Ousmane Faye
A l’aune des évènements politiques que nous observons depuis pratiquement trois ans. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) connaît actuellement un tournant important de son histoire. Afin d’éclaircir le pavé, rappelons que la CEDEAO suite aux coups d’État qui ont eu lieu au Mali en août 2020 et en mai 2021 ; puis en République de Guinée en septembre 2021, au Burkina Faso en janvier puis en septembre 2022. Le Niger depuis le 26 juillet 2023 traverse une situation politique très tendue.
L’organisation régionale fait face à une page grise de son histoire contemporaine sur l’épineuse question de la démocratie et de la stabilité politique. Même si les putschs ont été constatés dans certains pays au cours des années 2000, de nos jours un acteur non négligeable entre en jeu: le peuple. Conscient de son rôle dans la vie politique et de l’incapacité des gouvernants à répondre à leurs demandes, les populations aujourd’hui, veulent des dirigeants qui peuvent répondre à leurs aspirations que sont : la démocratie, la bonne gouvernance dans la gestion des ressources et des affaires publiques, la transparence et une répartition équitable des ressources , une sécurité durable, un nouveau regard sur l’Afrique; ainsi que l’exigence d’un partenariat gagnant-gagnant dans le cadre des rapports avec le reste du monde, du moins avec plus d’efficacité, en gros pour ne citer que ces points. Au regard de tout ceci, il est clair que les États ouest-africains font face à une population avec une jeunesse consciente, dans un contexte d’ouverture au monde grâce à l’accès à l’information par l’internet et les réseaux sociaux.
L’organisation régionale fait face à une page grise de son histoire contemporaine sur l’épineuse question de la démocratie et de la stabilité politique
Ces réseaux sont devenus des lieux de partage privilégié d’informations et donc de conscientisation de la jeunesse. Notons que la population la plus jeune du monde se trouve dans l’espace ouest-africain avec le Niger qui enregistre une moyenne d’âge de 14 ans sachant que la plupart des pays ont une majorité de leur population qui a moins de 25 ans. Avec plus de 386 millions d’habitants, l’Afrique de l’Ouest connaît une forte démographie galopante constituée principalement de jeunes connectés avec ceux du monde extérieur et qui sont exigeants en ce qui concerne leur avenir.
Cette brève description nous montre à peu près les attentes des populations dans l’amélioration de leurs conditions de vie qui évoluent lentement dans un contexte mondial ou les « autres », semble-t-il, sont en train de décoller vers l’émergence. Toutefois après observation de ces éléments, nous posons la question de savoir quelle est l’origine de la discrétisation de cette institution par les peuples ?
Conflictualité entre instituants et institués : expliquer une dualité entre respect des textes institutionnels et volonté populaire
La CEDEAO se veut une institution régionale respectée qui applique les textes en vigueur dont les États membres sont signataires. C’est dans cette dynamique qu’à chaque fois qu’il y a une violation de la part d’acteurs politiques ou militaires desdits textes, l’institution enclenche les dispositifs existants afin de tenter de stabiliser la situation en cours. Actuellement, ce que nous constatons est une situation complexe où des acteurs militaires agissent contre le protocole additionnel A/SP1/12/01 datant de 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.
Ce protocole signé à Dakar le 21 décembre 2001 a pour finalité le développement de l’État de droit, la consolidation de la démocratie et l’adoption des principes sacro-saints de bonne gouvernance dans l’espace ouest-africain. En effet, c’est dans cette optique que les coups d’État sont sanctionnés par les États pour tenter d’asseoir une démocratie durable dans toute la région. Et c’est là que le cas malien nous apprend sur l’institution régionale et sur sa volonté de mettre fin aux séries de coups d’État et d’aller vers une nouvelle histoire basée sur l’instauration de l’État de droit, l’organisation d’élections transparentes, une bonne gouvernance et la construction d’un système démocratique respectable.
C’est dans ce sens qu’au lendemain du coup d’État au Mali, les chefs d’État de la CEDEAO ont décidé de sanctionner la République malienne des instances de l’organisation, en procédant comme suit : « Le rappel pour consultations par les États membres de la Cédéao de leurs ambassadeurs accrédités auprès de la République du Mali ; la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la Cédéao et le Mali ; la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les pays de la CEDEAO et le Mali, des produits pharmaceutiques ; des matériels et équipements médicaux y compris ceux pour la lutte contre la Covid19 ; des produits pétroliers et de l’électricité ; le gel des avoirs de la République du Mali dans les Banques centrales de la CÉDÉAO ; le gel des avoirs de l’État malien et des entreprises publiques et parapubliques dans les banques commerciales des pays de la CEDEAO; la suspension de toute assistance et transaction financière en faveur du Mali pour les Institutions de financement de la CEDEAO, particulièrement la BIDC et la BOAD.»
La CEDEAO se veut une institution régionale respectée qui applique les textes en vigueur dont les États membres sont signataires. C’est dans cette dynamique qu’à chaque fois qu’il y a une violation de la part d’acteurs politiques ou militaires desdits textes, l’institution enclenche les dispositifs existants afin de tenter de stabiliser la situation en cours
Ce lot de sanctions frustra d’abord le peuple malien puis les peuples au niveau régional. Cette frustration crée de facto un sentiment de non considération des peuples quand il s’agit d’écarter du système régional l’État ou la junte militaire en place par la fermeture des frontières qui se traduit par un blocage commercial matérialisé par un embargo. Ce fait rend encore plus vulnérables les populations dans un contexte global de pandémie de Covid19 où la vie des citoyens est d’ores et déjà difficile. Ainsi la perception qu’ont les peuples de la région est que l’institution communautaire sanctionne ses citoyens et non un gouvernement de transition.
D’autant plus, il est important de soulever que le peuple malien estime légitime le renversement du pouvoir par les militaires, car jugeant l’ancien régime du président Ibrahima Boubacar Keita incapable de résoudre leurs problèmes, notamment le défi sécuritaire lié au terrorisme dans le nord du pays. Cependant, la communauté « des peuples ouest-africains » et non la communauté « des États », après observation, nous semble s’entre soutenir dans cette période de crise.
Encore plus, la demande du président français Emmanuel Macron à la CEDEAO de sanctionner le Mali après le coup d’État a renforcé la frustration des Africains francophones. Perçue comme une ingérence, ce scénario apparaît après chaque coup d’État et elle accroît le sentiment antifrançais dans d’anciennes colonies de l’Afrique occidentale. La perception d’une influence de l’ancienne colonie sur la CEDEAO intensifie l’opposition envers cette institution. Les putschs au Mali, en Guinée, au Burkina et au Niger sont vus par les peuples comme des actes souverainistes pour sauver les pays de la pauvreté et de l’insécurité, mais sont également motivés par le rejet des dirigeants incapables de répondre aux aspirations des jeunes Africains en quête de changement.
Le défi démocratique
La question démocratique est le ventre mou de la plupart des États africains. Cette même faiblesse est localisée dans certains pays ouest-africains et constitue un réel challenge politique aux yeux de l’institution régionale. Vingt-et- un an après la signature du protocole à Dakar, nous avons l’impression que le problème demeure encore entier à traiter. Il semble que la mise en place d’un système démocratique dans certains pays jusqu’à aujourd’hui est un rêve qui se renouvelle d’une manière cyclique, chaque passage d’hommes politiques ayant promis de bâtir un État de droit et de faire respecter l’ordre constitutionnel.
Hormis des pays exemplaires comme le Cap-Vert ou le Sénégal qui n’ont jamais connu ni de coup d’État ni de régime militaire depuis leur indépendance et connaissent un système électoral démocratique depuis le début des années 2000, le reste des États membres de la CEDEAO ont au minimum connu un coup d’État au cours de leur histoire ou ont vécu sous un régime militaire. En effet, entre 1983 et 1989 treize pays de l’Afrique de l’Ouest furent sous domination des régimes militaires. Face à ceux plus à l’Ouest du continent, sont identifiés les traditionnels États connus pour la pratique de putschs notamment militaires tels que le Mali, la République de Guinée, le Burkina Faso et le Niger.
Image d’illustration: aa.com
Ousmane Faye est enseignant-chercheur en Science politique et président de l’ONG Africans Citizens Association-Maroc. Il est analyste politique et spécialiste de la CEDEAO.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Une brillante intervention