![La Turquie : la diplomatie des drones au Sahel](https://wathi.org/wp-content/uploads/2025/02/drones-turquie-mali-600x600.jpg)
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Bah Traoré
La présence de la Turquie dans la région sahélienne est de plus en plus visible. La stratégie d’Ankara repose sur une combinaison de diplomatie politique, d’échanges économiques, et surtout d’assistance militaire, où le drone occupe une place centrale. Cette stratégie lui permet de renforcer son influence dans un contexte de compétition géopolitique, notamment face à d’autres acteurs comme la France, la Russie, et les États-Unis. L’Afrique est devenue un véritable champ de bataille technologique, avec un marché en pleine expansion, dominé en partie par l’utilisation des drones dans les domaines de la surveillance, l’attaque et la prévention des menaces. L’utilisation de drones turcs au Sahel est un aspect clé de cette politique, tout comme l’engagement de sociétés de sécurité privées telles que Sadat, qui se démarquent dans un contexte de privatisation croissante de la sécurité. La relation entre la Turquie et les pays sahéliens s’est renforcée au fil du temps, notamment face à la montée des défis sécuritaires. Autrefois centrée sur des partenariats économiques, culturels et éducatifs, cette coopération a pris une nouvelle tournure avec l’arrivée de régimes militaires, souvent confrontés à des crises immédiates, comprenant sanctions et enjeux pressants de sécurité.
Sous les régimes civils, la Turquie misait principalement sur une approche plus soft, visant à tisser des liens avec les populations locales. Elle comprenait des échanges commerciaux, la construction d’infrastructures, ainsi que des projets éducatifs. Ankara cherchait alors à se positionner comme un partenaire de développement, renforçant sa présence à travers des initiatives qui parlaient aux cœurs des communautés sahéliennes. Avec l’arrivée des régimes militaires, les nouveaux gouvernements ont vu en la Turquie un allié capable de fournir des outils et des solutions rapides. Les drones turcs, tels que le Bayraktar TB2, offrent des capacités de surveillance et de frappe particulièrement utiles pour lutter contre des groupes armés opérant dans des zones difficiles d’accès. Pour ces régimes, il s’agit d’un soutien concret, d’une réponse aux besoins immédiats de sécurité. L’implication de Sadat, une société militaire privée turque, ajoute une dimension supplémentaire à cette relation.
Les drones turcs : un levier d’influence
L’industrie turque de l’armement connaît un essor important et de nombreux pays africains figurent parmi ses clients. Cette croissance est due en partie à la volonté de la Turquie de devenir autonome en matière de défense, un objectif né des embargos imposés par ses alliés européens et américains. Face aux défis sécuritaires majeurs, les régimes militaires du Sahel intensifient leur recours aux drones pour renforcer leurs capacités de défense. La Turquie, via sa société Baykar, s’est imposée comme un partenaire militaire stratégique dans la région. Ses drones, notamment le Bayraktar TB2 et le Bayraktar Akinci, ne sont pas seulement des outils de combat. Ils s’inscrivent dans une diplomatie d’influence visant à renforcer les liens avec les régimes militaires sahéliens. Capables d’assurer à la fois des frappes ciblées et une surveillance en temps réel, ces drones offrent une réponse adaptée aux menaces asymétriques posées par les groupes armés non étatiques.
La vente de drones fait partie d’une stratégie plus large de la Turquie pour devenir un acteur majeur dans l’industrie de défense mondiale. Les pays du Sahel représentent un marché pour ces exportations. A travers ces moyens technologiques, la Turquie se positionne comme une alternative aux puissances traditionnelles, notamment la France, dont la présence dans la région est vivement contestée. Cette démarche ne se limite pas à la simple vente de matériel ; elle englobe également des formations militaires, notamment par le biais de la société militaire privée SADAT, dans un contexte régional marqué par le recours aux sociétés militaires privées, ainsi qu’un soutien technique et des partenariats stratégiques à long terme. Ce modèle renforce la présence turque en Afrique tout en soutenant le développement de son industrie de défense et son rayonnement diplomatique.
Cette coopération s’accompagne de reconnaissances officielles. En octobre 2023, le PDG de Baykar, Haluk Bayraktar, a reçu la médaille de l’Ordre de l’Étalon Officier, la plus haute distinction du Burkina Faso, pour son rôle dans la lutte contre le terrorisme. Au Mali, lui et son frère Selçuk Bayraktar (ingénieur en chef de Baykar) ont été honorés de l’Ordre national du Mali, illustrant l’importance stratégique accordée à cette collaboration. Ces distinctions symbolisent l’ancrage de la Türkiye dans les dynamiques sécuritaires du Sahel. Au-delà de l’aspect militaire, elles traduisent une volonté des régimes sahéliens de diversifier leurs alliances et de s’éloigner progressivement des partenariats traditionnels. Dans un contexte où les équilibres géopolitiques évoluent, les drones turcs apparaissent ainsi comme un outil de lutte contre l’insécurité et un vecteur d’influence pour Ankara dans la région.
Face aux défis sécuritaires majeurs, les régimes militaires du Sahel intensifient leur recours aux drones pour renforcer leurs capacités de défense. La Turquie, via sa société Baykar, s’est imposée comme un partenaire militaire stratégique dans la région. Ses drones, notamment le Bayraktar TB2 et le Bayraktar Akinci, ne sont pas seulement des outils de combat. Ils s’inscrivent dans une diplomatie d’influence visant à renforcer les liens avec les régimes militaires sahéliens
Une réponse technologique aux insuffisances militaires et opérationnelles
Pour des pays Sahéliens aux ressources limitées, cette technologie représente une opportunité de moderniser rapidement leurs forces armées sans investir dans des équipements traditionnels coûteux, comme des avions de combat ou des hélicoptères. En effet, les drones comblent certaines insuffisances des armées liées aux moyens financiers, à la formation et aux difficultés à surveiller de vastes territoires. L’intégration des drones dans les armées représente un changement profond dans la manière dont ces États abordent la guerre contre les groupes armés. Leur capacité à assurer une surveillance continue et à mener des frappes leur confère un avantage tactique majeur. Ils réduisent le risque d’exposition des troupes au sol. Contrairement aux avions de chasse ou aux hélicoptères, ces drones sont plus abordables, pilotés à distance, plus faciles à déployer et nécessitent moins d’infrastructures lourdes. Leur présence dans le ciel sahélien ne se limite pas à des opérations militaires, elle renforce aussi la dissuasion, compliquant les déplacements des groupes terroristes et limitant leur capacité à mener des attaques surprises.
L’utilisation de drones a été un facteur déterminant dans la prise de Kidal par l’armée malienne en novembre 2024. Les frappes de drones et avions de chasse ont forcé les combattants du Cadre stratégique permanent (CSP) à quitter leurs positions et à se réfugier. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger les présentent comme des instruments importants dans la lutte contre le terrorisme, mais aussi comme des symboles de leur autonomie vis-à-vis des puissances étrangères. Cette posture est renforcée par des campagnes médiatiques mettant en avant leur rôle déterminant sur le terrain.
Ces drones s’intègrent également dans une stratégie de communication politique. À travers des reportages, des discours officiels et des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, les autorités cherchent à démontrer leur capacité à assurer la sécurité nationale de manière indépendante. Cette mise en scène vise à renforcer leur légitimité et à rassurer les populations en projetant l’image d’une armée modernisée et efficace. Cependant, si les drones offrent des avantages tactiques indéniables, leur déploiement au Sahel n’est pas sans risques. En janvier 2021, une frappe aérienne de l’opération Barkhane a visé des membres de la Katiba Serma lors d’un mariage à Bounty, dans le centre du Mali. Si l’opération a permis de neutraliser trois (3) terroristes , elle a causé la mort de seize (16) civils, déclenchant une vive polémique.
Le manque de transparence des autorités maliennes et françaises a alimenté la méfiance et le sentiment d’impunité. Des organisations de défense des droits humains ont réclamé une enquête indépendante pour établir les responsabilités. Aucune enquête n’a été menée par les autorités maliennes ou françaises, malgré un rapport de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) évoquant une bavure. Cet événement illustre les enjeux liés à l’usage des drones dans les opérations antiterroristes. Si ces technologies permettent de faire des frappes, elles soulèvent des questions sur la protection des civils, la fiabilité du renseignement et l’obligation de rendre des comptes.
Crédit photo: le360.ma
Bah Traoré est chargé de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions politiques et sécuritaires au Sahel. Il anime Afrikanalyste, un site dédié à l’analyse de l’actualité au Sahel. Il a travaillé sur des projets liés à la désinformation et au fact-checking en Afrique de l’Ouest.
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Merci de l’excellente synthèse et de son objectivité. Prière, cependant, de préciser le pays où s’est déroulée la bavure de Bounty, en 2021. Certains lecteurs ne sont pas assez familiers de notre géographie sahélienne.