Geoffroy-Julien Kouao
A l’observation, le talon d’Achille de la politique ivoirienne est indiscutablement l’absence criarde des idées. Les acteurs politiques ivoiriens nous ont habitués à leur ingéniosité quant à produire des querelles et anecdotes politiques. Les gros titres de la presse nationale relatent à l’envi les querelles entre personnes ou entre chapelles politiques. Nulle part, il est une fois question des idées. Question : Avec quoi, les prétendants à la présidentielle de 2020 veulent gouverner la Côte d’Ivoire ? A l’évidence, avec des querelles politiciennes.
Pourquoi nos hommes politiques sont-ils incapables de produire des idées politiques ? La politique est un métier, une profession. Seuls ceux qui ont des idées peuvent l’exercer et bien l’exercer au profit de la collectivité. Tout étudiant de première année de sciences politiques le sait : on dirige les hommes avec trois instruments que sont la force, l’argent et le savoir. Pourquoi, en Côte d’Ivoire, seuls la force et l’argent structurent la vie politique, excluant le savoir. Je veux savoir.
La politique, étymologiquement, renvoie à la gestion de la cité. Gérer la cité c’est gérer les Hommes. Gérer les Hommes, c’est gérer leurs problèmes, et les problèmes des Hommes sont d’ordre économique, social et politique. Un homme politique ne peut saisir réellement les problèmes des populations que s’il a une vision politique alimentée par une solide idéologie politique, économique et sociale. C’est ce qui manque le plus sur la scène politique ivoirienne.
Il n’y a aucune offre politique idéologiquement crédible. A 13 mois de la présidentielle de 2020, le moment est idéal pour les acteurs politiques de dérouler leurs programmes politiques qui tenteront de structurer la vie nationale. Le peuple, je pense, doit être exigeant. C’est lui le principal consommateur des produits politiques. Il ne doit plus accepter qu’on lui vende de la querelle et des anecdotes politiques. Je remarque que chez nous, en Côte d’Ivoire, c’est moins les électeurs qui choisissent leurs représentants que les formations politiques et hommes politiques qui sélectionnent leur électorat. Dommage !
La politique est un métier, une profession. Seuls ceux qui ont des idées peuvent l’exercer et bien l’exercer au profit de la collectivité
La presse aussi doit jouer sa partition en donnant la part belle aux hommes et femmes politiques qui ont des idées, qui font de la politique avec des idées. Après trois décennies de règne de la force et de l’argent, 2020 doit symboliser l’aube d’une nouvelle ère : le règne du savoir, des idées.
Mesdames et Messieurs les prétendants à la présidentielle de 2020, je vous invite maintenant à vous prononcer sur les grandes thématiques et les enjeux majeurs de la société ivoirienne. Quelles sont les valeurs sociétales que vous voulez porter ? L’identité nationale, l’ordre, la sécurité, la famille ou bien, la diversité, la tolérance, le libéralisme culturel, les droits ? Ce sont des questions fondamentales, existentielles pour une nation. Nul ne peut prétendre gouverner un grand pays comme la Côte d’Ivoire sans avoir préalablement réfléchi à ces thématiques et les introduire dans une vision politique.
La politique migratoire de notre pays ne met-elle pas en péril l’identité nationale ou au contraire l’enrichit-elle? Pourquoi notre société est-elle devenue aussi anxiogène ? Quelle doit être notre nouvelle politique sécuritaire ? Ce sont les réponses à ces questions dont ont besoin les Ivoiriens et non qui sera le candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), du Front populaire ivoirien ( FPI) ou des ex-forces nouvelles.
A 13 mois de la présidentielle de 2020, le moment est idéal pour les acteurs politiques de dérouler leurs programmes politiques qui tenteront de structurer la vie nationale
Quels sont les nouveaux modèles économiques, institutionnels, écologiques ou technologiques que les hommes et femmes politiques proposent pour donner une vision optimiste de l’avenir ? Nos institutions sont-elles suffisamment fortes pour porter les exigences démocratiques ? Pouvons-nous valablement continuer cette politique libérale, capitaliste dans un État sans capitaux ? Quel est, en dehors des instruments internationaux, notre stratégie écologique ? Pourquoi nos villes sont toujours inondées et sales ? Notre politique écologique permet-elle d’optimiser notre potentiel agricole ? Comment tirer profit au maximum des avancées technologiques pour moderniser notre administration et réduire la pénibilité du travail ? Ce sont les réponses à ces questions que les Ivoiriens veulent savoir et non des déclarations impolitiques pour désigner des candidats putatifs pour 2020.
En 2020, allons-nous adopter une politique protectionniste, mettre en avant la souveraineté monétaire et budgétaire ? La mondialisation nous a-t-elle enrichis ou appauvris ? Pouvons-nous concurrencer les multinationales sur le marché national ? Notre tissu industriel ne va-t-il pas vers son déclin ? Doit-on oui ou non continuer avec le franc CFA cinquante ans après notre indépendance ? Avons-nous la capacité, les ressources humaines pour gérer rationnellement une monnaie ? Quels sont les avantages et les inconvénients de notre sortie de la zone franc? La création d’une monnaie régionale sans le tutorat de l’ancienne puissance coloniale est-elle économiquement viable ? Ce sont les réponses à ces questions qui font et donnent la stature d’un homme ou d’une femme politique.
Après trois décennies de règne de la force et de l’argent, 2020 doit symboliser l’aube d’une nouvelle ère : le règne du savoir, des idées
Au niveau social, pour créer davantage de bien-être, allons-nous mettre l’accent sur la propriété, l’entreprise, la fiscalité, la responsabilité ? Comment utiliser rationnellement la fiscalité pour favoriser la création d’entreprise, subséquemment de nouveaux emplois ? Comment rendre nos entreprises nationales compétitives ? Comment susciter le goût de l’entreprenariat chez nos enfants qui sortent des écoles ? Voici des questions que se pose un homme ou une femme politique et non comment je vais tromper ou intimider tout le monde pour être président en 2020.
Toujours au niveau social, la question des salaires, celle des conditions de travail, la place du service public dans la société, la question de la sécurité sociale sont importantes à aborder. Notre politique de la retraite n’est-elle pas obsolète ? Comment assurer une meilleure retraite à nos concitoyens ? L’âge de départ à la retraite est-il en adéquation avec nos impératifs budgétaires et nos besoins en matière d’emplois ? Nos services publics peuvent-ils continuer à fonctionner avec les règles adaptées aux services privées ? Comment mettre fin aux privilèges accordés aux dignitaires de l’État pour une meilleure répartition de la richesse nationale ? Qu’est-ce qui explique la fragilité des infrastructures sociales ?
Comment susciter le goût de l’entreprenariat chez nos enfants qui sortent des écoles? Voici des questions que se pose un homme ou une femme politique et non comment je vais tromper ou intimider tout le monde pour être président en 2020
Le code des marchés publics est-il d’actualité ? Quelles solutions aux grèves récurrentes dans le service public ? Voici un corpus de questions auxquelles les hommes et les femmes qui aspirent à diriger les ivoiriens en 2020 doivent dès maintenant répondre. Notre organisation judiciaire peut-elle garantir l’État de droit ? Peut-on assurer l’égalité de tous devant la loi et assurer la protection des libertés et droits humains avec un sous-effectif de l’appareil judiciaire ? Comment y remédier de façon structurelle ? Pour 2020, mettons de côté la force et l’argent, donnons la priorité aux idées.
Source photo : Courrier international
Geoffroy-Julien Kouao est politiste et écrivain. Il est l’auteur du livre «2020 ou le piège électoral? L’indispensable réforme du cadre théorique, juridique et institutionnel des élections en Côte d’Ivoire» paru chez Plume Habile Éditions.