Bah Traoré
Cette série de coups d’État semble être le nouveau scénario qui se dessine en Afrique de l’Ouest. Pourtant, ce phénomène a marqué les années 70 et 80 où l’Afrique était le théâtre de multiples coups d’État. L’avènement de la démocratie à partir des années 1990, consécutive à la chute du mur de Berlin n’ont pas eu les résultats attendus par les populations en termes de gouvernance ou de réduction des inégalités. Ce nouveau coup au Niger est un scénario presque similaire aux pays voisins, les raisons ont été les mêmes évoquées par les militaires qui ont pris le pouvoir au Mali et au Burkina Faso. Dorénavant, les militaires se retrouvent à la tête des États du Sahel central marqué par les tensions diplomatiques et de coopération, notamment dans la zone des trois frontières qui concentre l’essentiel des attaques jihadistes au Sahel.
Contrairement à ces deux pays, la situation sécuritaire au Niger a connu une relative accalmie. Selon l’indice mondial du terrorisme en 2023, le Niger se trouve à la dixième place des pays touchés par le terrorisme dans le monde tandis que le Mali est passé de la 7éme place en 2022 à la 4ème place en 2023 et le Burkina Faso de la quatrième place à la deuxième place en 2023. L’intervention des militaires dans le jeu politique n’est pas nouvelle dans ce pays d’Afrique de l’Ouest qui a connu plusieurs coups d’État. Depuis l’investiture du président Bazoum, le Niger est devenu une base arrière importante pour les pays occidentaux dans la lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme. Ce rapprochement avec les pays occidentaux n’a pas empêché le pays de diversifier ses partenariats dans la lutte contre le terrorisme. En Novembre 2021, le Niger a signé un contrat d’armement comprenant l’acquisition de drones et d’autres matériels militaires avec la Turquie. En mai 2022, un premier lot de 6 drones Bayraktar TB2 avait été réceptionné par l’armée nigérienne. Ces présences cristallisent par une partie de l’opinion publique au Niger et au-delà.
L’avènement de la démocratie à partir des années 1990, consécutive à la chute du mur de Berlin n’ont pas eu les résultats attendus par les populations en termes de gouvernance ou de réduction des inégalités
Un coup d’Etat inopportun
Pourtant le Niger avait réussi sa transition démocratique pour la première fois de son histoire politique marquée par des coups d’État. Mahamadou Issoufou, aux termes de ses deux mandats, a passé les charges à son successeur Mohamed Bazoum. Cette transition n’aura été que de courte durée. Le 26 juillet 2023, le monde apprenait d’une tentative de coup d’État conduite par la garde présidentielle dirigée par le Général Abdourahamane Tchani, en poste depuis 2011. Il avait été nommé à ce poste par Mahamadou Issoufou, puis reconduit par Bazoum lui-même. Déjà, à la veille de l’investiture du président Bazoum le 31 mars 2021, le président Mahamadou Issoufou échappe à une tentative de coup d’État repoussée par la garde présidentielle.
Il y a une forte présence des forces étrangères des pays occidentaux qui dérangeait et le président Bazoum était loin d’être populaire. C’était quelqu’un qui avait une certaine lecture de la situation, de par les fonctions de ministre de l’intérieur et ministre des affaires étrangères qu’il a occupées sous le régime de son prédécesseur. Dernièrement, il s’en est pris verbalement aux juntes militaires au Mali et au Burkina Faso. On se rappelle des propos de Bazoum contre la junte au Mali en juillet 2021 à la suite de la conférence des chefs d’État du G5-Sahel: « Il ne faut pas permettre que des militaires prennent le pouvoir parce qu’ils ont des déboires sur le front ». Ces propos ont été mal perçus par une grande partie de l’opinion publique malienne. En mai 2023, il critiquait la stratégie du capitaine Ibrahim Traoré sur les recrutements des volontaires pour la défense de la patrie(VDP) :«Armer les pour combattre les terroristes est une tragique erreur».
Les auteurs du coup d’État, réunis au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), justifient le coup de force par la dégradation continue de la situation sécuritaire du Niger et la mauvaise gouvernance économique et sociale. Ces explications semblent très peu convaincantes. Contrairement au Mali et au Burkina Faso, le Niger reste un îlot de sécurité dans une région en proie à des attaques terroristes et malgré les multiples menaces aux portes de ses frontières, le Niger adopte une approche alliant action militaire et dialogue qui semble marcher.
Pourtant le Niger avait réussi sa transition démocratique pour la première fois de son histoire politique marquée par des coups d’État. Mahamadou Issoufou, aux termes de ses deux mandats, a passé les charges à son successeur Mohamed Bazoum
Cependant, il existe une certaine frustration au sein d’une partie de l’opinion publique nigérienne quant à la présence de forces étrangères notamment françaises qui s’étaient déployées dans le pays après leur retrait du Mali en 2022. Pour calmer une partie de la population et des organisations de la société civile qui manifestaient contre cela, le gouvernement a essayé de légitimer cette présence en la soumettant au parlement. Sans grande surprise, l’Assemblée nationale avait largement voté en faveur de ce redéploiement par 131 voix pour, 31 contre.
En novembre 2021, le passage du convoi logistique de Barkhane qui reliait Abidjan-Gao, s’est heurté à de violentes manifestations à Téra. Trois personnes avaient été tuées et 17 blessées lors d’affrontements entre des soldats français et plusieurs centaines de manifestants. Au terme d’une enquête pour déterminer les circonstances exactes de cette tragédie, diligentée par le ministère de l’intérieur nigérien, les gouvernements nigérien et français ont décidé d’assurer ensemble, le dédommagement des familles des victimes ainsi que des blessés. Chaque famille de victimes a reçu une somme de 50 millions de francs CFA en dédommagement.
Cependant, Il existe une certaine frustration au sein d’une partie de l’opinion publique nigérienne quant à la présence de forces étrangères notamment françaises qui s’étaient déployées dans le pays après leur retrait du Mali en 2022
La CEDEAO, intraitable contre les putschistes nigériens
La CEDEAO a organisé un sommet extraordinaire couplé à celui de l’UEMOA sur la situation au Niger le 30 juillet 2023 à Abuja. Récemment élu à la présidence de la CEDEAO le 09 juillet dernier, le président nigérian Ahmed Bola Tinubu se retrouve à gérer d’urgence la situation nigérienne, lui qui a fait des changements anticonstitutionnels, l’une de ses priorités. Les sanctions avec effet immédiat, prises à l’issue de ce double sommet, sont plus sévères que celles prises à l’encontre du Mali en janvier 2022. Cette fermeté de la CEDEAO et de l’UEMOA s’explique par le fait que les chefs d’État se trouvent préoccupés par la vague de coups d’État dans la région. L’organisation régionale fixe un ultimatum d’une semaine à la junte pour restaurer l’ordre constitutionnel et n’exclut pas une intervention militaire. Les pays comme le Mali, le Burkina Faso ou encore la Guinée qui sont dirigés par des militaires, se sont désolidarisés des sanctions. Ces pays sont suspendus des instances de la CEDEAO. Le Mali et le Burkina Faso, dans un communiqué conjoint, avertissent la CEDEAO que toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre contre les deux pays et menacent même de se retirer de la CEDEAO. Cette déclaration est d’abord un soutien aux militaires ayant pris le pouvoir à Niamey. Elle relève également le désaccord entre ces pays et l’organisation régionale quant à sa gestion des crises.
La CEDEAO, déjà affaiblie par des critiques, joue sa crédibilité face au Niger. Elle devra faire face à l’opinion publique nigérienne et sahélienne. Pendant que le sommet de la CEDEAO se tenait à Abuja, des milliers de personnes avaient manifesté pour clamer leur soutien à la junte militaire et rejeter toute intervention militaire dans le pays pour restaurer l’ordre constitutionnel. Cette manifestation a viré à la contestation anti-française et au saccage de l’ambassade de France à Niamey comme on l’a vu récemment au Burkina Faso. La restauration du président Bazoum reste peu probable malgré les sanctions et les menaces brandies par la CEDEAO. Dans un contexte d’instabilité, toute intervention militaire, pour restaurer l’ordre constitutionnel, aura des conséquences néfastes sur le Niger et sur l’ensemble de la région. Elle risquerait de créer de profondes frustrations au sein des populations et une dislocation de l’intégration regionale.
Crédit photo : Le faso
Bah Traoré est chargé de recherche à WATHI. Il est passionné de communication et s’intéresse aux questions politiques et sécuritaires au Sahel. Il anime Afrikanalyste, un site dédié à l’analyse de l’actualité au Sahel. Il a travaillé sur des projets liés à la désinformation et au fact-checking en Afrique de l’Ouest.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Merci Monsieur Bah Traoré de votre analyse à travers cet article; seulement je dirais que votre analyse est très superficielle. Au lieu de parler des causes, vous parler des effets.
vous dite que l’avènement de la démocratie à partir des années 1990, consécutive à la chute du mur de Berlin n’ont pas eu les résultats attendus par les populations en termes de gouvernance ou de réduction des inégalités. Je vous invite à lire l’article de Roger Koudé, 10 mai 2021, intitulé François Mittérand et l’Afrique: Retour sur le fameux discours de la Baule du 20 juin 1990. Cet article de Roger Koudé montre bien que le vent de la démocratie prôné par le Président français d’alors, n’était pas un choix des peuples africains a plus forte raison d’avoir des résultats attendus à cet effet.
Vous dite en deuxième point, pourtant le Niger avait réussi sa transition démocratique pour la première fois de son histoire politique marquée par des coups d’État. Mahamadou Issoufou, aux termes de ses deux mandats, a passé les charges à son successeur Mohamed Bazoum: ça, c’est la communauté internationale ne vivant pas au Niger qui le dit. La réalité est tout autre. Pendant plus de 10 ans les manifestations de la société ont été systématiquement interdites au Niger, ainsi que tous ceux qui émettent leur point de vue sur la vie de la nation. l’appareil administratif et l’appareil judiciaire sont caporalisés, des élections tropicalisées. Ce qui s’est passé, c’est une transition démocratique au choix et non voulue par le peuple.
vous dite aussi que la CEDEAO, déjà affaiblie par des critiques, joue sa crédibilité face au Niger: Oui elle encourage des Chefs d’Etat membre de l’organisation pour prôner la paix entre la Russie et l’Ukraine et au contraire dispose des armes pour venir attaquer un pays souverain membre de la CEDEAO et massacrer sa population. Quelle incohérence!!!!!!
Merci pour cet article que trouve bien équilibré et objectif. Par rapport à l’ultimatum et la menace d’intervention militaire revient aujourd’hui à la question suivante: comment la CEDEAO peut-être être maintenant se sortir de là sans perdre la face? Elle est devenu évident que l’organisation régionale a été trop loin, trop vite pour faire demi-tour. Nous savons pourtant qu’une intervention militaire ds un pays où la population vous est hostile ne présente aucune garantie de réussite. Alors comment Tinubu, Talon et les autres se sortiront ils de ce mauvais pas sans perdre la face? Bien malin qui peut répondre aujourd’hui!!