Alain Roland Tonye
Dans la perspective d’une vision panafricaine de développement, l’Union africaine (UA) a défini dans l’Agenda 2063 sept aspirations pour guider la marche de l’Afrique sur la voie de la prospérité, l’autodétermination, le bien-être et l’intégration à l’horizon 2063. La responsabilisation et l’engagement de la jeunesse africaine sont répertoriés dans la sixième aspiration, axée sur « une Afrique dont le développement est dirigé par ses citoyens, en comptant sur le potentiel des populations africaines, en particulier, les femmes et les jeunes, et la prise en charge des enfants. » Cette aspiration entre en droite ligne avec la charte africaine de la jeunesse.
Cette dernière dispose que la jeunesse représente « un partenaire et un atout incontournable pour le développement durable, la paix et la prospérité de l’Afrique avec une contribution unique à faire au développement présent et futur » (1). Dans cette perspective, l’UA attend les résultats suivant à l’horizon 2063 (2) :
- Réduction du taux de chômage des jeunes, en particulier des jeunes femmes d’au moins 25 % par rapport à 2013 ;
- Créations d’entreprises par les jeunes, notamment les jeunes femmes représentant au moins 15 % des nouvelles entreprises ;
- Au moins 50 % des jeunes qui ne peuvent avoir accès à l’enseignement supérieur sont formés dans le cadre de l’Enseignement et Formation Techniques et Professionnels (EFTP) ;
- Au moins 50 % des jeunes et des enfants suivent des programmes de développement de talents et d’activités récréatives ;
- Élimination de toutes formes de violence, d’exploitation du travail des enfants, du mariage des enfants et du trafic d’êtres humains ;
- Suppression du recrutement d’enfants soldats ;
- Au moins 20 % de jeunes et d’enfants sont engagés dans des activités sportives ;
- Mise en œuvre effective des dispositions de la Charte Africaine des Droits des Jeunes ;
- Fin de toutes les formes de mariage des enfants.
10 ans après le début de la mise en œuvre de l’Agenda 2063, il convient de faire une évaluation sur l’atteinte de ces objectifs de l’UA sur l’engagement et la responsabilisation des jeunes. Cette évaluation permet de constater des avancées progressives mais aussi d’identifier les facteurs qui freinent l’atteinte desdits objectifs de l’Agenda 2063.
Des avancées à dose homéopathique sur l’engagement et la responsabilisation des jeunes
Dix ans après l’adoption de l’Agenda 2063, on peut évaluer les engagements pris par l’UA dans le cadre de l’autonomisation et la responsabilisation des jeunes. Au regard des performances faites par les États, le bilan est mitigé à plusieurs égards. En ce qui concerne le chômage par exemple, le chiffre de 25 % de réduction attendu par l’UA reste loin à atteindre. Le premier rapport continental de 2020 sur l’état de mise en œuvre de l’Agenda 2063 (3) indique que le chômage a connu une augmentation dans plusieurs pays.
En Afrique australe, les pays comme la Namibie et le Botswana ont enregistré un taux de chômage des jeunes élevé de 25,6 % et 48,5 % en 2019, respectivement, selon le même rapport. En Afrique de l’Ouest, le Ghana a vu le taux de chômage des jeunes passer de 24,7 % à 26,4 %. Pour le Niger, il est passé de 3,1 % en 2013 à 12,2 % en 2019. En Afrique de l’Est, certains pays comme l’Éthiopie ne font pas mieux, avec un taux de chômage des jeunes qui est passé de 22,8 % à 25,2 %. En Afrique centrale, la République centrafricaine a enregistré une augmentation du chômage des jeunes de 38,4% en 2013 à 47 % en 2019.
Toutefois, certains pays se sont démarqués par des notes positives, en enregistrant des performances salutaires. C’est le cas du Rwanda qui a affiché une performance remarquable avec un taux de chômage qui est passé de 21,3 % en 2013 à 18,7 % en 2019 d’après le rapport précédemment cité. Il en est de même pour le Sénégal qui est passé de 28,9 % en 2013, à 14,2 % en 2019. La Tunisie quant à elle, est passée de 38,4 % en 2013, à 34,4 % en 2019.
Au regard des performances faites par les États, le bilan est mitigé à plusieurs égards. En ce qui concerne le chômage par exemple, le chiffre de 25 % de réduction attendu par l’UA reste loin à atteindre
Relativement à la protection des droits des enfants, le constat est également mitigé. D’après le premier rapport continental sur l’état de la mise œuvre de l’agenda 2063, de 2013 à 2019, la réduction d’enfants victimes de trafic d’êtres humains a progressé seulement de 12 %. La réduction des mariages forcés a évolué de 23 % et le travail forcé de 8 %. Ces chiffres montrent que les avancées au niveau des droits des enfants sont à dose homéopathique, même si dans l’ensemble, 43 pays ont signé la charte des droits de la jeunesse. En vue de ces évolutions lentes, les prévisions faites par l’UA ne peuvent être atteintes si des changements spectaculaires ne sont faits au cours de l’année 2023.
L’autonomisation des jeunes vise également à l’élimination de toutes formes de violence, de l’exploitation du travail des enfants, du mariage des enfants et du trafic d’êtres humains. C’est un objectif qui met en perspective le droit des jeunes et des enfants afin qu’ils puissent par eux-mêmes, choisir leur destin. En outre, l’UA a tablé sur la fin de toutes les formes de mariage des enfants et la suppression du recrutement des enfants soldats.
D’après l’UNICEF (4), jusqu’en 2017, le Niger était le pays qui affichait le taux de prévalence du mariage des enfants le plus élevé au monde, avec 76 %, soit 4,1 millions de filles-épouses. Il est suivi par la République centrafricaine, avec 68 %, et du Tchad avec 67 % . Le Nigéria compte le plus grand nombre de filles-épouses, soit près de 22 millions. Ces chiffres ne sont pas prêts de s’améliorer.
D’après les prévisions de l’UNICEF, « Malgré la baisse progressive de la prévalence des mariages d’enfants, le nombre de filles-épouses devrait augmenter compte tenu de l’accroissement de la population dans la région [Tchad – République Centrafricaine – Burkina Faso]. D’après les prévisions, si la prévalence actuelle se maintient, le nombre de filles-épouses devrait atteindre 20,8 millions d’ici 2050. Si la baisse de la prévalence se poursuit, le nombre de filles-épouses s’élèvera à 17,5 millions d’ici 2050. Enfin, même si le taux de diminution venait à doubler, la région ne compterait pas moins de 14,8 millions de filles-épouses d’ici 2050. » . Les données qui précèdent montrent que les résultats attendus par l’UA sont difficiles à atteindre. Ceci s’explique par un ensemble de pesanteurs qui freinent l’atteinte des objectifs.
D’après le premier rapport continental sur l’état de la mise œuvre de l’agenda 2063, de 2013 à 2019, la réduction d’enfants victimes de trafic d’êtres humains a progressé seulement de 12 %. La réduction des mariages forcés a évolué de 23 % et le travail forcé de 8 %
Des écueils à la responsabilisation et à l’engagement des jeunes dans les États
Plusieurs pesanteurs expliquent les résultats mitigés de l’UA en matière d’engagement et de responsabilisation des jeunes. Il s’agit par exemple de la configuration gérontocratique des gouvernements africains. Cette configuration entraîne des conflits sociologiques entre les jeunes et les « vieux ». Les « anciens » pensent que les jeunes ne peuvent que faire moins bien, être moins engagés, moins politisés. Il y a toujours une suspicion des générations plus anciennes à l’égard des nouvelles, d’où la nécessité de penser la politisation dans le lien, dans la profondeur de la chaîne des générations, dans le processus de socialisation politique entre les générations (5).
Les disparités sociologiques participent également à maintenir le statu quo ante. La pauvreté dans certains pays est un véritable écueil. Au Nigéria par exemple, 80 % des jeunes femmes du quintile le plus défavorisé ont été mariées pendant l’enfance, contre 10 % des jeunes femmes du quintile le plus riche (6). Le fait religieux et traditionnel constitue aussi un frein pour l’engagement et la responsabilisation des jeunes. Certaines religions (l’islam en l’occurrence) et traditions maintiennent des pratiques telles que le mariage forcé et la prééminence des « vieux » sur les jeunes dans le cadre de la prise des décisions. Au regard de ces facteurs, des solutions peuvent être proposées afin de permettre une meilleure intégration des jeunes.
Des solutions pour une meilleure prise en compte des jeunes
Pour mieux engager les jeunes et les responsabiliser dans la société, l’UA devrait revoir les stratégies mises en place pour amener les États à respecter leurs engagements. Pour cela, il faut mettre sur pied :
- Un programme de suivi-évaluation auprès de chaque pays pour connaître, étape par étape, les évolutions de l’engagement et de la responsabilisation des jeunes au niveau national. Les responsables du programme pourront faire des rapports annuels pour rendre compte du niveau d’implication des jeunes dans les pays qu’ils suivent. Ces rapports permettront à l’UA d’interpeler les États qui n’affichent pas de notes positives, afin de les amener à respecter leurs engagements d’ici la date butoir.
- Organiser des campagnes de sensibilisation dans les différents pays pour amener les populations, la société civile, les partis politiques, à se saisir des fléaux tels que le mariage forcé. Cette campagne de sensibilisation doit être précédée par la formation des personnes financées par l’UA. Ces personnes formées auront la charge de sensibiliser les populations dans les différents États, en leur présentant le danger qu’encourent les jeunes garçons et les jeunes filles dans les armées ou dans les foyers forcés.
- Dans le cadre de l’autonomisation des jeunes, l’UA, en partenariat avec les différents États, devrait mettre sur pied des programmes de financement des activités génératrices de revenus afin de permettre aux jeunes diplômés ou non, de se lancer dans l’entrepreneuriat et s’intégrer économiquement dans la société. Cette mesure participera à réduire le chômage pour les jeunes qui en bénéficieront.
L’évaluation de la prise en compte de l’engagement social et la responsabilisation des jeunes dans l’Agenda 2063 permet de se rendre compte qu’il existe dans plusieurs pays africains des pesanteurs qui freinent l’atteinte des objectifs fixés par l’UA. L’organisation continentale devrait donc, au regard de l’évolution lente des prévisions, changer de paradigme afin de rendre optimale l’intégration des jeunes dans la société.
Crédit photo : au.int
Alain Roland Tonye est doctorant à l’université de Douala au Cameroun.
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Analyse pertinente.
Je suggère qu’elle ait lieu tous les 10 ans jusqu’en 2063.
Du courage à l’auteur