Aboubakar Alfa Bah
La crise multidimensionnelle et complexe que traverse le Burkina Faso a entraîné une vague sans précédent de déplacement des populations les plus affectées vers les zones relativement stables à la recherche de plus de sécurité. Selon le Haut-commissariat des réfugiés, le conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation a enregistré en mars 2023, plus de deux millions de personnes, soit 2 062 534 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, comprenant 974 484 d’hommes et 1 088 050 de femmes. La prise en charge incluant l’assistance et la protection des personnes déplacées internes est un véritable défi pour ce pays du Sahel.
Des causes profondes et multiformes
Le sahel est une vaste terre avec plus de 300 millions d’habitants. Une région qui malheureusement vit les moments douloureux de son histoire à cause de l’insécurité croissante. Étant logé au cœur du Sahel, le Burkina Faso comme le Niger et le Mali, vit une situation sécuritaire difficile depuis plusieurs années qui a causé la mort de milliers de Burkinabè.
Selon l’indice global du terrorisme, « le pays des hommes intègres » est classé comme le pays le plus touché par le terrorisme en 2023. Depuis la chute de l’ex-président, Blaise Compaoré, le pays a plongé dans une instabilité chronique ainsi qu’une crise sécuritaire avec une multitude d’attaques jihadistes, notamment dans la région Est du pays. Le pays fait face à une intensification des attaques menées par des groupes armés Ansarul Al Islam, le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans etc…
Ces groupes mènent des attaques répétées sur les populations civiles, les infrastructures de base, comme les centres de santé, les écoles, les points d’eau, contraignant les populations à l’exil forcé et affectant ainsi, les 13 régions du pays. En raison de cette situation, le Burkina Faso enregistre des déplacements énormes dans le pays, car les déplacés cherchent refuge, protection et assistance dans les zones qu’ils estiment plus sûres ou dans d’autres régions moins affectées, comme les Hauts Bassins et le Plateau-Central.
Dans les régions du Sahel, du Centre-Nord, de l’Est, et du Nord par exemple, la proportion élevée de Personnes déplacées internes (PDI) est principalement due à l’escalade de l’insécurité et aux actes de violence visant les populations civiles.
Depuis la chute de l’ex-président, Blaise Compaoré, le pays a plongé dans une instabilité chronique ainsi qu’une crise sécuritaire avec une multitude d’attaques jihadistes, notamment dans la région Est du pays
Cependant, le Burkina Faso n’est pas que impacté par sa situation sécuritaire, mais le pays subit de manière récurrente les conséquences pesantes du réchauffement climatique. Combiné à la crise sécuritaire, le changement climatique exacerbe les déplacements internes des personnes, car en plus des terres déjà fragilisées, l’expansion des groupes armés ne se fait pas attendre sur le territoire national.
En 2020, les inondations ont affecté l’ensemble des 13 régions, ayant causé la mort de 41 personnes, fait 112 blessés et laissé 12 378 ménages sans abri. Cette situation entraîne des conséquences drastiques sur les populations déjà éprouvées. L’augmentation des températures qui modifie les régimes de précipitation et accroît les risques d’inondations, en plus de la désertification, les inondations, et la déforestation, tous sont des facteurs qui impactent durablement l’agriculture et engendrent une compétition unique par rapport aux ressources naturelles. Le changement climatique est également un facteur d’aggravation des conflits, notamment ceux communautaires.
La résurgence des tensions entre les communautés pastorales et les agriculteurs est une réalité bien ancrée au sein des communautés. En plus des impacts climatiques, la compétition pour le contrôle des ressources est relancée, car au-delà de quitter leurs territoires et de se sentir plus en sécurité, les différentes communautés se positionnent soit pour les pâturages, soit pour les terres arables.
C’est ainsi que les éleveurs se déplacent vers les terres agricoles et vice versa, les agriculteurs utilisent davantage les couloirs empruntés traditionnellement par les éleveurs. Ce qui entraîne des tensions entre éleveurs et agriculteurs. La région du Nord du Burkina Faso en est un parfait exemple. Ce qui crée des situations troubles, entravant la quiétude des personnes déplacées.
En ce sens, les situations d’insécurité grandissant et de crise climatique concourent à la multiplication des déplacements au quotidien et accentuent la crise humanitaire. Les déplacements entraînent d’autres conséquences ne permettant pas aux personnes déplacées internes de jouir pleinement de leurs droits.
Les Personnes déplacées internes (PDI) font face à des nouvelles difficultés, dont l’accès aux biens de première nécessité, comme la nourriture, l’eau, un abri, des vêtements et des services de santé. Ces personnes ont abandonné leur domicile et leurs moyens de subsistance, se retrouvant alors avec peu ou pas de revenus pour se procurer ces biens de première nécessité.
Selon la convention de Kampala, l’expression « déplacement interne » désigne « le mouvement, l’évacuation ou la réinstallation involontaires ou forcés des personnes ou groupes de personnes à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’un État ». Les Personnes déplacées internes (PDI) se retrouvent dans des nouvelles villes/ zones du pays au sein des communautés d’accueil. Elles bénéficient certes d’une première prise en charge, mais cela reste difficile au vu de la fréquence rapide de déplacements qui conduisent à une pression accrue sur les centres d’accueil et les populations hôtes qui eux également sont au bout du gouffre. Par exemple, la population de la capitale provinciale, Djibo, a augmenté de 600 % pour atteindre plus de 300 000 habitants.
La résurgence des tensions entre les communautés pastorales et les agriculteurs est une réalité bien ancrée au sein des communautés. En plus des impacts climatiques, la compétition pour le contrôle des ressources est relancée, car au-delà de quitter leurs territoires et de se sentir plus en sécurité, les différentes communautés se positionnent soit pour les pâturages, soit pour les terres arables
Des défis de gestion de déplacés internes persistent
L’État n’est pas l’unique acteur qui intervient dans le cadre de la prise en charge des déplacées internes, on compte également, une multitude d’acteurs dont les associations et les organisations humanitaires. Cependant, il existe un réel problème dans cette assistance, car les acteurs humanitaires eux-mêmes ont du mal à accéder à certaines localités affectées du fait de l’insécurité. En plus de ce défi, il y a celui de la coordination des actions sur le terrain, afin d’accorder une assistance nécessaire aux personnes déplacées internes.
En réalité, la méthodologie d’assistance reste à définir, et la difficulté de coordination liées à un manque de communication mais également à un manque de participation des acteurs de la réponse aux réunions de coordination pour informer de leurs capacités entres autres. La coordination des actions et des initiatives portées par les acteurs humanitaires reste inéluctable pour le succès des réponses apportées aux personnes déplacées internes.
À partir de cette observation, il est important que les différents acteurs puissent coordonner les différentes actions, afin de mesurer tous ensemble l’impact potentiel tout en définissant les modalités d’accompagnement et dans une moindre mesure les niveaux d’implications de chaque acteur tant national qu’international.
L’État n’est pas l’unique acteur qui intervient dans le cadre de la prise en charge des déplacées internes, on compte également, une multitude d’acteurs dont les associations et les organisations humanitaires. Cependant, il existe un réel problème dans cette assistance, car les acteurs humanitaires eux-mêmes ont du mal à accéder à certaines localités affectées du fait de l’insécurité
Par ailleurs, le problème de la cohabitation pacifique entre personnes déplacées et les communautés hôtes est une réalité. La méfiance caractérise les communautés envers les personnes déplacées internes, car les déplacés internes viennent d’autres territoires, en plus des différences culturelles, ethniques et dans une crise sécuritaire où les coupables de violence sont difficilement identifiables, les communautés hôtes/d’accueil cultivent la prudence.
Malgré une telle situation, les populations d’accueil assistent quand même les personnes déplacées, mais les vagues de déplacement forcés entraînent aussi une surcharge au niveau des communautés d’accueil. Les zones d’accueil sont souvent vulnérables, avec des infrastructures assez limitées en termes de santé, d’éducation, et de moyens de subsistance.
De cette situation ressort une pression supplémentaire sur les services de base existants, ce qui entraîne des tensions sociales. En ce sens, en prenant le cas de la commune de Ouahigouya qui a largement subi une vague de déplacement dans ce contexte d’insécurité. On note que selon les recensements effectués par le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR) en octobre 2022, la population (résidente et PDI) de la commune de Ouahigouya est passée d’environ 200 000 personnes (dont 125 000 en milieu urbain) à environ 355 0003. Les localités comme Djibo, ou encore Barsalogho sont dans la même situation en raison de l’afflux des mouvements de déplacements des personnes.
Cette pression sur les services de base et les ressources disponibles a engendré de vives tensions autour des ressources essentielles comme l’eau. En réalité, les assaillants au cours des différentes attaques, ciblent des infrastructures et privent les populations de l’accès aux besoins fondamentaux. C’est le cas des infrastructures d’eau, dont les (Pompes à motricité humaine (PMH), le Poste d’eau autonome (PEA), l’Adduction d’eau potable simplifiée (AEPS) et réseau urbain) qui ont été sabotées au cours des 33 attaques entre janvier et octobre 2023, impactant l’accès à l’eau à 144 123 personnes.
En plus de l’afflux massif et continu des populations déplacées internes, les ressources deviennent encore plus rares d’où les tensions autour des ressources comme l’eau. Selon les travaux de recherche de l’enseignant-chercheur en Sociologie Yamba Siri dans la commune de Ouahigouya, malgré que, la commune accueille d’importants PDI, les performances du service public d’eau potable se situent largement en deçà des attentes des populations, tant les besoins sont énormes au regard des capacités de l’infrastructure et du service rendu.
Par ailleurs, le problème de la cohabitation pacifique entre personnes déplacées et les communautés hôtes est une réalité. La méfiance caractérise les communautés envers les personnes déplacées internes, car les déplacés internes viennent d’autres territoires, en plus des différences culturelles, ethniques et dans une crise sécuritaire où les coupables de violence sont difficilement identifiables, les communautés hôtes/d’accueil cultivent la prudence
La diversification des usagers d’eau, et la double utilisation tant professionnelle que domestique entraîne une compétition avertie des ressources d’eau et un conflit naissant entre les usagers. Considérant ces faits, cet article plaide pour une protection juridique non seulement des PDI, mais également des communautés d’accueil. Ces dernières subissent les effets déstabilisateurs de la multiplication des personnes déplacées internes, et qui malgré cette situation pénible demeure « le premier assistant », car elles fournissent les aides de première nécessité garantissant la survie des personnes déplacées. En plus de leur protection, la mise en place d’activités communes et pratiques comme le sport pourrait raffermir les liens entre les communautés d’accueil et les personnes déplacées internes.
Avec plus de 2 millions de personnes déplacées internes en 2023, le Burkina Faso est devenu le pays ayant subi le plus rapide déplacement interne des populations. De cette situation, il est crucial de soulever l’ampleur et l’impact de cette crise sur les populations déplacées, car force est de constater que même après avoir échappé aux violences, à l’insécurité et au drame, ces personnes déplacées internes font l’objet d’attaques graves perpétrées par des groupes armés en toute violation du Droit international humanitaire aggravant ainsi la situation humanitaire.
Crédit photo: lematin.ma
Aboubakar Alfa Bah est assistant de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions liées aux inégalités sociales, à la politique et à la sécurité en Afrique de l’Ouest et dans les pays du sud. Alfa est étudiant en Master de Science politique et relations internationales.
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Vraiment intéressant un sujet qui définit l’actualité de l’Afrique de l’ouest en général et des pays du sahara en particulier