Mamadou Lamine Gueye
Le Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle (DPBEP) s’inscrit dans la dynamique globale de renforcement de la transparence budgétaire résultant du nouveau cadre harmonisé des finances publiques de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Il contribue ainsi à accroître la lisibilité de la trajectoire économique du pays et de la stratégie des finances publiques, notamment pour le parlement, en conformité avec les dispositions de la Loi organique n°2020-07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances (LOLF).
Au regard de ces dispositions, le projet de loi de finances de l’année, lui-même articulé au DPBEP, est élaboré en référence à un Débat d’orientation budgétaire (DOB) qui se tient au Parlement, au plus tard à la fin du deuxième trimestre de l’année. Le DOB, également connu sous le nom de Débat d’orientation des finances publiques (DOFP) en France, est une procédure par laquelle le gouvernement consulte le Parlement sur les orientations envisagées. C’est donc un moment où l’avis du Parlement est sollicité.
Il s’agit plutôt d’organiser une suite de consultation du parlement, ainsi informé des choix envisagés par le gouvernement, et de lui permettre d’indiquer ses préférences ou ses réticences.
Le débat d’orientation budgétaire a deux ressorts : une exigence de transparence et une exigence de participation. Le principe de transparence veut que les élus de la nation soient informés des choix de la politique financière du gouvernement. L’exigence de participation implique que les élus de la nation discutent des choix du gouvernement et formulent des avis, recommandations et observations.
Toute la classe politique représentée au parlement (majorité, opposant, non-inscrits) se sent concernée et opine sur des documents qui vont engager la vie financière et la vie tout court de la nation pendant toute l’année qui suit et les années à venir.
Le Débat d’orientation budgétaire (DOB), inauguré pour la première fois en France en 1990, vise à « associer le Parlement à la préparation du budget en lui permettant de s’exprimer sur les grandes orientations budgétaires, d’être informé, dès ce stade du processus d’élaboration la prochaine loi de finances, des principaux choix envisagés par le gouvernement pour la mise en œuvre de ces orientations et d’indiquer le cas échéant, les solutions qui auraient sa préférence ». Au Sénégal, le DOB existe depuis la révision du règlement intérieur de l’Assemblée nationale intervenue le 26 avril 1999. Le premier débat, tenu le 16 août 1999, ne donnera pas lieu à une pratique constante. En Guinée Conakry, l’expérimentation du DOB a commencé en 2016, dans l’optique de la préparation de la loi de finances initiale de 2017. Fait innovant, les organisations de la société civile ont été invitées à participer aux débats en qualité d’observateurs.
La participation des acteurs de la société civile est un acte important qu’il faut encourager dans le cadre de la promotion du budget citoyen et de l’émergence d’une conscience financière publique. Pour Boubacar Demba Ba (haut fonctionnaire), « Au vu de cette centralité du citoyen pour la nouvelle gestion publique, la logique aurait peut-être été de prévoir sa participation dans la définition des politiques publiques, dans une sorte de consultation de l’opinion publique ».
La connaissance des engagements de l’État à travers le budget par les citoyens contribue au renforcement du processus démocratique et à la légitimation des décideurs. Il est fondamental de communiquer davantage sur les engagements budgétaires pour dissiper les incompréhensions souvent sources de conflits. Les questions relatives aux deniers publics sont sensibles et touchent toutes les entités de la vie publique.
Le débat d’orientation budgétaire, basé sur le Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle (DPBEP), permet au gouvernement de déterminer la direction du pays pour les trois prochaines années et de préciser les moyens pour y parvenir.
Au-delà de se conformer à la LOLF, il en porte l’empreinte, au travers notamment du nouveau paradigme de Gestion axée sur les résultats (GAR) qui, désormais, détermine non seulement la préparation des lois de finances, mais également tout le processus budgétaire. L’article 51 de la Loi organique n°2020- 07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances (LOLF) l’explicite : « sur la base d’hypothèses économiques précises et justifiées, le DPBEP évalue le niveau global des recettes attendues de l’État, décomposées, par grande catégorie d’impôts et de taxes et les dépenses budgétaires décomposées par grande catégorie de dépenses. Ce document évalue également l’évolution de l’ensemble des ressources, des charges et évalue également l’évolution de l’évolution de l’ensemble des ressources, des charges et de la dette du secteur public en détaillant en particulier les catégories d’organismes publics.
Il prévoit la situation financière des entreprises publiques pour la période concernée et, le cas échéant, les concours de l’État qui peuvent leur être accordés. Il fixe les objectifs d’équilibre budgétaire et financier sur le moyen terme en application des dispositions du Pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité des États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Et enfin, face à un contexte international très mouvant et à un environnement économique sujet à des chocs imprévisibles, susceptibles de perturber, à tout moment, l’équilibre macro-budgétaire, il a été institué des mécanismes pour faire face aux risques budgétaires, à travers une analyse de leur nature, de leur probabilité d’occurrence et de ressources requises, sous forme de provisions budgétaires, pour leur mitigation en cas de survenance (arrêté n°008655 du 30 mars 2023 relatif à la méthodologie de provision des risques budgétaires dans la loi de finances).
Le DOB comprend les grandes séquences suivantes : le Ministre en charge des finances envoie le document (DPBEP) retraçant les orientations économiques et budgétaires au président du parlement ; la lecture du rapport de présentation par le ministre des Finances et du budget ; le débat s’ouvre avec les interventions des députés ; le ministre apporte ses éclairages. La pratique du DOB au Sénégal montre que les questions posées par les députés sont essentiellement : la prise en compte des préoccupations de leurs localités car la plupart des députés sont des maires ; les Fonds alloués aux Collectivités territoriales (FDD, FECT) les risques budgétaires ; la situation de certaines entreprises publiques ; la situation de la dette publique etc. A l’issue de ce DOB avec les députés, le ministre en charge des Finances prévoit, dans un souci de transparence et, conformément aux dispositions de la loi n°2012-22 du 27 décembre 2012 portant code de transparence dans la gestion des finances publiques, de tenir des séances de partage et d’explications avec des organisations faîtières de la société civile spécialisées dans des questions budgétaires .Ces échanges permettront à ces dernières de servir de relais dans la dissémination des grandes orientations de la loi de finances avec une frange plus importante de la population.
Toutefois, la pratique du DOB a montré des limites dans certains pays. En effet, il arrive que le déroulement de cette interaction entre l’exécutif et le Parlement ne réponde pas aux finalités recherchées. Le débat n’est pas axé sur la discussion technique des orientations du budget, il s’apparente plutôt à une « prédiscussion générale » où les considérations politiques ont largement pris le dessus sur la participation des parlementaires à la détermination des orientations.
En France, la loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances en institutionnalisant dans son article 48 un débat d’orientation budgétaire, désormais qualifié de débat d’orientation des Finances publiques, a donné indiscutablement au parlement des possibilités nouvelles d’intervention sur la construction du budget. L’article 48 prévoit en effet que le rapport soumis par le gouvernement à l’Assemblée nationale et au Sénat précise la liste des missions, des programmes et des indicateurs de performances associés, figurant dans le projet de loi de finances à venir. La loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques du 28 décembre 2021 enrichit sensiblement le contenu du rapport.
Ce dernier doit indiquer le plafond des crédits envisagés pour l’année à venir pour chaque mission du budget général, l’état de la prévision de l’objectif, exprimé en volume d’évolution de la dépense des administrations publiques et de la prévision, exprimé en milliards d’euros courants, chacun décliné par sous-secteur d’administration publique, ainsi que les montants prévus des concours aux collectivités locales. Le rapport indique également la liste des missions, des programmes et des indicateurs de performance associés à chacun de ces programmes, envisagés pour le projet de loi de finances suivante.
En France, le débat d’orientation budgétaire devenu « Débat d’orientation des finances publiques » (DOFP) qui peut être assimilé à une évaluation a priori du projet de loi de finances. Certes, l’institutionnalisation du DOFP par la loi organique relative aux lois de finances participe à l’objectif thérapeutique politique, à savoir faire participer en amont le Parlement au travail de préparation du projet de loi de finances en vue d’apaiser, le moment venu, les débats budgétaires au sein des Assemblées.
Mais, incontestablement, le DOFP constitue aussi en soi une opération technique d’une grande portée budgétaire, par laquelle le parlement contribue à l’amélioration qualitative du projet de loi de finances en préparation. A notre avis, le DOFP est un mécanisme qui traduit la volonté de se doter en amont d’un budget performant, gage d’une gestion budgétaire performante, puisque, on l’a dit, la nouvelle gestion budgétaire passe aussi, nécessairement, par une nouvelle manière de prévoir les opérations budgétaires.
Image d’illustration: SUDQUOTIDIEN.SN
Mamadou lamine Gueye est un juriste et chercheur. Il est diplômé en Droits humains à la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (FSJP-UCAD) et en Finances et gestion publique à l’Institut supérieur des finances de Dakar (ISF-Dakar). Ses recherches en cours sont axées sur l’évaluation et le suivi des politiques publiques, sur le Droit publiques financier, sur la bonne gouvernance et la reddition des comptes, sur le développement durable et les droits humains. Il s’intéresse beaucoup à la modernisation de la gestion publique et aux questions budgétaires (préparation, exécution et contrôle des finances publiques).