Awa Sow
“La francophonie c’est la langue du panafricanisme”. Ce sont les mots prononcés par le président français Emmanuel Macron lors du 18ème sommet de la Francophonie en novembre 2022. Le Sommet de la Francophonie se tient tous les deux ans, et vise à définir les orientations de la Francophonie, qui touche près de 321 millions de locuteurs dans le monde.
L’Afrique est de loin le continent où la langue française est la plus parlée, avec 47,4 % de locuteurs quotidiens dans la zone Afrique subsaharienne – Océan Indien, et 14,6 % dans la zone Maghreb – Proche Orient. Or le français est une langue relativement récente sur le continent Africain dans la mesure où elle a été répandue à compter du XVIIe siècle. Le français est-il devenu une langue qui incarne l’Afrique d’aujourd’hui? Ou s’est-il, au contraire, inscrit dans une continuation de rapports coloniaux entre la France et le continent Africain?
L’Histoire de la Francophonie
L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a été créée dans un contexte de décolonisation sur le continent africain en 1970 à Niamey au Niger, et regroupe aujourd’hui 54 États et gouvernements membres répartis sur les cinq continents. L’organisation vise à promouvoir la langue française et encourager la coopération politique, éducative, économique et culturelle au sein de et entre les États membres.
Les termes “francophonie” et “francophone” ont cependant été initialement proposés par le géographe Onésime Reclus à la fin du XIXe siècle, pour qui la francophonie est une opportunité pour la France de développer son Empire colonial ainsi que de renforcer ses intérêts géopolitiques. En effet, le géographe perçoit la diffusion de la langue comme une manière de faire rayonner la France et sa culture, mais également une occasion de permettre au pays de faire face à la compétition que représentent ses rivaux européens dans la sphère internationale. Dans cette mesure, la francophonie s’inscrit en premier lieu dans le projet colonial français.
C’est un aspect sur lequel l’écrivain Frantz Fanon insiste dans son ouvrage « Les Damnés de la Terre ». Effectivement, l’auteur considère la langue comme un important outil d’assimilation, une forme d’aliénation culturelle utilisée par le colon pour encrer et enraciner son contrôle sur le colonisé. De la même manière, l’écrivain français Paul Niger entend « la politique de l’assimilation » comme une manière d’affermir des intérêts impérialistes, comme présenté dans L’Assimilation, Forme Suprême de Colonialisme. Il est ici essentiel de noter que, pour l’auteur, l’assimilation est une idéologie propre à certains peuples, notamment les peuples latins, mais pas à tous.
En ce sens, il est légitime de s’interroger si la francophonie d’aujourd’hui s’inscrit dans une continuation d’intérêts impérialistes français, ou si cette union offre, dans sa conjoncture actuelle, davantage d’opportunités de développement et de coopérations internationales pour les pays membres.
La Francophonie: collaboration post-coloniale ou néo-colonialisme français?
Au premier abord, la francophonie actuelle semble effectivement être un outil fort avantageux pour les pays membres. D’une part, l’OIF facilite et conforte les relations internationales entre États et gouvernements membres, que ce soit sur le plan politique, par exemple en termes de diplomatie, ou sur le plan économique, en termes d’échanges commerciaux. D’autre part, avoir une langue en commun permet de promouvoir un échange socio-culturel. Par exemple, cela peut favoriser le tourisme ou des programmes d’échanges scolaires et universitaires plus accessibles.
En pratique, la francophonie semble cependant et au contraire, freiner le développement indépendant de pays africains marqués par une omniprésence française. En termes d’éducation, les pays africains francophones ont effectivement eu des difficultés à s’approprier leurs systèmes d’éducation à proprement parler, après leur indépendance. Des accords de collaborations entre la France et ses anciennes colonies visant à aménager une transition du système éducatif ont en fait, permis à la France de garder une mainmise sur le système d’enseignement. Aujourd’hui, ces mêmes systèmes d’enseignements sont toujours très largement dépendants de, et contrôlés par, le modèle français.
En outre, l’omniprésence de la France dans ses anciennes colonies en Afrique se fait largement ressentir sur le plan économique. L’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) ont été créées au lendemain de l’indépendance des colonies françaises en Afrique, au début des années 1960.
Aujourd’hui, la France exerce toujours un important contrôle sur les deux institutions, malgré qu’elle n’en soit pas membre. Notamment, alors que leurs banques centrales se trouvent respectivement à Dakar et Yaoundé, une partie de leurs réserves de change logent, jusqu’en 2020 pour l’UEMOA et jusqu’à présent pour la CÉMAC, sur un “compte d’opération” au Trésor français, dans le but d’assurer une parité fixe du FCFA à l’EURO.
Dans cette mesure, la France endosse un rôle d’administrateur. Cela lui permet de sécuriser ses intérêts: par exemple, de s’assurer des approvisionnements en matières premières, de faciliter le développement des entreprises françaises au sein de ces unions et de rester un acteur important à l’échelle internationale. L’UEMOA et la CEMAC ont, de ce fait, seulement peu développé la collaboration économique dans leurs régions respectives. En ce sens, les liens économiques intra-africains demeurent largement restreints. En 2022, les exportations intra-africaines représentaient seulement 14,4% du total des exportations africaines.
Les liens économiques intra-africains demeurent largement restreints. En 2022, les exportations intra-africaines représentaient seulement 14,4% du total des exportations africaines
Il semblerait donc que la francophonie d’aujourd’hui, qui se donne comme but de fortifier la collaboration entre les membres de l’OIF et d’encourager le développement de ses derniers, s’articule en fait autour d’une relation bilatérale entre la France et ses anciennes colonies. Il convient en ce sens de questionner la place du panafricanisme dans un tel schéma.
Panafricanisme et Francophonie: harmonie ou paradoxe?
Le commentaire d’Emmanuel Macron selon lequel “la francophonie est la langue du panafricanisme” a éveillé de nombreuses controverses. En effet, la francophonie semble, au contraire, s’opposer au panafricanisme. Ce dernier aspire à l’unité, l’autodétermination, la liberté, le progrès et la prospérité collective sur le continent africain. L’Union africaine, qui se dit incarner l’idéologie panafricaine, projette une Afrique autonome et autodéterminée, emancipée de l’esclavage, du colonialisme, de l’apartheid et de l’assujettissement économique, et composée de pays soudés et unis.
La francophonie, en opposition, prend ses origines sur les idéologies de conquête de la France. Malgré ses orientations nouvelles, notamment ses aspirations à la coopération et à la croissance mutuelle, il semblerait qu’à ce jour la francophonie en Afrique se soit plutôt reposée sur le maintien de relations privilégiées entre la France et ses anciennes colonies. Ainsi, malgré l’émergence d’institutions telles que l’UEMOA et la CEMAC, la francophonie a en réalité peu contribué à la consolidation des relations entre les pays africains francophones qui la constituent. Il semblerait plutôt qu’elle a permis à la France de maintenir un contrôle sur ses anciennes colonies en Afrique.
En outre, définir le français comme langue universelle pour le continent africain ne paraît pas instinctif dans la mesure où ce n’est que la troisième langue la plus parlée sur le continent. En effet, alors que l’Afrique compte 120 millions de francophones, plus de 130 millions de personnes ont une bonne maîtrise de l’anglais, qui est la seconde langue la plus parlée sur le continent. Le swahili est la langue la plus parlée en Afrique, avec près de 150 millions de locuteurs.
Le swahili est la langue la plus parlée en Afrique, avec près de 150 millions de locuteurs
Une idéologie telle que le panafricanisme, qui aspire à s’émanciper de l’histoire coloniale du continent, aurait en ce sens tout intérêt à opter pour le swahili, qui est à la fois une langue africaine et la langue la plus parlée en Afrique, si elle devait adopter une langue pour incarner sa philosophie.
Replacer le concept de francophonie dans son contexte historique et actuel ainsi que évaluer l’influence qu’il peut avoir sur les relations internationales permet d’envisager si la francophonie peut être pensée en parallèle du panafricanisme. À ce jour, la francophonie semble effectivement s’opposer au panafricanisme.
La France conserve une “mainmise” sur ses anciennes colonies, notamment à travers des accords bilatéraux qui entravent l’autonomie et la collaboration intra-africaine. L’importance que la France porte sur la diffusion de la langue française semble, de ce fait, s’apparenter à une peur de perdre le contrôle sur ses intérêts géopolitiques, plutôt qu’un soutien au panafricanisme.
Crédit photo : cs3r.org
Caroline Awa Sow est étudiante en Bachelor interdisciplinaire en Gouvernance au University College Freiburg en Allemagne. Elle s’intéresse particulièrement à la géopolitique, aux questions sociales et aux dynamiques de pouvoir auxquelles elles sont intrinsèquement liées.