Gouem Abdoul Chaafiou
Les crises sociales, politiques, sécuritaires voire alimentaires que vivent les populations du Burkina Faso ne sont autres que le résultat d’une approche de gouvernance et de développement défaillante réductrice des possibilités d’amélioration profonde et structurelle des conditions de vie des populations au niveau local. Le recrutement de combattants parmi nos concitoyens par les forces ennemies démontre amèrement les effets pervers de « l’abandon » de certaines zones du pays par l’État depuis des décennies (voir discours du Président de la Transition Ibrahim Traoré tenu face aux partis politiques et les OSCs le 11 Novembre 2022).
Par conséquent, l’instabilité que vit le pays actuellement n’est autre que le reflet de l’échec du développement local au Burkina Faso, pays dont 69% de la population vit en zone rurale. Dès lors, dans la dynamique de refondation actuelle, repenser la gouvernance territoriale devient un impératif pour non seulement apporter une réponse militaire, sociale et humanitaire plus efficace à la crise mais aussi pour favoriser une meilleure prise en charge du bien-être des populations à la base sur le long terme.
À cela, un changement d’approche de planification du développement doit s’adjoindre afin, d’une part, de sortir d’une logique dans laquelle la visibilité du développement national est courte (n’excède guère cinq ans) et, d’autre part, de permettre aux collectivités territoriales de mieux prendre en main les actions de développement au niveau local en fonction de leurs potentialités et priorités propres.
Cette proposition s’établit alors en deux parties dont la première, s’articule autour d’une réforme du modèle actuel d’administration du territoire. Quant à la deuxième partie, elle aborde la nécessité d’un changement d’approche dans la planification du développement du pays.
Repenser la forme de l’État et l’administration du territoire
Le défaut majeur dans l’approche actuelle de la gouvernance locale réside dans sa faible capacité à impulser un développement à la base. La crise de l’État en elle-même relève de cette insuffisance étant donné que la décentralisation dans son format actuel induit une faible prise en compte des aspirations des populations à la base et conduit à des revendications directement adressées à l’État central en cas d’insatisfaction de celles-ci quant à une décision prise ou non, implémentée ou non, peu importe leur localité d’appartenance.
Dans la pensée commune, l’État central est l’unique responsable du mal-être des populations et ce, du fait du modèle de gouvernance publique choisi. Pourtant, les collectivités territoriales peuvent, si on le leur permet, mieux prendre en charge les préoccupations des populations et mener des initiatives de développement endogène.
Renforcer les pouvoirs des collectivités
Au regard de la situation que traverse ce pays, une réforme de l’État est à mettre sur la table d’autant plus qu’un projet de nouvelle constitution est annoncé et qu’un projet de redécoupage administratif du territoire national est en cours de conception. Entre État unitaire et État fédéral, l’ demeure une option crédible. Un renforcement de l’autonomie, donc du pouvoir de décision et d’action des collectivités en résulte. L’État régional est une forme de décentralisation plus poussée voire une délégation du pouvoir politique vers les régions qui, au Burkina Faso, pourrait s’inspirer du modèle kenyan.
Le défaut majeur dans l’approche actuelle de la gouvernance locale réside dans sa faible capacité à impulser un développement à la base
L’État régional se rapproche de l’État fédéral sans pour autant en adopter toutes les caractéristiques. Les régions demeurent rattachées politiquement à un État central, sous une constitution unique bien que ceux-ci disposent d’un plus grand pouvoir normatif contrairement au fédéralisme dans lequel les États fédérés disposent de leurs propres constitutions et de pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire autonomes. La régionalisation dote les régions d’une autonomie politique et de compétences allant au-delà de leur rôle administratif d’unités décentralisées. Il leur dote d’un pouvoir législatif limité sous le contrôle de l’État.
Ce changement d’approche suppose une redéfinition du rôle, des prérogatives, et des pouvoirs accordés à l’institution ou l’acteur à la tête d’une collectivité et qui doit désormais être premier responsable du développement et du bien-être des populations relevant de son autorité administrative. C’est un moyen de renforcement de la légitimité politique et sociale des gouvernants locaux. Concrètement, le duo autorité élue/autorité nommée par l’État dans les circonscriptions administratives doit être rompu. Une seule entité ou acteur devrait endosser la responsabilité de la gouvernance d’une collectivité donnée. Pour des raisons de légitimé à la base, il est de préférence que cet acteur soit élu au suffrage direct.
À titre d’illustration, le duo Gouverneur/Président du Conseil Régional pourrait laisser place à une unique autorité élue, en charge de la gouvernance régionale, avec plus de pouvoirs de décision et de mobilisation de ressources pour le développement de sa circonscription administrative. Cela pourrait donner naissance à un Président de Région ou à tout autre appellation jugée pertinente. Ce responsable de région devra dans cette logique mettre en place un gouvernement de région.
L’État central conservant ses pouvoirs régaliens (défense, affaires étrangères et commerce extérieur, justice, économie et finance) et tout pouvoir dont il juge le contrôle nécessaire, les gouvernements régionaux quant à eux pourraient disposer de portefeuilles dévolus à l’opérationnalisation de la vision nationale du développement au niveau régional.
Au niveau national les ministres pourraient désormais être des Secrétaires d’État tandis qu’au niveau régional les membres du gouvernement peuvent conserver l’appellation de Ministres. Dans cette logique, la mise en place d’instances de gouvernance locale sur la base élective de leurs responsables devra se poursuivre tant au niveau provincial que dans les communes rurales et urbaines comme c’est actuellement le cas.
Une seule entité ou acteur devrait endosser la responsabilité de la gouvernance d’une collectivité donnée. Pour des raisons de légitimé à la base, il est de préférence que cet acteur soit élu au suffrage direct
Cette approche permettra l’économie du double déploiement parallèle de l’État au niveau local tout en optimisant les bienfaits de la décentralisation et de la déconcentration. Tout cela va nécessiter, outre la réforme du découpage administratif du territoire, la réforme de la gouvernance territoriale, le réaménagement du dispositif administratif et institutionnel national, l’implication de tous les acteurs concernés dans la planification et la mise en œuvre, la sensibilisation des populations locales sur la question, la mise en cohérence juridique de l’action, la réforme du mode de recrutement et de formation des agents publics, une préparation minutieuse.
Responsabiliser les acteurs locaux et notamment les populations
L’enjeu ici étant une meilleure prise en compte des spécificités régionales telles que les caractéristiques démographiques, la dotation en ressources, le milieu physique, la diversité culturelle et les priorités spécifiques de développement économique et social dans l’action publique. Cette forme de l’État permettrait d’engager plus efficacement l’action d’administration du territoire, d’améliorer la gouvernance locale, de rapprocher les gouvernants des gouvernés et de renforcer la confiance entre ces deux catégories d’acteur. Elle se veut inclusive en intégrant les populations à la base dans la prise de décisions et dans leur mise en œuvre.
Elle faciliterait également le déploiement de la réponse humanitaire engagée par l’État. C’est un moyen de renforcement des capacités de mobilisation des ressources locales pour le financement des budgets en général mais aussi dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en particulier
Ainsi, les populations à tous les niveaux pourront se gouverner elles-mêmes et être les acteurs privilégiés de la gestion de leur mieux être. Cette approche favorise une meilleure appropriation des politiques publiques par les populations à la base et en garantit le succès de leur implémentation. La réflexion devant se poursuivre sur les pouvoirs accordés et responsabilités dévolues aux collectivités de niveau inférieur ainsi que sur les rapports entres elles, les régions et l’État central, la finalité est de faire du développement la « chose » de tous.
Sur le plan social, c’est une approche qui devrait permettre de circonscrire la fronde au niveau local (communal, provincial ou régional). L’État central ne devant plus nécessairement être pointé du doigt pour tout sujet à tension. Elle met les populations et les dirigeants qu’elles ont choisis au fait de leurs responsabilités à l’heure du bilan. C’est un moyen d’apaiser les conflits fonciers et de prévenir les revendications identitaires. Elle permet aussi une réponse plus rapide et plus adaptée aux crises et problèmes locaux.
C’est une approche qui favorise aussi une meilleure appropriation de la lutte contre la poussée terroriste par les collectivités et accroit leurs possibilités de prise en charge des besoins des forces de défense et de sécurité à leur niveau. Elle faciliterait également le déploiement de la réponse humanitaire engagée par l’État. C’est un moyen de renforcement des capacités de mobilisation des ressources locales pour le financement des budgets en général mais aussi dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en particulier.
Par conséquent, le modèle de financement des dépenses publiques devra être revu afin de permettre aux collectivités la mobilisation des ressources internes ou externes nécessaires à leur fonctionnement. Toutes les pistes, de la mobilisation des recettes fiscales, à la mise en valeurs d’unités économiques (marchés, loyers sur des boutiques, magasins, salles de cérémonies, espaces publics etc.), aux partenariats publics privés, à la mobilisation de sponsors privés locaux en passant par la levée de fonds auprès de bailleurs continentaux ou internationaux, leur seront explorables dans ce cadre. Et bien sûr, une part des recettes mobilisées par ces collectivités autonomes reviendra à l’État central pour le financement du budget national et une meilleure répartition des richesses des régions les plus nanties vers celles les moins nanties.
Crédit photo : Atlas Monde
Gouem Abdoul Chaafiou est consultant associé chez IMIHIGO Partners et Project associate chez Think Africa 2050. Il est titulaire d’un Master en Gouvernance et intégration régionale et d’un Executive MBA. Il opère dans le conseil en développement et stratégie d’entreprise et s’intéresse aux questions liées au développement du secteur privé, à l’entrepreneuriat des jeunes, à la gouvernance et au développement en Afrique. C’est un Alumni du programme YALI et est un « Future Africa Fellow ».