Fatimata Ly
“Je dissous l’Assemblée nationale pour demander au peuple souverain les moyens institutionnels qui me permettront de donner corps à la transformation systémique que je leur ai promise. Aujourd’hui plus que jamais l’heure est venue d’ouvrir une nouvelle temporalité à notre quinquennat”, a déclaré le Président Bassirou Diomaye FAYE lors de son discours à la nation du 12 septembre 2024 en signant ainsi le décret n° 2024-1980.
Le scrutin législatif intervient moins de huit mois après l’élection présidentielle de mars 2024, lors de laquelle Bassirou Diomaye Faye est devenu le plus jeune président de l’histoire du Sénégal et le premier candidat de l’opposition à être élu dès le premier tour, avec 54,28 % des suffrages exprimés. Ces élections législatives visent à permettre au gouvernement d’obtenir une majorité parlementaire, essentielle pour déployer les réformes prévues dans son programme.
Cela intervient après le blocage de plusieurs initiatives institutionnelles qui ont freiné la mise en œuvre des réformes promises lors de son élection, marquant ainsi des tensions persistantes entre le camp présidentiel et l’opposition qui détenait la majorité à l’Assemblée nationale. L’objectif pour son camp est de renouveler les 165 sièges du Parlement et d’obtenir le soutien nécessaire pour son programme de transformation.
Enjeux des élections
Pour la quinzième législature, les élections législatives sont fixées au 17 novembre 2024. Les thèmes principaux de ces élections législatives pour le nouveau pouvoir furent la reddition des comptes et la lutte contre la corruption, en vue d’améliorer la gouvernance, la transparence et de la responsabilité dans la gestion publique. D’autres candidats ont ainsi mis l’accent sur la création d’emplois, surtout pour les jeunes et les femmes, ainsi que sur des projets d’infrastructures.
En effet, les principaux enjeux de ce scrutin résidaient dans la capacité du gouvernement à consolider son autorité et à convaincre les électeurs de son engagement pour le changement. Une majorité parlementaire offrirait à l’administration Faye les moyens de concrétiser les promesses de modernisation faites lors de la campagne présidentielle, marquant ainsi une nouvelle étape pour le quinquennat.
Enfin, cette élection législative vise aussi à rompre avec la « cohabitation difficile » imposée par l’Assemblée sortante, issue des élections de 2022 et dominée par l’ancien camp au pouvoir.
Les thèmes principaux de ces élections législatives pour le nouveau pouvoir furent la reddition des comptes et la lutte contre la corruption, en vue d’améliorer la gouvernance, la transparence et de la responsabilité dans la gestion publique
L’Assemblée nationale sénégalaise est composée de 165 sièges. Le système électoral combine un scrutin majoritaire et un scrutin proportionnel. Dans chaque département, les électeurs choisissent leurs représentants via un scrutin majoritaire à un tour. Les sièges restants sont attribués par un scrutin proportionnel pour assurer une représentation équilibrée des partis. Ce système permet aux 46 départements du pays et à la diaspora d’élire leurs députés, avec un total de 105 sièges élus au scrutin majoritaire et 60 au proportionnel. De plus, la suppression des parrainages citoyens cette année a permis à un grand nombre de listes de se présenter (41 listes en compétition) reflétant une dynamique politique plus ouverte mais également plus fragmentée.
Les principales listes en compétition
Malgré le grand nombre de listes, la scène politique sénégalaise semble se polariser autour de quatre grands pôles. D’abord, le PASTEF, incontournable dans le paysage actuel, est centré sur une plateforme axée sur la rupture avec les anciennes pratiques politiques.
Parmi les grandes coalitions de l’opposition, se trouve Takku Wallu Sénégal (TWS) avec tête de liste l’ancien président Macky Sall et regroupe l’Alliance pour la République (APR), certains soutiens de l’ancienne coalition Benno Bokk Yakaar, et le Parti démocratique sénégalais (PDS), parti qui avait soutenu Diomaye FAYE lors de l’élection présidentielle de mars 2024. Après 6 mois, Macky SALL qui réside actuellement hors du pays décide de revenir dans le jeu politique. Ce dernier espère capitaliser sur son expérience et son héritage politique pour regagner la confiance des électeurs.
L’ancien dauphin de Macky Sall lors de la présidentielle de 2024, Amadou Ba a pris ses distances pour décider de fonder Jamm ak Njarin, centré sur des thèmes de paix et d’utilité. La coalition regroupe un large éventail de partis, notamment le Parti socialiste (PS), l’Alliance des forces de progrès (AFP), ainsi qu’une trentaine de mouvements de gauche comme la Ligue démocratique (LD) et le Parti de l’indépendance et du travail (PIT).
En parallèle, le maire de Dakar et ancien compagnon d’Ousmane Sonko, Barthélémy Dias est tête de liste de la coalition “Samm Sa Kaddu” (le respect de la parole donnée) qui est soutenue par l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall et d’autres figures de l’opposition. Autrefois alliés au sein de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi, la relation entre Barthélémy Dias et Ousmane Sonko s’est dégradée par des attaques personnelles.
Les tensions qui en résultent pourraient avoir des conséquences significatives sur le résultat des élections législatives et sur la stabilité politique du pays dans son ensemble. Les appels à la paix et au dialogue se heurtent à une réalité marquée par des rivalités personnelles et des stratégies électorales antagonistes, rendant l’avenir politique incertain pour les deux leaders et leurs coalitions respectives.
Ces quatre grandes coalitions dominent le paysage médiatique et captent l’attention des électeurs. Et selon les tendances politiques, cette dynamique est plus perçue comme une polarisation et une forte “personnalisation du débat électoral” car des figures emblématiques comme Macky Sall, Ousmane Sonko, Barthélémy Dias et Amadou Ba centralisent la campagne et font de l’ombre aux autres partis.
Cette personnalisation du débat crée une confusion sur le rôle des députés et détourne l’attention des véritables enjeux politiques et socio-économiques car sur le fond, la campagne présente peu de différence entre les thématiques de la présidentielle et celles des législatives.
Bien que ces différentes coalitions aient surpris par leurs choix d’alliances, notamment la fragmentation entre l’ancien duo Macky Sall et Amadou Ba ainsi que les décisions de Barthélémy Dias, il reste à déterminer si ces alliances hétéroclites peuvent réellement engendrer un changement significatif ou si elles ne constituent qu’un regroupement « opportuniste ».
Déroulement de la campagne électorale
Au Sénégal, les tensions politiques sont loin d’être inhabituelles pendant les périodes électorales, depuis les indépendances jusqu’à nos jours. Officiellement lancé le 27 octobre 2024, la campagne législative de 3 semaines s’est déroulée dans un climat marqué par des violences, des agressions physiques et verbales, ainsi que des affrontements sporadiques entre les partisans de différentes coalitions. Cela, en dépit des nombreux appels au calme et à la modération lancés par le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye.
Cette personnalisation du débat crée une confusion sur le rôle des députés et détourne l’attention des véritables enjeux politiques et socio-économiques car sur le fond, la campagne présente peu de différence entre les thématiques de la présidentielle et celles des législatives
Ce climat tendu a également été alimenté par des rivalités exacerbées entre des figures politiques de premier plan, telles que le Premier ministre Ousmane Sonko et le maire de Dakar Barthélémy Dias. Les tensions, amplifiées par des déclarations polémiques et des affrontements violents entre leurs partisans, ont contribué à envenimer davantage l’atmosphère de la campagne. Des violences ont été signalées à Saint-Louis, entraînant des blessés et plusieurs arrestations.
Résultats du scrutin et perspectives d’action du gouvernement
Le PASTEF a obtenu une majorité écrasante avec 54,97 % des voix soit 130 sièges, consolidant sa domination. La Coalition Takku Wallu Sénégal suit avec 14,67 % soit 16 sièges, tandis que Jam ak Njarin décroche 7 sièges. Les autres coalitions, comme Samm Sa Kaddu (3) ou And Nawlé (2), se partagent le reste des sièges, traduisant une polarisation politique et une faible représentation des petites formations.
Avec cette majorité absolue, le gouvernement dirigé par Ousmane Sonko entend mettre en œuvre un programme de transformation, incluant un budget 2025 en hausse de 15,5 %. Les priorités portent sur la lutte contre le chômage (20 %), l’inflation, et la relance des secteurs clés comme l’agriculture et les hydrocarbures. La victoire du PASTEF symbolise une rupture avec l’ancien régime de Macky Sall, notamment à travers la volonté d’abroger des lois controversées.
Les électeurs, exprimant un fort désir de changement, espèrent que ce nouveau gouvernement pourra répondre aux préoccupations croissantes liées au coût de la vie, alors que l’inflation continue d’affecter les biens essentiels comme l’eau et l’électricité. L’une des principales attentes reste la capacité du gouvernement à alléger cette pression économique. En outre, avec un taux de chômage dépassant les 20 %, les promesses d’amélioration dans le domaine de l’emploi seront particulièrement scrutées, dans l’espoir d’une véritable transformation sociale et économique.
En somme, les législatives de 2024 ouvrent une nouvelle ère politique au Sénégal, marquée par des attentes fortes envers le gouvernement PASTEF pour concrétiser les réformes promises. Si la majorité absolue offre une opportunité de transformation, elle soulève aussi des défis en matière de gouvernance et de stabilité dans un contexte de rivalités politiques.
Cette nouvelle majorité permet à Sonko et à son gouvernement de mettre en œuvre leur programme de réformes sans les entraves posées par une opposition forte. Les priorités incluent l’adoption d’un budget ambitieux pour 2025 et la mise en place de réformes institutionnelles, telles que la création d’une Haute Cour de justice pour juger les actes de corruption. Le gouvernement parviendra-t-il à concilier réformes profondes et cohésion nationale, tout en répondant aux urgences économiques et sociales ? Une question clé qui mérite réflexion et débat.
Crédit photo: senego.com
Fatimata Ly est étudiante en Master 2 Diplomatie et Géostratégie au Madiba Leadership Institute du groupe ISM. Passionnée par la recherche sur les questions de sécurité et de bien-être en Afrique, elle est stagiaire à WATHI. Elle est également stagiaire en plaidoyer et leadership au sein d’OASIS Sahel, une ONG internationale dédiée à la promotion de l’éducation des filles et à l’autonomisation des femmes dans la région du Sahel.