Kabinet Fofana
Une mise en perspective des alternances politiques en Afrique à une année de la fin des deux premières décennies de l’année 2000, s’impose nécessairement. Au moment de l’écriture de cette note, les Congolais n’avaient pas encore un président du nom de Félix Tshisekedi. Devrais-je plutôt dire que Kabila n’avait pas décidé de quitter le pouvoir. Tout comme Dos Santos en Angola, Bouteflika en Algérie et Omar el-Béchir au Soudan n’avaient point été contraints à la sortie.
La problématique de l’alternance intéresse aussi bien les acteurs politiques que les partenaires techniques et financiers. Au fil des élections tenues sur le continent, la question mobilise presse, société civile et sphère intellectuelle. Des présidentielles malienne, gambienne, sierra-léonaise, libérienne aux élections du Zimbabwe et du Congo qui ont aussi donné suite à une alternance. Quoiqu’on ait pu relativiser, les deux derniers cas, néanmoins passons-en ! Et tenons-nous en au fait qu’ils aient tout de même réussi le pari de l’alternance.
Une cartographie de ces alternances survenues depuis 2000, place les pays de l’Afrique de l’ouest au nombre des États ayant porté au pouvoir de nouveaux présidents alors qu’un pays comme le Cameroun garde encore « le dinosaure » Paul Biya.
La tenue d’élections plus ou moins transparentes ainsi que l’implication politique de la société civile et de la diaspora africaine ont diversement concouru à l’avènement d’une alternance dans nos pays. Ces nouveaux chefs d’Etat sont d’anciens opposants qui ont vaincu un président sortant ou son successeur désigné. Ils sont tous, de ce fait, des politiciens arrivés au pouvoir au gré d’élections souvent libres et transparentes. L’Afrique noire ne comptant quasiment plus de pays qui n’admettent pas le multipartisme. Les Etats organisent à peu près tous des élections qui sont au moins formellement compétitives.
L’avènement de nouveaux présidents à la suite d’élections plus ou moins transparentes
Depuis 2010, pratiquement tous les pays d’Afrique de l’ouest ont organisé des élections présidentielles. Si certaines se sont passées sans crises majeures, d’autres ont par contre débouché sur des violences post-électorales. Cette double catégorisation des élections africaines est fondamentalement liée au fait que pour certains pays, la tenue d’élections démocratiques est ancrée dans les habitudes institutionnelles – ce postulat reste relatif en Afrique de l’Ouest par exemple à l’aune d’un pays à un autre.
Une cartographie de ces alternances survenues depuis 2000, place les pays de l’Afrique de l’Ouest au nombre des États ayant porté au pouvoir de nouveaux présidents alors qu’un pays comme le Cameroun garde encore « le dinosaure » Paul Biya
Alors que d’autres n’ont que récemment connu d’élections libres. Ces pays ont organisé des scrutins qui donnaient toujours gagnant le président sortant. C’est l’exemple du Burkina Faso, du Congo, de la Guinée et de la Gambie. A l’opposé, le Sénégal, le Ghana, la Sierra Leone ou le Bénin connaissent des alternances apaisées. Des opposants y sont arrivés au pouvoir dans des contextes politiques ainsi qu’au terme de trajectoires historiques différentes – la Sierra Leone a connu des guerres civiles, le Ghana, le Mali et le Bénin ont vécu au moins un coup d’Etat.
Mais d’une manière générale, la culture des élections et de l’alternance semble prendre racine dans ces pays. Formellement, les élections organisées depuis l’année 2000 à ce jour ayant provoqué l’arrivée d’opposants aux affaires ont été dans une large mesure des élections « moins mauvaises ».
Une implication militante de la société civile et de la diaspora africaine dans le processus politique
Nous avons vu de quel apport ont été les Algériens de France dans la mobilisation citoyenne contre Bouteflika. La diaspora africaine est en grande partie très au fait des actualités de leurs différents pays. Ils sont plusieurs exilés politiques, par exemple en France, à très souvent tenir des actions de protestation contre le pouvoir en place dans leurs pays.
Face aux pays africains qui ont déjà élu plusieurs présidents et qui considèrent la crédibilité des élections comme une nécessité, les régimes autoritaires du continent semblent être gagnés par les exigences impérieuses d’une jeune génération d’Africains qui rêvent d’une Afrique prospère débarrassée des « politiciens ringards ». Ils ont moins de 30 ans en moyenne et entendent désormais prendre part à l’édification de leurs pays.
Les jeunes étudiants algériens qui ont battu le pavé à Alger grâce aux réseaux sociaux, « Togo Débout » ou les « Forces sociales de Guinée » mues en front national pour la défense de la constitution en Guinée sont des initiatives citoyennes qui vont modifier la nature du combat pour une « alternance forcée » en Afrique
Outre cette nouvelle situation, l’ancien président gambien Yahya Jammeh a eu maille à partir avec l’organisation sous régionale ouest-africaine qui l’a contraint à accepter les résultats des urnes. En Côte d’ivoire, l’intervention de la France a été décisive pour faire respecter les résultats du vote de l’élection présidentielle de 2010.
Dans les capitales africaines, de plus en plus d’actions citoyennes inspirées du modèle « Y’en a marre » ont aussi permis de faire partir des dictateurs. Ces mobilisations ont souvent été déterminées par un contexte économique difficile. Au Sénégal, le collectif « Y’en a marre » a été décisif lors des élections de 2012 qui ont conduit Macky Sall au pouvoir contre Abdoulaye Wade.
Au Burkina Faso, le « Balais citoyen » a permis la mobilisation populaire et a servi de veille à la transition. Au Mali, l’implication de la société civile a aussi été essentielle à la tenue de la présidentielle de 2013, même si son engagement aux côtés de l’opposant Soumaila Cissé n’a pas empêché la réélection du président sortant Ibrahim Boubacar Keita.
Ces futures alternances d’un autre point de vue, seront aussi rendues possibles grâce au rôle que joueront les radios privées et les médias sociaux, en l’occurrence Facebook
Ces actions de mobilisations citoyennes portées par des organisations non conventionnelles vont connaitre un intérêt sur le continent. Les jeunes étudiants algériens qui ont battu le pavé à Alger grâce aux réseaux sociaux, « Togo Debout » ou les « Forces sociales de Guinée » mues en front national pour la défense de la constitution en Guinée sont des initiatives citoyennes qui vont modifier la nature du combat pour une « alternance forcée » en Afrique.
Ces futures alternances d’un autre point de vue, seront aussi rendues possibles grâce au rôle que joueront les radios privées et les médias sociaux, en l’occurrence Facebook. Comme dans la plupart des pays où il y a eu une alternance, les radios et télévisions privées vont parallèlement à l’organe de gestion électorale, procéder à une observation minutieuse du scrutin. Appuyée par des organisations de la société la civile, la « Synergie des radios et télévisions libres de Guinée », un consortium de médias privés guinéens, a par exemple observé la présidentielle de 2010.
Les alternances survenues dans des pays comme la Guinée, la Gambie ou le Burkina, ont résulté de l’enlisement de régimes restés longtemps au pouvoir, et dénotent de la tension entre l’aspiration démocratique des peuples et la volonté de perpétuité de ces pouvoirs
Même si les partis d’opposition récemment arrivés au pouvoir ont bénéficié d’une meilleure légitimité, ils restent tout de même en majorité foncièrement caractérisés par des relents communautaires. Ce qui rend difficile l’appropriation nationale de l’engagement militant et conséquemment l’action politique s’apparente à la « politique du ventre ». De même, les alternances survenues dans des pays comme la Guinée, la Gambie ou le Burkina, ont résulté de l’enlisement de régimes restés longtemps au pouvoir, et dénotent de la tension entre l’aspiration démocratique des peuples et la volonté de perpétuité de ces pouvoirs.
La pérennisation de cette dynamique dépend aussi de la capacité des partis d’opposition à être une véritable alternative. Cela suppose une candidature unique et une efficiente offre politique et des conditions d’organisation d’élections peu ou prou idoines. Le taux de participation en dépend. En guise d’exemple, la participation a été importante dans la première élection des présidents Alpha Condé en Guinée, Alassane Ouattara en 2010 en Côte d’Ivoire et l’élection en 2012 de Macky Sall au Sénégal. Au Mali, le taux de participation en 2013 qui avoisinait les 49%, a de façon drastique chuté à la dernière présidentielle.
Néanmoins, même si on assiste à un rééquilibrage des forces en faveur des partis d’opposition, qui sont de plus en plus bien représentés au sein des parlements, il ne faudrait pas pour autant minimiser l’éventualité que la majorité présidentielle dans certains pays continue à dominer l’espace politique. La preuve : tous les présidents ont été réélus.
La volonté exprimée des présidents Mamadou Issoufou au Niger et Mohamed Ould Abdel Aziz en Mauritanie de ne pas modifier la constitution pour un mandat de plus, qui peut servir d’exemple à tous ceux qui sont en fin de mandat constitutionnel, permettra d’accroître le nombre d’alternances apaisées en Afrique. On peut par ailleurs espérer que cela précipite un renouvellement profond des classes politiques sur le continent.
Source photo : ghananewsonline
Kabinet Fofana est un politologue. Il intervient comme analyste politique sur la chaine panafricaine à Africa 24 et dans les médias guinéens. Il dirige l’Association guinéenne de sciences politiques, un think tank de droit guinéen spécialisé dans les études politiques notamment les sondages d’opinions.