Bergedor Hadjihou & Alexandre Godineau
Un rendez-vous électoral pour tester la solidité du processus de paix en Côte d’Ivoire. Le samedi 02 septembre 2023, les Ivoiriens iront aux urnes dans le cadre des élections municipales et régionales. Ces élections, pour plusieurs raisons, constituent un virage qu’il faudra bien négocier. Depuis la crise post-électorale 2010-2011, chaque élection fait penser à de nouvelles tensions. Rares sont les régions qui échappent à cette réalité. Selon le Conseil national des droits de l’homme, les violences postélectorales dans le cadre de la présidentielle de 2020 ont occasionné à travers le pays, entre le 31 octobre et le 10 novembre, 55 morts et 282 blessés. Plusieurs villes ont ainsi connu des violences intercommunautaires, notamment entre Baoulés et Malinkés (les Malinkés se réclament du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix -RHDP-, le parti présidentiel), avec un jeune qui a été guillotiné.
Problèmes d’inclusivité de la liste électorale soulevés, entre autres, par le camp de l’ancien président Laurent Gbagbo, soupçons de partialité de la Commission électorale indépendante, les sujets d’insatisfactions politiques ne manquent pas en 2023, et pourraient être à l’origine d’une contestation des résultats du scrutin à venir.
Le caractère local des élections où les populations sont appelées à choisir ceux qui vont directement les gouverner à la base rend le moment plus délicat. Entre les différentes communautés en Côte d’Ivoire, la méfiance a souvent été de mise sur fond d’ethnicisation de la scène politique. Sur le terrain, les signes avant-coureurs d’une crispation sont patents. « L’individu pense que son appartenance à une communauté fait de lui d’office le candidat idéal pour un poste électif. Dans mes recherches sur le terrain, j’ai rencontré certains leaders qui pensent déjà que pour 2023, si un candidat RHDP n’est pas Baoulé, il ne se présentera pas sur leur sol », fait savoir M. Hyacinthe Bley, enseignant-chercheur en Histoire à l’Université Félix Houphouët Boigny. Infuser la fibre ethnoreligieuse dans l’opinion publique constitue une stratégie pour certains leaders en Côte d’Ivoire, histoire de rallier durablement des sympathisants et des indécis à leur cause politique. Pour sortir de ce cercle vicieux, les acteurs sont appelés à tenir pendant cette période, le discours approprié notamment à l’endroit de la couche juvénile, au regard des forces en présence.
Depuis le retour de l’ancien président Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire et la création de son nouveau parti, les élections municipales de 2023 sont les premières consultations qu’organise le pays. Il y a eu aussi, il y a moins d’un an, la rentrée au pays de Charles Blé Goudé. L’ex-homme de confiance de Laurent Gbagbo surnommé « Le Général de la rue » a également créé son parti politique. Il ne manque donc que l’ancien premier ministre en exil, Guillaume Soro au banquet électoral. L’élection se déroule devant les vieux routiers politiques qui ont plus d’un tour dans leur sac, ce qui rend la lutte pour les 31 régions de Côte d’Ivoire plus âpre et la tension encore plus palpable. La victoire du RHDP (majorité présidentielle) qui a remporté les élections locales de 2018 n’est plus d’office acquise.
La spirale de violence évitée, il y a trois ans, malgré le discours de Guillaume Soro depuis l’extérieur pour empêcher l’élection présidentielle d’octobre 2020, s’apparente à une prise de conscience de la population ivoirienne face à la récurrence des violences électorales. Néanmoins, le troisième mandat du président Alassane Ouattara et la crainte d’une quatrième tentative de se représenter devant les jeunes dans un contexte de vieillissement de la classe politique prouvent, que les institutions politiques de la Côte d’Ivoire sont face à une nouvelle épreuve électorale. En plus des défis de cohésion sociale, les prochaines élections municipales et régionales sont l’occasion pour la Côte d’Ivoire, de sortir du piège de la « décentralisation virtuelle ».
Les défis de la décentralisation pour une gouvernance inclusive
Riche mais pauvre sur le plan du développement de ses territoires. Avec une population rurale de 13 330 919 millions d’habitants et d’une soixantaine d’ethnies, la Côte d’Ivoire a réussi en 2022, l’exploit de se hisser au rang du pays le plus riche d’Afrique de l’Ouest. Ce développement n’est cependant pas harmonieux. Contrairement aux autres régions, le pouvoir attractif de la ville d’Abidjan est nettement supérieur. La ville d’Abidjan concentre à elle seule 80 % de l’activité économique de la Côte d’Ivoire. « Quand on regarde la carte du pays, le nord et les autres régions sont moins desservis que le sud en termes d’investissements consentis. Les villages sollicitent même des opérateurs économiques pour construire des ponts et des routes au lieu de se tourner vers l’État », renseigne Gertrude Koné Douyéré, Directrice exécutive de l’Union nationale des entreprises de télécommunications en Côte d’Ivoire à l’occasion d’une table ronde virtuelle organisée en octobre 2022 par le think tank citoyen WATHI sur le climat des affaires en Côte d’Ivoire.
Le troisième mandat du président Alassane Ouattara et la crainte d’une quatrième tentative de se représenter devant les jeunes dans un contexte de vieillissement de la classe politique prouvent, que les institutions politiques de la Côte d’Ivoire sont face à une nouvelle épreuve électorale
Sans remettre en cause la vocation économique redoutable de la deuxième plus grande ville d’Afrique de l’Ouest, le défi prochain d’un État ivoirien décentralisé sera de redistribuer l’activité économique et l’emploi sur toute l’étendue du territoire national, en faisant des chefs-lieux de départements et de régions des pôles de développement économique délocalisés. Pour atteindre cet objectif, il faudra valoriser l’expertise locale. Le bilan de la décentralisation, à l’instar des autres pays de la sous-région, n’est pas reluisant. Les guerres civiles ivoiriennes ont eu pour effet d’entrecouper les réussites et d’empêcher l’installation d’un système déconcentré durable. Malgré cet éternel recommencement, l’État ivoirien a toujours maintenu sa volonté de poursuivre sa marche dans le sens d’une autonomie des régions. Réduire l’écart entre les élus locaux et les administrés pour que les populations sentent que leurs besoins sont compris par ceux qui les dirigent serait déjà un bon début. Mais ces dernières années, cela n’a pas été le cas. « Le maire ne vit pas dans la commune, c’est-à-dire que la première autorité locale qui est chargée de résoudre les difficultés réside à Abidjan sous prétexte que les régions ne sont pas attractives », confie M. Hyacinthe Bley, enseignant-chercheur en Histoire à l’Université Félix Houphouët Boigny.
L’absence de l’État aux côtés des populations génère un sentiment d’abandon sur lequel ceux qui ne veulent pas du bien de la Côte d’Ivoire, en l’occurrence les extrémistes, pourraient s’appesantir pour avancer dans leurs projets de déstabilisation. Les conflits locaux ne manquent pas dans les régions délaissées. Comme la plupart des zones frontalières voisines où prolifère la menace djihadiste, les populations sont confrontées à des problèmes dus au foncier, à l’exploitation des ressources naturelles notamment les forêts classées, l’orpaillage. Il y a d’un autre côté, les conflits intracommunautaires et ceux liés à la chefferie. Pour éviter un cycle de violence en septembre prochain, la Côte d’Ivoire dispose cependant d’un atout.
La gouvernance sécuritaire au plan local, pierre angulaire d’un scrutin apaisé
Pour des villages sûrs, des communes et des villes sûres, la Côte d’Ivoire investit depuis des années dans la prévention des violences communautaires électorales. L’État reste certes, garant de la sécurité nationale mais les services de l’ordre public travaillent à coproduire la sécurité avec les populations à la base pour plus d’efficacité.
Sans remettre en cause la vocation économique redoutable de la deuxième plus grande ville d’Afrique de l’Ouest, le défi prochain d’un État ivoirien décentralisé sera de redistribuer l’activité économique et l’emploi sur toute l’étendue du territoire national
Cette politique repose sur les acteurs que sont les chefs religieux, les maires, les députés qui doivent aller dans leurs fiefs rendre compte à leurs mandants, et les élus locaux. Dans le contexte sous-régional marqué par la poussée de l’extrémisme violent, les civils ruraux qui occupent les 3109 km de frontières terrestres de la Côte d’Ivoire et les régions qui ont subi les affres de la guerre civile sont considérés comme des acteurs à part entière dans le déploiement des filets sociaux. L’approche d’une sécurité communautaire se construit ainsi en se basant par ailleurs sur la présence des milices d’autodéfense qui ont apporté un concours de circonstance à la population pendant la guerre civile.
Cette méthode a permis par le passé, avec des résultats tangibles, d’instaurer un dialogue entre les chefs des différentes communautés afin de désamorcer les tensions. Et elle est cette fois-ci encore, la clé d’élections locales pacifiées. En définitive, ces élections municipales doivent être le moteur d’un renouvellement des rapports entre les communautés d’une part et entre les communautés et les autorités locales d’autre part. Le défi est de créer un climat apaisé, exempt d’apologie du tribalisme et propice pour aborder les préoccupations de développement en intelligence avec la société civile.
Crédit photo : aa.com
Bergedor Hadjihou (Chargé de recherche à WATHI) & Alexandre Godineau (stagiaire, assistant de recherche à WATHI)