Mathias Hounkpe
Le nouveau président du Liberia, M. George M. Weah, a affirmé le 22 janvier 2018, dans son discours d’investiture, que “ce jour, les Libériens ont atteint une étape importante sur le chemin vers la liberté, la justice et la démocratie …”. En réalité, ce sont les élections de fin 2017 qui, pour diverses raisons dont certaines ont été présentées dans un récent article publié par Massa Crayton et moi-même, représentaient déjà un tournant décisif dans l’histoire politique du Liberia. Une fois les élections terminées et le président élu installé, il nous parait utile et même nécessaire de tirer des leçons pour l’avenir aussi bien à l’intention des Libériens eux-mêmes que de la sous-région. L’expérience libérienne nous inspire quatre leçons essentielles que nous gagnerions à retenir et exploiter.
La première leçon, c’est le rappel de ce qu’il est extrêmement important pour les organes de gestion des élections (OGE) de gérer les élections dans le respect strict de la législation électorale. Ceci est valable pour tous les types d’OGE, qu’ils soient indépendants, mixtes ou gouvernementaux. En effet, le non-respect des dispositions légales régissant les élections peut avoir des conséquences graves. Au Liberia, les “[…] irrégularités, […] violations du code électoral et des règles internes à la Commission électorale” font partie des raisons qui ont amené la Cour suprême à reporter le second tour de la présidentielle avec tous les risques qui accompagnaient une telle décision.
La première leçon, c’est le rappel de ce qu’il est extrêmement important pour les organes de gestion des élections (OGE) de gérer les élections dans le respect strict de la législation électorale
Au Kenya, quelques mois plus tôt, le non-respect de la Constitution et de la législation électorale par la Commission électorale kényane avaient déjà produit un résultat plus grave. Les membres de la Cour suprême du Kenya avaient purement et simplement annulé les résultats du premier tour du scrutin. Même si, au Liberia, la Cour a rejeté la demande d’annulation des résultats du premier round comme le demandaient les candidats arrivés en deuxième et troisième positions, les Libériens et la sous-région ont quand même dû retenir leur souffle pendant plusieurs semaines. On aurait pu s’éviter de telles frayeurs. La situation aurait effectivement pu dégénérer à n’importe quel moment.
La deuxième leçon est relative à l’importance qu’il faut accorder au temps prévu entre la fin des élections (y compris en intégrant le contentieux électoral éventuel) et l’investiture du président élu. Au Liberia, cette période est d’au moins trois mois, ce qui a permis de gérer de manière raisonnable le contentieux du premier tour, en dépit du retard observé, sans mettre en danger le délai constitutionnel prévu pour l’investiture du nouveau président élu. Au Ghana, où ce temps n’est que d’à peine un mois, le contentieux de la présidentielle de décembre 2012 n’a été vidé qu’en août 2013 alors que le nouveau président avait déjà été investi en janvier 2013, soit depuis sept mois.
Même si le contentieux électoral peut toujours prendre plus de temps et que des mesures peuvent toujours être prises pour éviter l’impasse constitutionnelle, il vaut mieux se laisser une marge raisonnable afin d’éviter la situation où l’on serait amené à demander à un président déjà investi et installé de quitter le pouvoir
Même si le contentieux électoral peut toujours prendre plus de temps et que des mesures peuvent toujours être prises pour éviter l’impasse constitutionnelle, il vaut mieux se laisser une marge raisonnable afin d’éviter la situation où l’on serait amené à demander à un président déjà investi et installé de quitter le pouvoir. Réserver un temps suffisant entre la fin du temps électoral et l’investiture du nouveau président permet également une transition bien préparée entre l’équipe sortante et la nouvelle équipe, surtout en cas d’alternance.
La troisième leçon est relative aux mesures prises pour garantir une période de transition ordonnée et une transmission raisonnée du pouvoir entre le gouvernement sortant et celui qui lui succède. A travers un décret présidentiel, la présidente sortante, Madame Sirleaf, a mis en place un comité conjoint chargé d’organiser la passation des charges entre son gouvernement et celui de son successeur, et en a fixé les attributions. Ce comité, avec l’appui des partenaires au développement, a commandité un audit des biens publics (meubles et immeubles) pour chaque ministère, dont le rapport est utilisé dans la passation de service. Tous les projets majeurs, y compris les projets de loi en cours d’élaboration ou d’étude au Parlement, ont été répertoriés assortis des recommandations ou suggestions du gouvernement sortant. Il y a là encore, sans doute, un exemple à méditer pour la plupart des pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
A travers un décret présidentiel, la présidente sortante, Madame Sirleaf, a mis en place un comité conjoint chargé d’organiser la passation des charges entre son gouvernement et celui de son successeur, et en a fixé les attributions
En attendant d’évaluer l’efficacité de ce dispositif, l’initiative paraît très intéressante et prometteuse. Une loi sur la période de transition entre la sortie d’un gouvernement et l’entrée de celui du président nouvellement élu existe également au Ghana. Cependant, son application, à l’issue de la présidentielle de 2016, a été problématique et des initiatives sont en cours pour l’amender. Un tel dispositif, qui peut aider à réduire le vandalisme des biens publics observés dans les pays de la région pendant la période de passation de charges entre présidents (et gouvernements), est à encourager.
La quatrième et dernière leçon que nous tirons des élections de fin décembre 2017 au Liberia est relative au rôle joué par la CEDEAO. Nous sommes habitués à voir la CEDEAO apporter une assistance aux pays qui organisent des élections, déployer des missions d’observation électorale, participer à la diplomatie préventive, y compris pour s’assurer que la volonté du peuple est respectée. Mais cette fois-ci au Liberia, la CEDEAO s’est trouvée dans un autre rôle inattendu mais finalement très utile.
A l’approche des élections, la CEDEAO et le Réseau des Commissions électorales d’Afrique de l’Ouest (ECONEC/RESAO) ont mis en place une équipe technique formée d’anciens présidents d’organes de gestion des élections de la région, qui a été envoyée pour une mission exploratoire dans le pays
A l’approche des élections, la CEDEAO et le Réseau des Commissions électorales d’Afrique de l’Ouest (ECONEC/RESAO) ont mis en place une équipe technique formée d’anciens présidents d’organes de gestion des élections de la région, qui a été envoyée pour une mission exploratoire dans le pays. L’équipe, dont les recommandations recoupent d’ailleurs la plupart des reproches faits au processus électoral, a finalement assisté, et quasiment servi de caution pour la Commission électorale libérienne lorsqu’il s’est agi d’apporter les corrections prescrites par la Cour suprême avant la tenue du second tour du scrutin.
Comme on peut le constater à travers ces leçons apprises de l’expérience récente du Liberia, la région ouest-africaine continue, petit à petit, à empiler les briques pour la construction de l’édifice démocratique dans chacun des pays. Pour le moment, l’on ne peut que souhaiter «Bonne chance» au président Weah et au Liberia.
Source photo : voanews.com
Politologue béninois, Mathias Hounkpe est actuellement l’administrateur du programme de Gouvernance politique à OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).