“… Je voudrais dire à mes frères présidents des autres pays que l’alternance est inévitable en Afrique et en Afrique de l’Ouest…”. Ces propos prononcés par M. Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire, le 10 septembre 2017 à Abidjan (http://bit.ly/2kSK433), semblent faire écho à l’un des évènements politiques majeurs de la fin de cette année 2017, en Afrique de l’Ouest. Il s’agit des manifestations des populations togolaises quasiment toutes les semaines depuis le 19 août 2017 et ceci dans plusieurs régions à travers le Togo, y compris des régions considérées depuis toujours comme des bastions du régime, pour réclamer l’alternance au sommet de l’Etat.
Les évènements au Togo rappellent les situations similaires, notamment en Gambie vers le début de 2017, et au Burkina Faso en octobre 2014, pour ne citer que ces exemples récents. Ils constituent l’indication d’un progrès en matière démocratique en Afrique de l’Ouest. En effet, tout se passe comme si les citoyens s’accordaient progressivement sur des valeurs indispensables pour le fonctionnement et la consolidation de la démocratie dans la région. Comme le montre le graphique ci-dessous, les citoyens en Afrique de l’Ouest semblent largement en faveur de la limitation des mandats et de l’alternance (et devraient donc se retrouver dans les propos du président Ouattara cités au début de ce papier).
Les élections récentes dans la région semblent indiquer que les citoyens font progressivement le lien entre leurs conditions de vie et les performances des gouvernants, et sont prêts à sanctionner quand c’est nécessaire
Selon les données du graphique ci-dessus, dans un pays comme le Togo, 85% des citoyens sont en faveur de la limitation des mandats présidentiels à 2, en Côte d’Ivoire ils sont 84% et en Guinée, 85%. Comment peut-on être surpris de la réaction des citoyens togolais qui depuis le 19 août 2017 descendent dans les rues plusieurs fois par semaines pour réclamer, entre autres, la limitation des mandats? Comment pourrait-on être surpris si demain, les Ivoiriens et les Guinéens (avec 84% et 85% respectivement) se mettaient dans les rues pour exprimer leurs désapprobations si les rumeurs qui courent actuellement, et selon lesquelles les présidents ivoirien et guinéen pourraient tenter de se maintenir au pouvoir, devraient se matérialiser?
Mieux, et sur la même lancée, les élections récentes dans la région semblent indiquer que les citoyens font progressivement le lien entre leurs conditions de vie et les performances des gouvernants, et sont prêts à sanctionner quand c’est nécessaire. Par exemple, entre 2015 et 2016, sur 10 élections présidentielles, 5 des sortants (candidats et/ou partis) ont perdu les élections qu’ils ont pourtant organisées eux-mêmes. Si en Gambie, au Ghana et au Nigéria les présidents sortant ont perdu les élections, au Cap-Vert c’est le parti au pouvoir qui s’est abstenu de présenter un candidat après son échec aux législatives quelques mois avant la présidentielle alors qu’au Bénin c’est le candidat soutenu activement par le président sortant qui a perdu. Une véritable révolution lorsqu’on sait qu’entre 1990 et 2014, la région n’a connu que 3 cas de présidents sortants qui ont perdu les élections.
La même CEDEAO, devant la crise actuelle au Togo, avec des populations qui marchent massivement et régulièrement depuis plus de 3 mois quasiment chaque semaine et qui l’interpellent expressément, semble impuissante, quasiment paralysée
Les progrès évoqués ci-dessus sur le front des élections et l’augmentation du nombre des alternances qui en découle dans la région constituent un témoignage indéniable de ce que les Organes de gestion des élections (OGE) gèrent de mieux en mieux les élections en Afrique de l’Ouest. Sur 6 au moins des 10 présidentielles de 2015 et 2016, le perdant a appelé le gagnant pour le féliciter, parfois avant la proclamation des résultats. Toutefois, ceci ne devrait pas cacher les défis majeurs qui demeurent, surtout en ce qui concerne le fonctionnement et les performances des institutions démocratiques en général, tant au niveau national que régional. Sur ce deuxième front, les progrès, qui ne sont pas très nombreux, semblent non seulement très fragiles mais également réversibles. La situation, au mieux, évolue en dents de scie.
Ainsi, dans la recherche de solution à la crise gambienne et afin de faire respecter la volonté exprimée par les Gambiens lors de la présidentielle de décembre 2016, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) était très engagée, au point de recourir à l’emploi de la force militaire. La même CEDEAO, devant la crise actuelle au Togo, avec des populations qui marchent massivement et régulièrement depuis plus de 3 mois quasiment chaque semaine et qui l’interpellent expressément, semble impuissante, quasiment paralysée. Même si les situations en Gambie en fin 2016 et début 2017 et au Togo en fin 2017 ne sont pas exactement les mêmes, la réaction de la CEDEAO semble pour le moins passer du jour à la nuit.
Ces dernières années, et pour diverses raisons, les réformes constitutionnelles sont soit bloquées (Bénin, Ghana, Libéria, Sierra Léone, Mali…), soit controversées et/ou instrumentalisées (Sénégal, Côte d’ivoire…). Comme si, dans la région, nous n’étions pas capables d’apprendre de la pratique de la démocratie pour l’améliorer
Au-delà de la CEDEAO, les difficultés rencontrées dans l’organisation des élections au Ghana en fin 2016 et au Sénégal en juillet 2017, malgré les progrès notés plus haut sur ce front, montrent bien que même dans les pays considérés comme modèles en matière électorale en Afrique de l’Ouest, des défis demeurent. Pire, il semble difficile pour les pays de la région d’initier des réformes institutionnelles – e.g. révision de la constitution – pour consolider les institutions démocratiques sur la base de leurs expériences. Ces dernières années, et pour diverses raisons, les réformes constitutionnelles sont soit bloquées (Bénin, Ghana, Libéria, Sierra Léone, Mali …), soit controversées et/ou instrumentalisées (Sénégal, Côte d’ivoire …). Comme si, dans la région, nous n’étions pas capables d’apprendre de la pratique de la démocratie pour l’améliorer.
En guise de conclusion, ainsi que nous le montrent les quelques éléments ci-dessus, les populations ouest-africaines entrent progressivement dans leur rôle de citoyens et il apparait nécessaire de poursuivre les initiatives d’éveil de leurs consciences. Ces éléments révèlent également que les progrès sur le front des institutions démocratiques, à la fois compléments et relais indispensables de la participation citoyenne pour un bon fonctionnement de la démocratie, sont non seulement faibles mais réversibles. Pour relever ces défis, la contribution de tous est nécessaire à commencer par celle de nos gouvernants dont nous attendons au minimum des positions très claires sur les valeurs cardinales de la démocratie et de la bonne gouvernance. Le président Ouattara l’a fait par rapport à l’alternance et pour nous, en paraphrasant Petit Denis, grand Zouglouman ivoirien devant l’Eternel, “Ce qui est dit est dit” (http://bit.ly/2BHZLSF).
*Cet article a été publié initialement sur le site d’OSIWA sur ce lien
Source photo : parismatch.com
Politologue béninois, Mathias Hounkpe est actuellement l’administrateur du programme de Gouvernance politique à OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).