Kiari Liman-Tinguiri et Zacharie Liman-Tinguiri
Le franc CFA, monnaie des anciennes colonies françaises d’Afrique, est lié par un taux de change fixe à l’euro, en vertu d’accords passés avec le Trésor français, après l’indépendance des Etats africains, garantissant la convertibilité de cette monnaie avec le franc français. Les turbulences que connait la zone euro soulèvent des inquiétudes sur l’avenir du franc CFA. De telles craintes sont d’autant plus fondées que certains économistes, dont l’américain Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie en 2001, suggèrent que la question n’est plus de savoir si mais quand l’euro sera démantelé. II faut ajouter à ces incertitudes les critiques sur le bilan du franc CFA, qui n’aurait pas favorisé suffisamment la croissance des Etats et la réduction de la pauvreté (40% de taux de pauvreté en zone CFA d’Afrique de l’Ouest), pour comprendre le rejet passionné par une partie de l’opinion publique africaine de cette monnaie.
Le débat sur le franc CFA se ramène à quelques questions simples : cet arrangement monétaire est-il toujours utile et efficace? Dans ce cas ne faudrait-il pas le réformer «de l’intérieur», pour l’adapter, si besoin est, aux changements de l’environnement économique mondial ? Cet héritage colonial est-il devenu obsolète? Dans ce cas il serait temps d’en envisager le remplacement par autre chose. La monnaie commune a-t-elle atteint ses limites et suffira-t-il de l’élargir aux autres pays de la région, ou de créer une monnaie régionale sur le même modèle ?
II faudrait donc que la BCEAO s’affranchisse du taux de change fixe avec l’euro, gère elle-même ses réserves de change et assouplisse sa politique monétaire.
Si tous les acteurs du débat sont d’accord que le statu quo n’est pas tenable, les positions restent très tranchées sur ce qu’il convient de faire. II y a d’un côté ceux qui, comme les universitaires français Sylviane Jeanneney et Patrick Guillaumont, considèrent qu’au niveau actuel de développement des pays africains, le franc CFA est un atout indépassable. II a assuré la stabilité monétaire et en termes de croissance et de réduction de la pauvreté, les performances n’étant pas pires que celles des autres pays africains, le franc CFA demeure la meilleure solution moyennant quelques réformes techniques.
De l’autre, un groupe d’analystes, avec à leur tête l’économiste togolais Kako Nubukpo, tiennent les pratiques de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) comme responsables de la faible croissance dans la zone, en raison notamment de sa politique monétaire très conservatrice. Elle infligerait aux Etats membres une «servitude monétaire volontaire» qui contrarie leur développement. II faudrait donc que la BCEAO s’affranchisse du taux de change fixe avec l’euro, gère elle-même ses réserves de change et assouplisse sa politique monétaire. C’est en quelque sorte l’option de la zone franc sans la France.
Les économies des pays de la zone ne sont pas suffisamment harmonisées pour qu’une seule politique monétaire puisse être efficace pour tous.
En réalité, ni les faits, ni la théorie économique, ne permettent de trancher, sans appel, entre les positions en présence. Le franc CFA n’a jamais rempli les critères qui feraient de son espace de circulation une zone monétaire optimale. Les économies des pays de la zone ne sont pas suffisamment harmonisées pour qu’une seule politique monétaire puisse être efficace pour tous. Les pays membres sont à des niveaux très différents les uns des autres en termes de revenus et les économies nationales sont exposées fréquemment à des chocs exogènes différents par leur nature et par leur ampleur.
La monnaie commune est ainsi un carcan qui prive chaque pays de la possibilité d’une réponse appropriée et proportionnée à son propre choc. L’entrée récente du Nigeria en récession «plombe» la conjoncture du Niger et du Bénin depuis 2016, mais n’affecte pas le Sénégal ni la Côte d’Ivoire. L’insertion des pays dans le commerce mondial basée partout sur l’exportation des produits primaires et la faiblesse des échanges commerciaux intra-zone rendent pratiquement sans intérêt le fait d’avoir une monnaie commune. Un élargissement à d’autres pays de la région ne changerait pas significativement cette situation.
La question de savoir s’il n’est pas préférable pour chacun des pays d’avoir sa propre politique monétaire se pose, car il est clair que le franc CFA a servi différemment les intérêts des différents pays membres. De plus, même si l’on ne peut pas imputer à la seule politique monétaire tous les malheurs des pays utilisant cette monnaie, il est évident que le niveau des taux d’intérêts très élevés dans la zone est un frein aux investissements et donc à la croissance. La faible bancarisation des agents économiques et la faiblesse quantitative et qualitative du secteur financier peuvent contribuer à l’explication des taux d’intérêts prohibitifs, mais ne sauraient servir de justification, puisque l’un des avantages attendus de la stabilité monétaire est précisément un financement conséquent de l’économie.
La question de savoir s’il n’est pas préférable pour chacun des pays d’avoir sa propre politique monétaire se pose, car il est clair que le franc CFA a servi différemment les intérêts des différents pays membres.
Les partisans d’une amélioration du fonctionnement de la zone franc placent beaucoup d’espoir dans un renforcement de l’indépendance des banques centrales. Outre le fait que l’on ne voit pas très bien pourquoi l’indépendance de la BCEAO produirait plus d’effet que celle de la Banque centrale européenne (BCE), qui peine encore à prendre adéquatement en compte les besoins de tous les Etats membres de la zone euro, c’est oublier qu’à l’exception du Sénégal, les pays membres de l’UEMOA sont tous des Etats fragiles avec des régimes politiques instables. Dans un tel contexte, l’indépendance de la BCEAO ne sera pas crédible. Or, sans crédibilité, aucune banque centrale ne peut mettre en œuvre une bonne politique monétaire. Celle-ci serait condamnée à répliquer les erreurs qui ont entrainé l’Argentine, l’Indonésie ou le Mexique dans de sérieuses crises financières et économiques.
Une autre approche serait de remplacer le CFA par une “dollarisation” de la région, ce qui favoriserait le développement du secteur financier, des taux d’intérêts plus raisonnables tout en conservant les avantages de la stabilité monétaire. Nous pensons en effet que, si l’on veut à la fois couper le cordon ombilical avec le trésor français, conserver les avantages de la convertibilité et éviter le risque inflationniste lié à la tentation d’un excès de financement monétaire, alors la “dollarisation” officielle est préférable au simple rapatriement de la gestion des réserves de change, avec ou sans élargissement de la zone. C’est, de plus, une option souverainement réversible, chaque pays pouvant se retirer et créer sa propre monnaie sans impliquer les autres.
Une autre approche serait de remplacer le CFA par une “dollarisation” de la région, ce qui favoriserait le développement du secteur financier, des taux d’intérêts plus raisonnables tout en conservant les avantages de la stabilité monétaire.
L’accès au dollar américain diminue les taux d’intérêt nominaux et réels. Cela a été le cas de la Bolivie, du Brésil, du Pérou qui ont tous vu leur taux d’intérêt diminuer de plusieurs points de pourcentage, et l’offre d’instruments de crédit augmenter en particulier par rapport à la maturité des instruments offerts par le marché. Tous ces pays ont connu une accélération de leur croissance économique suite à une dollarisation officielle. L’investissement direct étranger devient plus facile, ce qui peut apporter une source supplémentaire de financement des investissements. En particulier pour les infrastructures dont ont grand besoin des pays pauvres confrontés à une forte croissance démographique pour accroitre la productivité de leurs économies.
Source photo : news.abidjan.net
Kiari Liman-Tinguiri est docteur en sciences économiques. II a enseigné aux universités de Nancy (France) et de Niamey (Niger) avant d’entrer aux Nations unies comme économiste régional de l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre (Abidjan). II a ensuite servi comme économiste principal en Afrique du Sud, puis comme représentant de l’Unicef en Algérie et en Syrie avant de rejoindre le PNUD comme coordonnateur résident des Nations unies en Guinée équatoriale, puis à Guyana en Amérique du Sud. II a créé en 2012 et dirige actuellement un bureau de conseils en économie du développement basé à Ottawa au Canada (www.iedas.ca).
Zacharie Liman-Tinguiri est analyste financier. II est titulaire d’un Master en économie de l’Université d’Ottawa (Canada) et d’un MBA en finances de l’Université Cornell, (Ithaca New York State, Etats-Unis). II a travaillé dans la finance à Toronto (Canada), Londres (Royaume-Uni) et travaille actuellement à San Francisco (Californie, Etats-Unis).
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Trop technique moi. Le CFA, notre monnaie sous couverte, arrange hier le franc français (La France) et aujourd’hui l’Euro (Espace Européen). Constat nous (pays africains) sommes toujours restés sous développés et même très pauvres malgré nos ressources naturelles. Je constate qu’en tant que néophyte de la question, que les pays émergeants (Chine, l’inde..) ont leurs propres monnaies. Même si ces deux pays ne sont des modèles en matière de respect de Droit de l’Homme et de l’Environnement, Ils se sont, quand bien même, affranchis du mécanisme colonial de tutelle et ça marche apparemment sur le plan économique avec leur identité monétaire conservée. En tout cas, Ils semblent plus prospères que nos pays. La sortie très récente du Royaume Uni (pays développé) du système monétaire Euro est un très bel exemple à tout point de vue pour soutenir votre pertinente réflexion. Ce pays possèdent des dirigeants nationalistes et fiers de servir leur pays (UK) et leur nation que de se servir, qui savent ce qu’ils doivent faire de bien pour le UK. Les nôtres (ceux des pays africains), comme vous le savez, sont des prédateurs inconscients ou conscients à la solde des nations impérialistes et de leur intérêts égoïstes et égocentriques au détriment de l’intérêt général. Le franc CFA a été créé pour faire grandir et perpétuer le système de prédation, leurs familles, leurs amis,… Il serait très difficile de se développer même avec la “dollarisation” ou outre mécanisme financier annoncés ou envisagé avec une telle mentalité malsaine. ( Ouché Yaya Kiari Liman Tinguiri vous nous faites honneur en partageant votre très bonne et pertinente réflexion de vérité et d’actualité) . Karim
Une analyse qui vient à point nommé pour aider à recadrer les débats souvent passionnément menés sur ce sujet aux enjeux importants pour les citoyens, habitants ou non résidents dans l’espace UEMOA.