Abdoul Salam Bello
Dans la mythologie grecque, à la suite de sa défaite dans la guerre des Titans, Atlas est condamné à porter le poids du monde sur ses épaules pour l’éternité. Lorsqu’on regarde la situation de nombre de femmes dans certaines régions du Sahel, d’Afrique, on retrouve encore (hélas !) la condamnation d’Atlas, surtout dans le monde rural. Combien de femmes dont on dit pudiquement qu’elles sont tombées dans les puits (pour ne pas dire suicide) ? Tabous culturels, tabous religieux pour masquer les violences, les inégalités, la pauvreté.
Pourtant, d’aucuns semblent oublier que l’Afrique est la terre de grandes leaders féminines, de la reine Néfertiti à la Soudanaise Alaa Salah (figure des manifestants contre le régime militaire soudanais) sans oublier Wangari Maathai, Sarraounia Mangou (intrépide guerrière nigérienne qui croisa le fer contre la colonne sanglante Voulet-Chanoine), la reine Amina de Kano au Nigeria ou la princesse Yennenga (fondatrice du royaume Moogo au Burkina Faso).
En 2016, le PNUD soulignait dans son rapport sur la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes en Afrique que les inégalités liées au genre coûtaient en moyenne 95 milliards de dollars américains par an à l’Afrique subsaharienne. C’est l’équivalent du PIB actuel du Kenya. Les pertes de revenus associés aux écarts entre les sexes dans la participation au marché du travail sont estimées à 12% sur le continent avec des taux qui sont estimés à 31% pour le Niger par exemple (contre à peine 1% au Rwanda).
Les inégalités liées au genre coûtaient en moyenne 95 milliards de dollars américains par an à l’Afrique subsaharienne
Les inégalités liées au genre sont un frein au développement des pays. La Banque africaine de développement estime que la pauvreté affecte jusqu’à deux-tiers des femmes dans certains pays. Dans de nombreux cas, la propriété foncière se fait très nettement en faveur des hommes, qui possèdent plus de 90 % de l’ensemble des terres utilisées pour la production agricole.
Au Sahel notamment, l’accès sécurisé à la terre reste un défi pour les femmes. Ainsi, au Burkina Faso, alors que les femmes constituent 55 % de la force de travail agricole, elles représentent à peine 40 % des propriétaires de terres. Selon les récentes enquêtes publiées par l’OCDE, seulement 14 % des femmes propriétaires ont la possibilité de vendre les terres qu’elles détiennent, contre 32 % des hommes, en raison de pratiques liées au droit coutumier et à la gestion communautaire des terres. A cette situation s’ajoutent les difficultés liées à l’accès aux intrants agricoles, au crédit et aux marchés qui contribuent au renforcement des inégalités avec une productivité féminine inférieure jusqu’à hauteur de deux-tiers de celle des hommes dans certains cas.
Le PNUD a préconisé la création d’une banque africaine d’investissement destinée aux femmes et l’ouverture de guichets d’investissement à l’usage des femmes dans les banques de développement
Dans la mythologie, Héraclès refusa de porter la charge d’Atlas. Faisant-fi des obstacles, les femmes ne restent pas en retrait et œuvrent pour alléger le fardeau et faire entendre leurs voix pour plus de représentation. Rappelons l’action du Rassemblement démocratique des femmes du Niger (RDFN) dont la marche, à la veille de la conférence nationale, pour plus de représentation des femmes en politique, est célébrée chaque année comme la journée de la femme nigérienne.
Des initiatives locales telles-que les actions portées par le MMD (Mata Masu Dubara/femmes ingénieuses) au Niger font leur preuve. Le MMD qui a débuté au début des années 1990 en se basant sur un modèle de tontine a évolué pour aujourd’hui s’impliquer aux problématiques plus stratégiques telle que la participation politique des femmes, l’accès à la terre, les violences liées au genre, la scolarisation de la jeune fille, etc.
Aussi bien au Sahel que dans le reste de l’Afrique, les initiatives doivent être soutenues, portées à l’échelle et bien ciblées. Dans son rapport publié en 2016 sur la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes en Afrique, le PNUD a préconisé la création d’une banque africaine d’investissement destinée aux femmes et l’ouverture de guichets d’investissement à l’usage des femmes dans les banques de développement afin de soutenir les femmes dans leur lutte pour l’acquisition des droits de propriété et de gestion des actifs économiques et environnementaux.
L’égalité des genres est plus qu’un objectif en soi. C’est une condition préalable pour relever le défi de la réduction de la pauvreté, promouvoir le développement durable et établir la bonne gouvernance
Des efforts similaires sont aussi entrepris au niveau de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD) qui, grâce à sa politique sur le genre et ses diverses initiatives, agit pour que les femmes ne soient plus perçues comme victimes de la dégradation des terres et de la désertification mais plutôt des actrices d’un changement de paradigme en Afrique et dans les autres parties du monde. Pour citer Kofi Annan, « l’égalité des genres est plus qu’un objectif en soi. C’est une condition préalable pour relever le défi de la réduction de la pauvreté, promouvoir le développement durable et établir la bonne gouvernance. »
Il est de notre responsabilité collective de prendre les actions et de créer les conditions nécessaires à la création d’un cercle vertueux qui promeuve la réduction des inégalités, l’inclusion financière, le renforcement de la représentation et de la voix des femmes qui sont autant de conditions de succès d’un développement économique et d’une paix durable que nous appelons tous de nos vœux. Au-delà de l’économie et du développement, il s’agit surtout d’une question de droit et de justice.
Crédit photo : Histoires du Programme Alimentaire Mondial
Abdoul Salam Bello est ancien directeur de cabinet à l’Agence de développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD). Il travaille actuellement comme chef de projet principal à la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD) basée à Bonn. Il est également Senior Fellow à Atlantic Council basé à Washington. Les opinions exprimées dans la tribune n’engagent que leur auteur.