Marie-Noël Maffon
En début d’année, le Sahel figurait parmi la liste des crises à surveiller en 2023 publiée par l’organisation International Crisis Group. Un peu plus de sept mois après, le temps s’est accéléré et nous observons la vitesse à laquelle les évènements s’enchaînent : polarisation des relations, un nouveau coup d’État, des sanctions, mais aussi et surtout l’exacerbation des vulnérabilités des populations. Des solutions, certaines plus urgentes que d’autres, incluant une réponse humanitaire appropriée, doivent être mises en œuvre pour éviter une déstabilisation complète non seulement du Sahel mais de toute l’Afrique de l’Ouest.
Dans le cadre des missions humanitaires que j’ai eu à conduire ces dernières années, j’ai rencontré les participantes et les participants des différents projets que nous avons menés afin de bâtir sur ce que les communautés font déjà elles-mêmes pour leur propre bien-être et leur autonomisation. J’ai ainsi pu mesurer ce que font ces communautés sous le leadership des autorités locales, des leaders communautaires et religieux, des associations de femmes et de jeunes pour vivre ensemble, ou par exemple, pour se servir de l’éducation et de la formation comme un levier de leur développement.
Cependant, les destinées de millions d’enfants, de filles et de femmes sont actuellement en train de se jouer sans que beaucoup n’en soient conscients, trop occupés à survivre au quotidien, et surtout sans qu’ils n’aient voix au chapitre. Ces filles et ces femmes auront à payer le prix, autant que les garçons et les hommes, des décisions de celles et ceux qui gouvernent leurs pays.
Rien n’est plus difficile que de devoir fuir son pays, sa région, son village, à la recherche d’un endroit paisible où construire sinon sa propre vie, du moins celle de ses enfants. Il n’est pas non plus aisé de voir des jeunes de moins de 17 ans n’avoir, déjà à cet âge, plus d’espoir en leur propre avenir et être de fait à la merci de toute voix – ou même voie d’ailleurs – qui leur donnera l’illusion d’un avenir pour lequel ils signeront, sans option de retour.
Comment devient-on un citoyen plein et actif qui apportera sa contribution à une nation quand on a commencé sa vie par les affres de la faim, ou à devoir faire face aux violences basées sur le genre, et ceci sans prise en charge particulière, sans parler de l’incapacité à obtenir une éducation qui contribue à développer son plein potentiel?
Bien sûr que cela est possible, et c’est toujours inspirant de voir des êtres humains revenir des abîmes dans lesquels le contexte et leurs circonstances de naissance et de vie les ont fait basculer et/ou maintenus pendant des années. Mais cela demande des efforts extraordinaires qui pourraient être mis au service du développement de notre région et de l’Afrique. Ne gagnerions-nous pas toutes et tous à conjuguer nos efforts pour construire notre région, notre continent tel que nous le souhaitons plutôt qu’à mettre une partie de ces efforts à nous relever de crises sans fin?
Aux problématiques multifactorielles et multidimensionnelles auxquelles font face le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, il n’y aura pas de solutions communes et idéales pour chacun et tous les pays, à cause de la diversité culturelle, des différentes perceptions de la vie, des ambitions des peuples, de capacités différentes à innover, à redéfinir et maintenir le vivre ensemble, etc. Néanmoins, nos affinités culturelles et/ou religieuses peuvent nous amener à privilégier le dialogue et agir dans l’intérêt des populations.
En tant que citoyenne ouest-africaine, j’ai eu le privilège de bénéficier des différents avantages associés à la libre circulation des biens et personnes. J’en ai profité pour visiter mais aussi apprendre, travailler et vivre dans certains des pays de la région. Mes expériences et notamment l’humanité et l’accueil que j’ai reçus, m’amènent à écrire ces quelques mots pour nous exhorter à mesurer les décisions qui sont et seront prises et à anticiper leurs impacts à court, moyen et long terme, sur les enfants, les filles et les femmes.
Un des aspects positifs de notre monde globalisé est de pouvoir accéder à une information substantielle, de pouvoir tirer les leçons de l’histoire ouest-africaine et de ne pas devoir réinventer la roue. Je nous incite donc à garder en mémoire l’image de nos populations déjà vulnérabilisées par des cycles de guerres, de famines, de déplacements internes, de migrations forcées, etc., et à inclure les jeunes et les femmes dans les prises de décisions et les actions des semaines et mois à venir.
Les terres et les ressources naturelles de nos pays et de notre région doivent être mieux redistribuées et servir principalement au bien-être des populations. Une bonne partie des problèmes auxquels nous faisons face est liée au fait que ces dernières n’arrivent pas à vivre et à prospérer. Que nos ressources humaines, matérielles et financières soient mises au service de programmes éducatifs, sanitaires, socio-économiques selon des critères et des visions nationales et/ou régionales. Qu’au-delà des programmes éducatifs, les jeunes reçoivent aussi des compétences de vie qui leurs permettent de faire des choix éclairés aussi bien individuellement que collectivement.
Il devient en outre primordial de dépasser nos antagonismes ethniques, de donner la primauté à et d’organiser une construction nationale qui, tout en conservant nos identités culturelles, nous donne les outils – et notamment l’état d’esprit – pour nous développer et évoluer avec notre temps.
Enfin, et au regard de la crise actuelle au Sahel, puisse chacun jouer sa partition. Nul ne mesure complètement la portée de ses paroles, mots et actions. Leurs impacts positifs ou négatifs sur ceux qui nous entourent et au-delà sont de nature à altérer des vies. Soyons donc le changement que nous souhaitons pour nos pays ou notre région et utilisons les leviers à notre niveau pour faire la différence!
Crédit photo : wakatsera.com
Marie-Noël Maffon a travaillé et vécu dans plusieurs pays africains dont les pays du Sahel central. Son expérience professionnelle l’a amenée à agir avec et pour des populations vulnérables. Les opinions exprimées dans cette tribune sont personnelles.