Gilles Olakounlé Yabi
Nous avons besoin des contributions de chacune et de chacun de vous pour faire vivre un espace, un réseau et un état d’esprit uniques au service de l’intérêt supérieur des générations africaines actuelles et futures. Ce que chacun de nous fait, et ce que chacun de nous ne fait pas, pendant les quelques décennies que durent nos vies, peut faire une grande différence à une échelle que nous n’imaginons pas. À condition de se libérer de la dictature du temps court et de la pression des résultats immédiats.
Nous avons créé WATHI et lancé son site internet il y a un an parce que nous n’en pouvons plus de voir, depuis au moins trois décennies, les pays d’Afrique de l’Ouest sombrer l’un après l’autre dans des crises politiques violentes, des conflits armés ou dans des crises économiques et sociales nourries par la démission ou la résignation des élites, la dévalorisation du travail et de l’intégrité, le recul de la solidarité et du sens de l’intérêt général.
Nous n’avons pas envie de continuer à faire de notre région, et de notre continent, le terrain de prédilection et d’avenir des opérations de maintien de la paix
Nous n’avons pas envie de continuer à faire de notre région, et de notre continent, le terrain de prédilection et d’avenir des opérations de maintien de la paix, de l’industrie internationale du développement et de la lutte contre la pauvreté, ou de celle, actuellement prospère, de la lutte contre le terrorisme, l’insécurité et les migrations clandestines.
La mission que nous nous sommes donnée est de créer un réseau transnational, chaque jour de plus en plus large, de femmes et d’hommes qui ne pensent pas seulement à eux et à leurs familles et qui sont conscients de la fragilité de chacune des nations ouest-africaines en construction et de l’absolue nécessité de penser l’avenir ensemble dans un espace régional ouvrant sur l’ensemble du continent.
Beaucoup d’interlocuteurs qui découvrent WATHI à travers son site internet nous demandent si nous comptons aussi mener des « activités concrètes ». Nous leur expliquons qu’il n’y a à notre avis rien de plus concret et de plus vital pour changer notre avenir que la création d’un espace de liberté pour la production et la circulation d’idées, de valeurs, de connaissances et de propositions pour réformer profondément nos systèmes et nos pratiques politiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux.
Il n’y a à notre avis rien de plus concret et de plus vital pour changer notre avenir que la création d’un espace de liberté pour la production et la circulation d’idées
Nous pensons que les sociétés qui fondent leurs actions collectives sur des idées, des valeurs et une interrogation constante sur leur passé, leur présent et leur avenir, ont plus de chances d’éviter des catastrophes que celles qui voguent au gré des modes, des objectifs, des modèles, des choix que leur indiquent d’autres qui pensent pour elles, à leur place.
L’ambition qui anime la centaine de femmes et d’hommes qui ont permis à WATHI d’exister depuis un an n’est pas seulement de produire des idées pour prémunir l’Afrique de l’Ouest et l’ensemble du continent de catastrophes futures. Nous sommes convaincus que ce qui est présenté comme étant notre « retard » en matière de développement économique nous offre la possibilité d’imaginer et de mettre en place des systèmes et des institutions qui correspondent au type de sociétés que nous souhaitons pour nos enfants et nos petits-enfants.
Plus que jamais, l’actualité des régions du monde économiquement « développées » ou « émergentes » montre que le progrès technologique et l’accumulation matérielle sans précédent ne suffisent pas à bâtir des sociétés humaines sereines, pacifiées, affranchies de la peur de l’autre et de celle du lendemain.
Ce qui est présenté comme étant notre « retard » en matière de développement économique nous offre la possibilité d’imaginer et de mettre en place des systèmes et des institutions qui correspondent au type de sociétés que nous souhaitons pour nos enfants
Nous ne sommes pas mécontents d’entendre ici et là que l’Afrique est le continent d’avenir pour l’économie mondiale et ses plus puissants et bienheureux bénéficiaires. Mais notre ambition n’est pas seulement de voir des sociétés africaines obsédées elles aussi par la consommation effrénée de biens et de services. Elle est de contribuer à forger des communautés africaines aussi économiquement productives que solidaires, tolérantes, créatives, dignes et cultivées.
L’objectif de WATHI est de refocaliser notre attention sur les enjeux les plus vitaux pour notre présent et notre avenir. Cette initiative n’a de sens que si elle s’inscrit dans la durée et si elle tire sa légitimité de la participation de citoyens de toutes les catégories sociales à la production et à la diffusion des idées. Elle ne prendra tout sens que si cette participation citoyenne africaine se reflète également dans le financement de cette initiative.
Nous nous sommes lancés dans cette aventure sans nous soucier au premier chef de la question de son financement. Nous avons eu la conviction que nous devions le faire, même s’il fallait commencer avec les moyens d’une association de quartier d’un pays pauvre. Nous avons eu le sentiment que c’était notre responsabilité et peut-être même la principale mission de notre génération que de réhabiliter sur notre continent la valeur du travail, le désir de connaissance et le souci de l’intérêt général.
Réhabiliter sur notre continent la valeur du travail, le désir de connaissance et le souci de l’intérêt général
C’est dans la tête des jeunes filles et des jeunes hommes d’aujourd’hui, dans celle des millions d’enfants déjà nés et de ceux qui naissent tous les jours dans nos villes et campagnes que prend forme l’Afrique de l’Ouest de demain. C’est ce que nous aurons mis dans leurs têtes comme vision de ce qui est important dans la vie, comme valeurs capitales, comme envie de vivre ensemble, qui fera la différence entre la paix et la guerre. Entre la cohésion de nos sociétés et leur désintégration. Entre l’amélioration du bien-être collectif et la généralisation de la souffrance. N’ayez pas honte d’être idéalistes. Il y a pire comme défaut. Soutenez WATHI.
Photo: Erick-Christian Ahounou pour WATHI
Economiste et analyste politique, consultant indépendant, Gilles Olakounlé Yabi est à l’origine de WATHI (www.wathi.org), laboratoire d’idées citoyen de l’Afrique de l’Ouest. Il a été journaliste et directeur pour l’Afrique de l’Ouest de l’organisation non gouvernementale International Crisis Group.