Alan R. Akakpo
L’apologie de la méchanceté du Béninois, qui a valu l’invention du mot « béninoiserie », est cette tendance pour le Béninois à considérer son voisin comme le malveillant qui passe le plus clair de son temps à échafauder les meilleures stratégies pour commettre des « homicides occultes » dans le seul dessein de le tirer vers le bas. Cette idée est entretenue et exacerbée principalement par les charlatans, certaines nouvelles églises et malheureusement par de nombreux musiciens.
La méfiance à l’égard des autres, un des freins au développement du Bénin
Un regard sur les données de la Banque mondiale nous révèle que le Bénin a le quatrième taux de mortalité adulte le plus faible en l’Afrique de l’ouest (après le Cap-Vert, le Sénégal et le Niger). En d’autres termes, 497 Béninois sur 1000 ayant atteint l’âge de 15 ans peuvent espérer vivre jusqu’à 60 ans. Ceci témoigne de ce que le Béninois adulte ne meure pas plus vite que le Togolais (555/1000), le Burkinabé (536/1000), le Nigérian (730/1000), l’Africain (623/1000) ou même le citoyen d’un pays en voie de développement (531/1000). Pourtant, l’idée du Béninois « envoûteur » et « tueur » de son prochain est soigneusement entretenue dans le subconscient du citoyen lambda.
Pourtant, l’idée du Béninois « envoûteur » et « tueur » de son prochain est soigneusement entretenue dans le subconscient du citoyen lambda.
L’enfant est formaté pour se méfier de l’autre. Le jeune ne veut pas travailler en équipe et l’adulte préfère entreprendre seul. Une enquête de la Banque mondiale identifie d’ailleurs le Bénin comme l’un des pays au plus fort taux de création d’entreprises unipersonnelles au monde. La mort d’un entrepreneur béninois rime souvent avec la disparition de sa société, conflit de succession oblige. Que dire de toutes ces vieilles maisons abandonnées dans les villes béninoises pour des raisons de disputes fraternelles, ou de pratiques charlatanesques supposées ! Des politiques publiques audacieuses devraient permettre de lever quelques freins culturels qui s’activent systématiquement dans le véhicule du développement du Bénin.
Bannir les messages qui font l’apologie de la méchanceté
Malgré leur nécessité, les politiques publiques audacieuses sont difficilement formulées au Bénin en raison du manque d’engagement des acteurs politiques ou de l’instrumentalisation des institutions chargées de leur formulation. À titre illustratif, les décisions les plus audacieuses de ces dix dernières années furent certainement l’implémentation par la police nationale des mesures de port du casque et l’obligation pour les motocyclistes de rouler dans l’espace du trafic local qui leur est réservé. En leur temps, ces mesures n’avaient pas échappé à la critique populaire. Pourtant aujourd’hui, il est aisé de reconnaitre leur utilité. Bien que les chiffres ne soient pas disponibles, ces mesures semblent avoir significativement réduit le nombre des accidents mortels sur les routes.
Des efforts devront aussi être consentis dans la démystification du phénomène à travers une communication intensive en langues locales sur l’étendue du territoire national.
Il y a des réformes tout aussi importantes qui méritent d’être formulées et appliquées avec le même degré d’audace. La Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), institution chargée de la régulation des médias au Bénin, devrait avoir le courage de bannir systématiquement des chaines de télévision, de radio ou toute production artistique et religieuse qui ferait l’apologie de la méchanceté supposée de l’homme béninois et son désir irréfragable d’envoûter son prochain. L’interdiction d’antenne pour les porteurs de ce type de messages est une nécessité. Des efforts devront aussi être consentis dans la démystification du phénomène à travers une communication intensive en langues locales sur l’étendue du territoire national.
Des dispositions institutionnelles pour mieux appréhender le phénomène
Des dispositions devraient être prises pour évaluer l’efficacité des guérisseurs traditionnels et charlatans parce que bon nombre d’entre eux diffusent inlassablement la doctrine du Béninois malveillant. Il est évident que tout Béninois doit être conscient de certains traits de notre culture dont nous devons être profondément fiers. Ces traits culturels distinctifs incluent la réfutation de la domination, la réprobation de la violence physique. Ils incluent également la reconnaissance des vertus enseignées par certains préceptes traditionnels tels que le vaudou ou le Fâ ( un langage codé entre Dieu et les hommes que seuls les initiés peuvent décrypter), qui sont en réalité exempts de toute apologie du mal.
Des dispositions devraient être prises pour évaluer l’efficacité des guérisseurs traditionnels et charlatans parce que bon nombre d’entre eux diffusent inlassablement la doctrine du Béninois malveillant.
Les normes culturelles ne devraient pas empêcher d’améliorer les mécanismes qui permettent de garantir le bien-être des citoyens béninois, aussi bien sur le plan de la santé que sur le plan spirituel. Les faiseurs de miracle (pasteurs, charlatans, guérisseurs traditionnels) devraient être recensés et suivis de près par des cellules en charge au sein de l’Etat de la collecte et de l’analyse d’informations de façon à dénicher les réels talents et à en faire des références nationales voire des attractions touristiques.
En outre, le gouvernement devrait dédier un fonds de recherche à l’étude des phénomènes inexpliqués qui servent de terreau aux « diffuseurs de mauvaises nouvelles ». Ainsi, les chercheurs béninois pourront déterminer de façon empirique les facteurs qui contribuent à l’ancrage de l’idée du Béninois malveillant afin de combattre ce phénomène de façon programmatique. Il semble que cette perception nuise profondément à l’unité nationale et au développement de l’entreprenariat.
*Les points de vue exprimés ne reflètent pas nécessairement ceux d’IMANI Center for Policy and Education
Photo: www.afrik.com
Analyste de politique publique et responsable projet IMANI Francophone-Benin.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Oui, il y a un problème de méfiance généralisée. En faire le constat est un juste postulat pour le reste de cet article. La question que nous devrions nous poser ensuite est la suivante: D’où vient cette méfiance? On ne peut pas la mettre au seul compte des charlatans.
La vérité est qu’il existe, au sein de cette société, une propension réelle à nuire au prochain. Cela se sent dans les pratiques sociales, se vit dans la rue, en famille. C’est un élément de culture qui tire sa source du manque de tolérance, de l’envie et de la jalousie, nourris finalement par… la pauvreté. C’est le propre des sociétés extrêmement pauvres que de promouvoir le nivellement par le bas et de voir la cause de son propre malheur dans le bonheur de l’autre.
Cela concourt ensuite à ramener l’autre au même niveau que soi ou à l’éliminer, pas à apprendre de lui et s’inspirer de son exemple, le cas échéant.
Où le charlatanisme intervient, c’est, à force de chercher à nuire à autrui, lorsqu’on s’en remet à des forces occultes pour changer en mal le destin des autres: la religion est née le jour où le premier escroc a rencontré le premier imbécile. Qu’on croie en ces pratiques ou pas n’est mon propos. On n’en finirait pas dans ce court espace.
Une chose est sûre: on a vu des gens d’une même famille s’empoisonner pour des histoires d’héritage. Donc, en un mot, la cause fondamentale de cette situation se trouve dans la pauvreté. Y mettre fin ne fera pas disparaître ipso facto la peur du vivre ensemble, mais l’atténuera certainement.
Je partage votre avis sur cette situation.je suis très embêtée par leur stratégie pr se faire des sous,et ces radios complices qui passent ces maîtres chanteurs(pr la plupart) qui fragilisent l’esprit des Béninois et les rendent finalement très sensibles aux forces du mal ou du diable.Même la peur créée par ce qu’on entend fait qu’on tombe dans un cercle sans fin de problèmes.