Le Bénin est un pays d’Afrique de l’Ouest de dimension modeste, mais à l’histoire extrêmement prestigieuse. Jusqu’en 1894, date de la conquête du royaume du Danxomè par les Français, les divers peuples qui constituent le Bénin actuel ont vécu dans une relative harmonie et ont su, tant bien que mal, résister à la colonisation sous toutes ses formes. Le Bénin appartient également au continuum culturel dont l’inventivité religieuse a donné naissance à la religion des Orisha et des Vodun, que l’on retrouve aujourd’hui en Haïti, à Cuba, au Brésil et dans d’autres pays des Amériques et des Caraïbes. Il est en outre, avec le Nigéria, la source de l’immense littérature d’Ifa, aujourd’hui reconnue comme une sagesse universelle et inscrite par l’UNESCO sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité.
Mais surtout, depuis presque trente ans, la République du Bénin a su organiser une vie politique démocratique, avec des votes réguliers et des alternances sans violence. La constitution garantit le multipartisme et la liberté d’expression. Les partis d’opposition ont été respectés et ils ont toujours pu se présenter librement aux élections, offrant ainsi aux citoyens béninois de véritables alternatives politiques. Les présidents Nicéphore Soglo (1991-1996), Mathieu Kérékou (1996-2006) puis Boni Yayi (2006-2016) ont respecté ces principes : les élections législatives et présidentielles ont été régulièrement organisées sans entrave. C’est ainsi que Patrice Talon a été élu en 2016, alors que son prédécesseur soutenait un autre candidat.
Depuis presque trente ans, la République du Bénin a su organiser une vie politique démocratique, avec des votes réguliers et des alternances sans violence
Or, aujourd’hui, ce modèle démocratique est en grand danger. En effet, après une modification du code électoral le 3 septembre 2018, la cour constitutionnelle a inscrit tardivement sur la liste des pièces à fournir, un certificat de conformité à solliciter auprès du Ministère de l’Intérieur. Au bout du compte, la commission électorale nationale autonome n’a validé en mars 2019 que deux dossiers, dont les insuffisances lui ont paru « mineures ». Les listes ainsi retenues (le Bloc républicain et l’Union progressiste) en vue des élections législatives soutiennent toutes deux le président Talon.
Les listes d’opposition n’ont donc pu se présenter aux élections du 28 avril.
Le résultat est désastreux pour la démocratie : seulement 27% d’électeurs selon les chiffres officiels, 10% ou même moins selon d’autres estimations, se sont déplacés pour voter ce jour-là. Jamais la participation n’a été aussi faible en trente ans de vie démocratique.
Nous demandons au Président Talon de convoquer de nouvelles élections législatives sur des bases nouvelles qui garantissent, au lieu de l’exclure a priori, la participation effective de l’opposition à une compétition nationale ouverte et transparente
La journée de vote a été particulièrement agitée et marquée, par endroits, par une violence meurtrière. Pire encore, trois jours plus tard, suite à ce qui a été pris, à tort ou à raison, pour une tentative d’arrestation, des manifestations de protestation et de soutien à l’ancien président de la république, Boni Yayi, ont fait plusieurs morts et des blessés graves, victimes de tirs à balles réelles de l’armée dans le quartier Cadjèhoun de Cotonou, la capitale économique du pays.
Il faut réagir avant que le pire ne se produise. Au nom de la communauté scientifique internationale et de la communauté internationale des hommes et des femmes de culture, soucieux de ne pas laisser s’embraser un pays que nous aimons et qui nous a tant donné dans le passé lointain et récent, nous en appelons respectueusement au président démocratiquement élu, Patrice Talon, pour qu’il invalide courageusement les résultats de ces élections si fortement contestées.
Nous demandons au Président Talon de convoquer de nouvelles élections législatives sur des bases nouvelles qui garantissent, au lieu de l’exclure a priori, la participation effective de l’opposition à une compétition nationale ouverte et transparente.
Ont Signé
Francis AFFERGAN, Professeur émérite d’anthropologie, Université Paris Descartes (Faculté SHS Sorbonne), France
Maurice AHANHANZO GLELE, Professeur de droit, Ancien membre de la Cour Constitutionnelle du Bénin (1993-2003), Bénin
Eugénie R. AW-NDIAYE, Professeure de sciences et techniques de l’information, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal
Suzanne Preston BLIER, « Allen Whitehill Clowes » Professeure d’histoire de l’art et d’études africaines et afro-américaines, Harvard University, Cambridge, Mass., USA
Vicentia BOCO, Professeure de médecine, Université d’Abomey-Calavi, Ancienne ministre de l’enseignement supérieur, Bénin
Pieter BOELE VAN HENSBROEK, Directeur du département des Études globales, Université de Groningue, Pays-Bas
Tanella BONI, Philosophe, Écrivaine
Jean-Paul COLLEYN, Anthropologue, Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, France
Catherine COQUERY VIDROVITCH, Professeure émérite d’Histoire africaine, Université Paris Diderot, France
Saskia COUSIN-KOUTON, Anthropologue, Maitresse de conférences, Université Paris Descartes (Faculté SHS Sorbonne), France
Paulo Fernando DE MORAES FARIAS, Professeur honoraire, Université de Birmingham, Royaume-Uni
Pathé DIAGNE, Professeur de linguistique, Éditeur, Dakar, Sénégal
Suleyman Bachir DIAGNE, Professeur de philosophie, Directeur de l’Institut d’études africaines, Columbia University, New York, USA
Boubacar Boris DIOP, Écrivain, Sénégal
Erwan DIANTEILL, Professeur d’anthropologie, Université Paris Descartes (Faculté SHS Sorbonne), Vice-Président du Comité Intergouvernemental MOST de l’UNESCO, France
Robert S. M. DOSSOU, Avocat au barreau du Bénin, Ancien président de la Cour constitutionnelle du Bénin
Jean-Pierre DOZON, Anthropologue, Directeur d’études émérite, Institut de recherche pour le développement, Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, Paris, France
Zakari DRAMANI-ISSIFOU, Historien, écrivain, correspondant de l’UNESCO pour la révision de l’Histoire générale de l’Afrique
Henry John DREWAL, « Evjue-Bascom » Professeur, University of Wisconsin-Madison, USA
Franziska DUEBGEN, Professeur de philosophie, Université Westfälische Wilhelms, Münster, Allemagne
Aziz Salmone FALL, Politologue, Sénégal
Makhily GASSAMA, Professeur de lettres, Ancien ministre de la culture du Sénégal
Henry-Louis GATES Jr., Professeur, Harvard University, Cambridge, Mass., USA
Paulin J. HOUNTONDJI, Professeur émérite de philosophie aux Universités nationales du Bénin
Bogumil JEWSIEWICKI, Professeur émerite, Université Laval, Québec, Canada
Lazare KI-ZERBO, Professeur de philosophie, chercheur indépendant
Yacouba KONATE, Professeur de philosophie, Université Houphouet-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire
D.A. MASOLO, Professeur de philosophie, Université de Louisville, Kentucky, USA
G. Pierre MÊTINHOUÉ, maître de conférences, Université d’Abomey-Calavi, Bénin
Landry-Wilfrid MIAMPIKA, Professeur, Université d’Alcala, Madrid, Espagne
Seyni MOUMOUNI, Professeur, Université Abdou Moumouni, Niamey, Niger
Issa N’DIAYE, Professeur de philosophie à l’université de Bamako, Ancien ministre, Mali
Aloyse-Raymond NDIAYE, Professeur de philosophie, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal
Mamadou NDOYE, Ancien ministre de l’Alphabétisation, Sénégal
Joël NORET, Professeur d’anthropologie, Université libre de Bruxelles, Belgique
Jacob OLUPONA, Professeur d’études religieuses africaines, Harvard University, Cambridge, Mass., USA
Mogobe RAMOSE, Professeur de philosophie, University of South Africa, Prétoria, Afrique du Sud
João José REIS, Professeur émérite d’histoire, Universidade Federal da Bahia, Brésil
Adama SAMASSÉKOU, Ancien Ministre de l’Education, Bamako, Mali, Président de la Conférence mondiale des humanités
João Jorge SANTOS RODRIGUES, Président de l’association culturelle OLODUM, Salvador de Bahia, Brésil
Luca M. SCARANTINO, Président de la Fédération Internationale des Sociétés de Philosophie, Président du 25ème Congrès mondial de philosophie (Melbourne, 2023)
René SEGBENOU, Sociologue du développement, Cotonou
Issa SHIVJI, Ancien professeur de Droit et Professeur d’études pan-africaines, Université de Dar es Salaam, Tanzanie
Fatou SOW, Sociologue, CNRS (Université Paris Diderot) et Dakar, Sénégal
Wole SOYINKA, Professeur émérite, Obafemi Awolowo University, Ile-Ife, Nigeria, Prix Nobel de littérature
Gilles YABI, Économiste et analyste politique, Président du comité directeur de West Africa Citizen Think Tank (WATHI)
Olabiyi J. YAÏ, Professeur de Yoruba et d’études africaines, University of Florida, Gainsville (USA), ancien Délégué Permanent du Bénin près l’UNESCO, ancien Président du Conseil Exécutif de l’UNESCO
Jeanne ZOUNDJIHEKPON, Professeure de génétique, Universités Nationales du Bénin