Moussa Alhassane Mikahilou
La prison ébranle notre sens d’humanité. L’idée de la prison rime avec la sanction qui constitue une conséquence de la violation d’une règle pénale, considérée contraire à l’ordre public social. En effet, la privation de liberté et l’éloignement de la société qu’elle provoque suffisent à susciter à la fois la peur, l’angoisse et l’inquiétude des personnes contre lesquelles elle est prononcée à travers la peine d’emprisonnement.
Il suffit d’y séjourner, même à tort, pour vivre sous le contrôle social sur fond de méfiance, de suspicion et autres formes de rejet. De toutes les peines, c’est surement la peine de mort qui est la plus grave qui puisse exister. La prison donne alors sens au caractère afflictif et infamant de la peine. Elle est davantage afflictive lorsque les conditions de détention ne répondent pas aux standards internationaux dont l’objectif et l’intérêt résident en la protection et au respect de la dignité humaine.
Au Niger, la surpopulation carcérale ne relève pas d’une théorie d’école. Il s’agit d’une évidence malheureusement. On dénombre trente-huit (38) établissements pénitentiaires. Quant au nombre des détenus, il était au cours de l’année 2020, de 9. 353 dont 6. 020 prévenus et 3. 333 condamnés selon l’organisation Prisonniers Sans Frontières.
Il ressort aussitôt un contraste. Celui du ratio des détenus avec le nombre d’établissements pénitentiaires qui est assez révélateur de la surpopulation carcérale. Cette réalité justifie le choix d’une telle problématique. Afin de tenter de comprendre les motifs sous-jacents de ce phénomène, il serait appréhendé successivement les motifs imputables au fonctionnement de l’appareil judiciaire et ceux imputables au fonctionnement de l’administration pénitentiaire .
Les motifs imputables au fonctionnement de l’appareil judiciaire
Pour le justiciable non averti, le juge officiant en audience publique recouvre en lui seul tout le mystère de la justice. Or, l’appareil judiciaire fait intervenir plusieurs acteurs judiciaires à divers niveaux de responsabilité et dont le concours participe au prononcé des décisions de justice de qualité.
Puisqu’il est question de la surpopulation carcérale, nous ne nous intéresserons qu’aux procédures pénales. L’une des causes de la surpopulation carcérale reste les arcanes procéduraux qui entraînent une longue période de détention préventive avant la phase de jugement.
Au Niger, la surpopulation carcérale ne relève pas d’une théorie d’école. Il s’agit d’une évidence malheureusement. On dénombre trente-huit (38) établissements pénitentiaires. Quant au nombre des détenus, il était au cours de l’année 2020, de 9. 353 dont 6. 020 prévenus et 3. 333 condamnés selon l’organisation Prisonniers Sans Frontières
La justice, parce qu’elle n’est pas un “tour de passe-passe “magique, a un temps. Il y a un temps pour enquêter, un temps pour poursuivre, un temps pour instruire et un temps pour juger. Ces différents « temps » restent encadrés par la loi et plus précisément les codes de procédure pénale.
La poursuite engagée sur la base des faits de nature criminelle donne lieu à une instruction obligatoire et demeure une cause d’engorgement des centres de détention. Ce temps d’instruction impacte sur la surpopulation carcérale. A cet effet, l’article 131 alinéa 1 du Code de procédure pénale stipule que : « en matière criminelle, l’inculpé ne peut être maintenu en détention au-delà de 18 mois. Toutefois, le juge d’instruction peut, à l’expiration de ce délai décidé de prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à 12 mois par une ordonnance non renouvelable selon la même procédure ».
En présence des faits délictuels, le temps de détention préventive est relativement court au sens de l’article 132 du même code selon lequel : « En matière correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur ou égal à 3 ans d’emprisonnement, l’inculpé domicilié au Niger ne peut être détenu plus de six mois après sa première comparution devant le juge d’instruction s’il n’a pas été déjà condamné soit pour crime, soit pour délit à un emprisonnement de plus de trois ans sans sursis ».
Ainsi, le délai de détention préventive peut s’étendre sur trente (30) mois en cas de commission d’un acte tombant sous la qualification de crime et pourrait être de six (6) mois en cas de délit. C’est sans compter l’exercice des voies de recours contre les ordonnances rendues par le juge d’instruction qui donnera lieu à une seconde instruction par-devant la chambre d’accusation qui est une formation de la cour d’appel au sens de l’article 183 à 222 du Code de procédure pénale.
Même en cas de flagrant délit où la détention préventive est trop minime en raison de l’évidence presque certaine des faits, la détention peut aller au-delà de trente (30) jours car ce délai de détention commencera à courir à partir de la première audience ainsi que le dispose l’article 374 du code de procédure pénale en ces termes : « Le tribunal est tenu de juger l’affaire dans les trente jours de la première audience … ».
La poursuite engagée sur la base des faits de nature criminelle donne lieu à une instruction obligatoire et demeure une cause d’engorgement des centres de détention. Ce temps d’instruction impacte sur la surpopulation carcérale
Ces temps sont dits raisonnables en ce qu’ils sont nécessaires à l’accomplissement des divers actes utiles à la manifestation de la vérité suivant les diligences du juge d’instruction. Néanmoins, ces temps n’allaient pas durablement impacter sur la surpopulation carcérale si les détenus préventifs ou en instance de jugement ne sont pas accueillis par les mêmes centres pénitentiaires que les détenus condamnés, toute chose qui favorise une surpopulation carcérale.
Le temps du procès n’est pas le seul motif de la surpopulation carcérale. La politique pénale des parquets en est un motif aussi. Les magistrats du parquet, de par la loi, jouissent de l’opportunité de poursuite. En vertu de cette opportunité, ils apprécient souverainement l’opportunité de poursuivre ou de ne pas poursuivre. C’est du moins ce qui ressort de l’article 39 alinéa 1 du code de procédure civile comme suit : « le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. En cas de classement sans suite, il avise le plaignant ».
Cet avantage professionnel n’est pas uniformément exercé partout. Chaque parquet adopte sa politique. Le choix adopté se révèlera dans les poursuites engagées face à des cas factuels. Chaque magistrat du parquet, au moment de l’exercice de l’action publique, apprécie souverainement les faits et décide de la suite à leur donner.
Le risque qui en découlera est que des poursuites pourraient être engagées pour des faits qui ne donneront pas lieu à poursuite pour un autre membre d’un parquet. Cette appréciation, si elle est à géométrie variable, entraînera des poursuites pour des faits différemment appréciés. Ce risque n’est d’autant évident que les magistrats du parquet, pris individuellement, ne font pas preuve de la même rigueur et de la même flexibilité professionnelle. Par-dessus tout, c’est le jugement de l’affaire qui permettra de déterminer la culpabilité. Quid des motifs imputables à l’administration pénitentiaire ?
Les motifs imputables au fonctionnement de l’administration pénitentiaire
L’administration pénitentiaire, ici entendue, est la chaîne des autorités impliquées dans la gestion des centres de détention ; exception donc faite des autorités civiles en charge des questions pénitentiaires au niveau de l’administration centrale du ministère de la Justice.
Le temps du procès n’est pas le seul motif de la surpopulation carcérale. La politique pénale des parquets en est un motif aussi. Les magistrats du parquet, de par la loi, jouissent de l’opportunité de poursuite
La gestion des détenus est décentralisée au regard des nombreux défis qui l’entourent. Cette gestion est encore plus complexe en présence d’un flux important de détenus dans les établissements pénitentiaires. C’est pourquoi certains agents sont chargés d’administrer les établissements pénitentiaires pendant que d’autres sont affectés à la surveillance, à l’extraction, au transfèrement et au suivi des procédures judiciaires.
Il n’est pas toujours évident que les juridictions délibèrent sur le siège des dossiers jugés. Le délibéré prononcé sur le siège est la décision de justice rendue séance tenante à la suite du jugement de l’affaire. Les juges, par mesure de précaution, préfèrent différer le prononcé de leur jugement à une date ultérieure. La philosophie qui précède cet état de fait est d’éviter de rendre une justice expéditive avec le risque d’occulter certains détails utiles.
Même en matière d’assise où les décisions sont prononcées au cours de la même audience, les juges et les jurés qui complètent la juridiction, préfèrent se recueillir dans le silence et dans le secret absolu du délibéré pour décider de la décision à rendre ainsi que le dispose l’article 335 du code de procédure.
Mais force est de constater que les détenus jugés ne sont pas toujours conduits devant les juridictions au jour du prononcé du délibéré de leur affaire. En raison de cette situation, certains restent en méconnaissance des décisions prononcées à leur encontre. En pratique, les magistrats du parquet tiennent un document appelé « feuille d’audience » qui récapitule toutes les peines prononcées à chaque audience. Cette feuille d’audience est communiquée au régisseur à toutes fins utiles.
Malgré cela, le suivi de l’exécution des peines prononcées et le maintien du détenu dans les limites de ladite peine restent un véritable défi pour les autorités pénitentiaires. Cette situation pourrait donner lieu à une détention arbitraire toutes les fois qu’elle s’étend sur une période allant au-delà de ce qui est décidé par le juge. La conséquence qui en découlera reste la surpopulation carcérale.
La gestion des détenus est décentralisée au regard des nombreux défis qui l’entourent. Cette gestion est encore plus complexe en présence d’un flux important de détenus dans les établissements pénitentiaires
Un autre motif, non de moindre, de la surpopulation carcérale demeure les intérêts financiers liés à la gestion des détenus dans les établissements pénitentiaires. Il est assuré aux détenus un minimum vital pour préserver leur dignité. Cet impératif de dignité commande la garantie des besoins vitaux aux détenus comprenant entre autres la prise en charge de leur alimentation, leur habillement, leur santé, leur hygiène et leur couchage.
C’est en sens que l’article 42 de la loi n° 2017 – 08 du 31 mars 2017 déterminant les principes fondamentaux du régime pénitentiaire au Niger dispose que : « L’entretien des détenus est assuré par une allocation fixée par acte réglementaire. Cette allocation qui pourvoit aux dépenses d’entretien, d’alimentation, de santé, d’habillement, de couchage, d’hygiène et d’assainissement et d’éclairage est versée selon le cas au cours du trimestre, du semestre ou de l’année ».
On peut aisément comprendre que les établissements pénitentiaires bénéficient d’une allocation au prorata du nombre de détenus qu’ils accueillent. Avec ce système d’allocation des budgets, il suffit qu’un titre de détention quelconque soit présenté au régisseur pour qu’il accepte un détenu au sein de son établissement pénitentiaire et ce même en présence d’un nombre assez débordé de détenus.
Ce mode de financement des établissements pénitentiaires favorise sans doute une surpopulation carcérale.Pour finir, la surpopulation carcérale est une forme d’atteinte aux droits des détenus. Elle déshumanise à la limite les conditions de détention avec tous les risques qu’elle présente sur le bien – être auquel les détenus peuvent légitimement prétendre.
La construction de nouveaux centres pénitentiaires et l’affectation d’un budget conséquent pour la gestion desdits centres demeurent des pistes de solutions, parmi tant d’autres, pour apaiser l’épreuve qui affecte chaque personne détenue pour une raison ou pour une autre.
La création et l’installation effective des chambres criminelles à session mensuelle auprès des dix (10) Tribunaux de Grande instance du Niger constitue un début de solution à la surpopulation carcérale. La fréquence mensuelle de tenue des sessions de la chambre criminelle contribue à accélérer la programmation des audiences des détenues en instance d’être jugés.
Image d’illustration: wakat sera
Moussa Mikahilou est chargé de recherche associé à WATHI et Doctorant en Droit public à l’Université d’Abomey Calavi au Bénin. Il est également avocat stagiaire à la SCP LAWCONSULT au Barreau du Niger.