne représentent pas celles de WATHI