Gilles Olakounlé Yabi
« Le Bénin, qui a inauguré les conférences nationales africaines en 1990, me semble offrir aujourd’hui l’exemple le plus abouti des trajectoires de démocratisation corrompue et improductive. Comme beaucoup d’autres pays du continent, il est enfermé et s’enferme davantage, au rythme des kermesses électorales, dans le piège sans fin de la démocratie non réfléchie… Au lendemain de l’élection présidentielle du 6 mars (2016), il faudra immédiatement hospitaliser le patient pour un traitement long et puissant. Quel que soit le nom de celle ou de celui qui succédera au président Yayi Boni. ».
C’est par cette phrase que se terminait ma dernière tribune sur la situation politique au Bénin, publiée en mars 2016. Trois ans plus tard, il est difficile de savoir exactement où en est le Bénin et surtout où il va, depuis qu’il est gouverné par le président Patrice Talon. Mais il n’y a pas de doute qu’il n’est pas encore sorti du piège de la démocratie corrompue et improductive, malgré un train de réformes impressionnant.
Le président Talon a réussi un exploit : échouer dans une tentative de révision constitutionnelle substantielle, dès la première étape de validation à l’Assemblée nationale, et réussir à faire adopter des réformes du code électoral et de la charte des partis politiques qui bouleversent aussi profondément qu’un changement constitutionnel la structuration du champ politique du pays.
Un diagnostic juste, des objectifs de rationalisation et d’assainissement du champ politique qui font du sens, mais un travail expéditif de préparation de lois
Le diagnostic préoccupant de l’état de la démocratie béninoise, clairement présenté dans le programme du candidat Patrice Talon en 2016, était difficilement contestable: trop de partis politiques microscopiques, trop de marchandages politiciens, trop de corruption politique, aucune idéologie repérable.
Un diagnostic juste, des objectifs de rationalisation et d’assainissement du champ politique qui font du sens, mais un travail expéditif de préparation de lois traduisant la seule vision du président et de ses proches conseillers, dont son ex-avocat devenu président de la Cour constitutionnelle. Les députés de l’Assemblée nationale ont suivi la cadence voulue par l’exécutif sans s’interroger sur les implications des nouvelles lois pour les élections législatives prévues sept mois après le changement du code électoral.
Les réformes fixent notamment à 10% le seuil minimal de voix à obtenir au niveau national par un parti pour obtenir des sièges à l’Assemblée nationale et renforcent considérablement la régulation des partis politiques. Elles confient au ministère de l’Intérieur, donc au gouvernement, un rôle décisif dans le processus d’autorisation des partis politiques à participer aux élections, à travers la délivrance obligatoire d’un « certificat de conformité » à la nouvelle charte des partis.
C’est donc par la bonne volonté du pouvoir que ses opposants seront vraisemblablement autorisés à présenter des listes aux législatives initialement prévues le 28 avril
C’est l’incapacité des partis de l’opposition à se faire délivrer le certificat de conformité et l’invalidation de leurs dossiers de candidature aux élections législatives par la Commission électorale nationale autonome (CENA) qui sont à l’origine d’une crise politique inédite à quelques semaines du scrutin parlementaire. Seuls les deux partis soutenant le président ont passé l’examen de passage, malgré « des fautes mineures » relevées dans leurs dossiers selon le président de la CENA.
Le président Talon, se disant « mal à l’aise » à la suite de l’invalidation des candidatures des partis d’opposition aux législatives, a demandé à l’Assemblée nationale de proposer des solutions de sortie de crise qui passeront probablement par des lois dérogatoires… C’est donc par la bonne volonté du pouvoir que ses opposants seront vraisemblablement autorisés à présenter des listes aux législatives initialement prévues le 28 avril.
Quand on gratte le vernis du « modèle démocratique » béninois, on ne peut que faire le constat d’un affaiblissement des institutions directement lié à la raréfaction des qualités d’intégrité personnelle
La crise politique actuelle est le révélateur, parmi d’autres, d’une déliquescence des institutions publiques béninoises qui n’ont cessé de perdre en crédibilité au fil des années d’expérience démocratique. L’élection du président Talon, homme d’affaires réputé le plus fortuné du pays et grand bailleur de fonds dans un passé récent de nombreux acteurs politiques de tous bords, a été l’épilogue de pratiques politiques corrompues qui n’ont rien à voir avec la poursuite de l’intérêt général.
S’il est légitime et prudent de s’interroger sur les véritables intentions du président actuel, dont personne ne doute des aptitudes personnelles qui lui ont permis de devenir un chef d’entreprise prospère et redoutable, puis de se muer en un laps de temps en acteur politique victorieux, il est aussi essentiel de pointer la responsabilité collective de la classe politique béninoise.
Les principaux animateurs de la politique béninoise depuis les années 90, de l’ancien président Nicéphore Soglo à Boni Yayi, prédécesseur de Patrice Talon, en passant par Adrien Houngbédji, actuel président de l’Assemblée nationale, ont largement participé à l’ancrage d’une démocratie corrompue et improductive.
Une solution de sortie à la crise actuelle sera trouvée, grâce à la tradition appréciable du dialogue politique et de la non violence dans des situations de blocage majeur. C’est déjà çà et il faut s’en réjouir. Les élections législatives seront sans doute reportées mais elles auront lieu et donneront probablement une majorité plus ou moins confortable au camp présidentiel. Avec un champ politique forcé à une recomposition en quelques mois par les réformes, les partis qui bénéficieront du soutien politique et surtout financier du président n’auront pas beaucoup de mal à s’imposer.
Mais qu’est-ce qu’un nouveau parlement même bien élu changera aux pratiques politiques béninoises ? Quand on gratte le vernis du « modèle démocratique » béninois, on ne peut que faire le constat d’un affaiblissement des institutions directement lié à la raréfaction des qualités d’intégrité personnelle au sein du cercle des hommes (il y a bien peu de femmes) qui occupent ou ont occupé les plus hautes fonctions publiques, électives ou non.
Il n’y a pas que dans le monde économique et dans celui des technologies que les pays africains ont besoin de créativité, d’innovation et de sang neuf
Au Bénin comme ailleurs en Afrique et au-delà, la désillusion démocratique tient beaucoup à une perception d’effondrement de l’éthique dans la pratique politique, voire d’une crise morale profonde dans laquelle les élites politiques entraînent l’ensemble de la société. Les soupçons de corruption n’épargnent quasiment aucune institution, qu’il s’agisse de la commission électorale ou de l’Assemblée nationale dont les honorables députés sont régulièrement soupçonnés de marchander leurs votes et l’intensité de leur travail parlementaire.
Il n’y a aucune recette miracle pour donner de la substance à la démocratie et à la consolidation des institutions publiques en l’absence d’acteurs animés du sens de l’intérêt général capables de résister – au moins un peu – aux compromissions. Une première étape serait déjà de reconnaître la nature et la gravité du mal. Une deuxième pourrait être l’organisation d’une nouvelle version de la conférence nationale qui permettrait de faire entendre de nouvelles voix au sein de la société civile engagée et des acteurs économiques émergents qui font bouger le pays malgré tout.
Il n’y a pas que dans le monde économique et dans celui des technologies que les pays africains ont besoin de créativité, d’innovation et de sang neuf. Il faut se saisir de la crise actuelle comme d’une opportunité pour lancer un chantier de rénovation politique ambitieux.
Pendant que des centaines de milliers de Béninois dans le pays et à l’étranger passent des heures dans des débats politico-juridiques sans grand intérêt sur les réseaux sociaux, pendant que les acteurs politiques sont absorbés par la gestion de cette crise, personne ou presque ne discute sérieusement, par exemple, de la dégradation sécuritaire chez le voisin du Burkina Faso, où des attaques de groupes armés ont eu lieu près de la frontière béninoise.
Lorsque je parle de démocratie improductive, c’est de cela qu’il s’agit : d’une démocratie où on consacre l’essentiel du temps, de l’énergie, de l’argent et de l’intelligence collective des citoyens à des jeux et à des débats politiciens, loin des enjeux vitaux pour le présent et l’avenir, même immédiat.
Source photo : financialafrik.com
Economiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le président du Comité directeur de WATHI, le laboratoire d’idées citoyen de l’Afrique de l’Ouest. Il a été journaliste et directeur pour l’Afrique de l’Ouest de l’organisation non gouvernementale International Crisis Group. Les opinions exprimées sont personnelles.
5 Commentaires. En écrire un nouveau
je partage votre analyse très pertinente sur la situation socio-politique du Bénin.Les acquis de la conférence des forces vives de la nation sont en train de s’écrouler suite à la raréfaction des personnes intègres pour nos institutions.Et c’est là,du moins je ce que je pense,la faiblesse sur le mécanisme devant conduire aux choix de ces personnes notamment la cour constitutionnelle et la CENA.
Texte sans doute bien écrit.Mais je ne vois pas la pertinence ni l’objectif visé par cette analyse. Il faut situer les responsabilités de façon claire et précise et non tourner autour du pot pour finalement ne rien dire ou dire ce que tout le monde savait déjà. Pour ce qui concerne une éventuelle nouvelle assise nationales,il me plait aujourd’hui de vous donner mon avis. Le Bénin a été le seul pays à organiser avec succès Des pays comme le zaïre ont fait trois ans sans pouvoir réussir. Les résolutions de cette conférence n’ont jamais,je dis bien jamais été mises en pratique. Il faut questionner les archives. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans une pagaille qui ne dit son nom où chaque dirigeant que nous choisissons oublie ou ignore qu’il y a eu une conférence nationales dans ce pays et s’efforce d’élaborer ses propres réformes qu’il veut parfois faire passer de force.Chers compatriotes, faites un petit tour dans ce passé pas trop lointain pour constater que nous n’avons rien fait des résolutions et recommandations de la conférence nationales qui du reste a été souveraine.Une AUTRE conférence nationales revient à dire que nous voulons faire comme les autres pays qui ont tenté vêt qui n’ont pas réussi. Je vous prierais de laisser nos intérêts égoïstes de côté, de penser à l’intérêt général et de savoir qu’on n’a jamais enterré quel qu’un avec sa fortune.
Le modèle de démocratisation Africain en mutation est à double sens,
taroder par le besoin de paraître à l’Occidentale et donc de s’affirmer vers l’extérieur (le monde médias publicité politique…)
et d’être en réalité le garant de ces vraies valeurs fondamentales indélébiles et indéracinables. Une sorte de déchirure invisible, de jeu imposé dont les règles ne cessent de changer au détriment des participants et peut être à leur désavantage. Peut-être faut-il repenser la manière de se prévaloir de s’affirmer sans forcément briller cultiver son égo à la façon occidentale et faire la résilience de ce qui est vain perte de temps en la matière certains aspects des choses sociales ne peuvent être changer d’autres sont à mieux maîtriser même si le politique semble virer à la théâtralisation (faisant référence aux écrans et au monde de l’information informatisée) calquer ces comportements et attitudes ce qui créent un malaise social et aboutissent à un manque de confiance des populations.
Merci pour cet article et pour cette analyse o combien pertinente.
Analyse bien pertinente.
J’aimerais que les jeunes béninois, mes frères et sœurs lisent l’article et prennent conscience que nous devons construire un Bénin plus juste pour nos enfants et jeunes frères et sœurs.